Vinciane Debaille : les pieds sur Terre, la tête sur Mars
Auteurice de l’article :
Comprendre la formation de la planète rouge, c’est son mantra. Pour y parvenir, Vinciane Debaille mène des expéditions en Antarctique afin de collecter des météorites martiennes. Depuis 3 ans, elle a intégré l’équipe de la NASA qui prélève des échantillons de roches sur Mars.
Elle se serait bien vue astronaute et aurait aimé participer à un vol habité vers Mars. Mais une myopie a contrecarré ce plan. Qu’importe, c’est depuis la Terre que Vinciane Debaille, géologue responsable du laboratoire G-TIME (Geochemistry: Tracing with Isotopes, Minerals, and Elements) à l’ULB, étudie la planète rouge. Lors d’expéditions polaires, elle arpente le continent antarctique à la recherche de météorites martiennes tombées dans la glace.
Expédition polaire
Pour l’aider dans sa quête, deux jeunes chercheur·euses de son laboratoire ont créé une carte aux trésors identifiant des zones de glace bleue dotées des mêmes caractéristiques que celles où les géologues ont déjà trouvé de riches concentrations en météorites par le passé. Pour ce faire, iels ont combiné, dans un algorithme d’intelligence artificielle (IA), toutes les connaissances actuelles concernant ces endroits: données satellitaires, mais aussi constats de terrain de température et de vitesse de progression de la glace, ou encore relief du continent.
En février dernier, avec son équipe, Vinciane Debaille est partie durant trois semaines en Antarctique pour vérifier si les alentours de la Station belge Princesse Elisabeth étaient bien des zones d’accumulation de météorites comme l’avait indiqué l’IA. Elle a pu bénéficier de l’expérience de l’explorateur polaire belge Alain Hubert ouvrant des routes pour éviter les zones dangereuses, notamment les crevasses, parfois au prix de grands détours. Mais aussi campé par -10°C et parcouru en motoneiges des dizaines de kilomètres dans les sastrugi, des dunes de neige indurées par le vent.
“C’était une mission assez courte comparée aux précédentes car, pour la première fois, nous n’étions pas certain·es de trouver des météorites. Nous sommes donc parti·es à l’aventure dans trois zones identifiées par l’algorithme. On s’est vite rendu compte qu’elles contenaient malheureusement de nombreuses roches terrestres : il s’agit d’amas foncés sur la glace, rendant difficile l’identification au premier coup d’œil des météorites. Tout petit point noir n’étant pas une météorite, cela explique qu’on en ait finalement ramené moins que lors des missions précédentes.”
“Après une semaine sur le premier lieu, la récolte était bonne, mais pas extraordinaire. Ensuite, n’ayant trouvé aucune météorite sur les deux autres sites, notre moral était au plus bas. Et puis, la dernière journée de la mission, comme il faisait beau temps, on a décidé de retourner au premier endroit, mais cette fois-ci par l’est. Bien nous en prit : à la fin de la journée, nous avons trouvé une météorite de 7,6 kilos! Une météorite aussi grosse, c’est relativement rare.”
Pour ne pas l’altérer, il est interdit de la toucher. Dès lors, pour la ramasser, les scientifiques ont dû ruser. Iels l’ont emballée dans des feuilles d’aluminium, dans de grandes feuilles plastiques, puis dans du papier bulle pour la protéger du transport. Maintenue congelée depuis sa découverte, elle attend de livrer ses secrets.
Mission d’exploration spatiale
Vinciane Debaille mène des expéditions en Antarctique depuis 2015. “C’est alors que j’ai commencé à m’intéresser à la curation. C’est-à-dire à la façon de conserver les météorites collectées, tout en s’assurant qu’elles soient disponibles pour la communauté scientifique et pour les générations futures. Dans l’optique d’une future campagne de collecte d’échantillons sur Mars, je suis aussi entrée dans un projet européen de réflexion pour élaborer des façons de les ramener sur Terre et de les conserver. Dès lors, quand Mars Sample Return, un projet conjoint de la NASA et de l’Agence spatiale européenne (ESA), est arrivé sur la table, je me suis dit que ça tombait bien et que c’était dans mes compétences. C’est la première mission spatiale à laquelle je participe”, sourit-elle.
Le 18 février 2021, Persévérance, une astromobile robotique capable de creuser dans le sol, a atterri sur Mars, dans le cratère Jezero, site d’un ancien lac constituant un lieu favorable à l’apparition de vie. Depuis ce jour, Vinciane Debaille participe au comité scientifique et aux opérations techniques du rover. Elle se prononce lors de la prise de décision de forer la croûte martienne afin d’en prélever un échantillon. Ce choix est crucial, car seuls 43 tubes sont disponibles (actuellement, une dizaine ont été remplis), et seuls 31 échantillons pourront être amenés sur Terre lors d’une deuxième mission prévue en 2033.
“Initialement, il était prévu que toute l’équipe de la mission spatiale travaille ensemble pendant 3 mois au Jet Propulsion Lab de la NASA, en Californie. Cela devait avoir lieu de mai à juillet 2020. Mais le Covid est arrivé, et j’ai dû rester en Belgique : je me suis retrouvée dans la piscine sans brassard. Au début, ce n’était pas facile de comprendre le rythme, de m’intégrer à une équipe lointaine faite de gens déjà rodés aux missions spatiales. Mais, petit à petit, j’ai fait mon nid.”
“Je réalise cette activité de chez moi, aux heures californiennes, soit avec 9h de décalage horaire. Si tout va bien, je commence donc une deuxième journée de boulot à 17h, mais parfois cela est reporté à 21h ou 23h, en raison d’un retard dans l’arrivage de données des satellites. Et cela s’étire jusque 3 ou 4h du matin. Alors qu’au début, c’était plusieurs fois par semaine, désormais cela me prend 2 à 3 jours par mois. C’est une expérience fantastique, mais qui demande de nombreux sacrifices !”
Plongée, chorale rock et lecture
Pour se relaxer, Vinciane Debaille chante. Elle fait partie de la chorale Aequivox qui reprend les grands classiques du rock anglophone en les réécrivant pour 4 voix. “Led zeppelin, Aerosmith, … ça fait un bien fou de chanter du rock. On est une trentaine de chanteur·euses sur scène, accompagné·es d’un.e maestro.a et de 4 musicien·nes au clavier, à la guitare électrique, à la batterie et à la basse. On est basé dans le brabant wallon, mais on tourne partout en Belgique !”
Autre passion de longue date : la plongée sous-marine. “J’en aime le côté méditatif. Le milieu aquatique exige qu’on soit focalisé sur autre chose que le boulot. Sous l’eau, je déconnecte vraiment. Je plonge régulièrement, notamment en carrières en Belgique, et parfois dans des mers chaudes, riches en récifs coralliens, en Egypte ou dans les Antilles.”
Dernièrement, pour allier relaxation et plaisir de la lecture, elle s’est offert une biographie de Marie Curie. “Je suis fascinée par la découverte de la radioactivité et du radium par les Curie. A leur époque, Marie et son mari n’avaient que des instruments basiques par rapport aux machines sophistiquées actuelles. Si on m’en donnait le pouvoir, j’aimerais aller voir dans leur laboratoire pour découvrir comment iels ont fait de si de grandes découvertes scientifiques avec quasi rien.”
Ce contenu vous est proposé dans le cadre de Propulsion by KIKK, un projet de sensibilisation au numérique pour et par les femmes.
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