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Portrait 5 minutes de lecture

Claudia, la femme derrière la gameuse Pressea

Auteurice de l’article :

Claire Lengrand

Journaliste freelance depuis 2021, Claire pratique le long cours et apprécie de collaborer avec des médias engagés. Si elle s’intéresse avant tout aux questions sociales, agricoles et environnementales, sa curiosité la pousse vers de nouvelles contrées. Entre l’effervescence de la ville et le calme de la campagne, son cœur balance. Baroudeuse dans l’âme, elle aime vivre et voyager léger et a récemment découvert les joies de la randonnée.

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Passionnée de jeux vidéo et de Dark Fantasy depuis sa plus tendre enfance, Claudia, alias Pressea, streame sur la plateforme Twitch depuis décembre 2020. Sur sa chaîne, elle joue, anime et vulgarise, s’imposant peu à peu comme une référence dans ce milieu encore fort masculinisé.

“Les jeux vidéo, ça a toujours été une passion mise de côté, un loisir. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que je pourrai un jour en faire un métier”, confie Claudia derrière l’écran qui nous sépare. Ce qui ressemblait à un rêve inatteignable est pourtant devenu réalité pour cette gameuse française de 26 ans, plus connue sous le pseudonyme “Pressea” sur Twitch, la plateforme étatsunienne de live-streaming. Spécialisée dans les jeux de rôle “Heroic Fantasy”, la streameuse est suivie par près de 48 000 viewers, une communauté qui s’est agrandie progressivement depuis le lancement de sa chaîne en décembre 2020, en plein confinement. À cette époque, Claudia entame sa carrière dans l’Education nationale comme chargée de communication. “J’avais la pression de vouloir bien faire mais c’était compliqué à distance. Je me sentais seule, je regardais énormément Twitch et j’ai entendu une streameuse dire : “N’importe qui peut être sur Twitch, il suffit de se lancer””. Après l’achat d’un ordinateur digne de ce nom, Claudia rejoint donc la team des streameur.ses, sans espoir ni prétention de percer dans ce milieu où la concurrence est rude.

Dépasser les clichés

Très vite, Claudia se prend au jeu et se démarque du lot grâce à son amour pour un pilier de la littérature fantastique. “J’ai voulu me diversifier et parler de ma passion : les premiers livres de (J.R.R) Tolkien, dont le Silmarillion, qui retrace la genèse de la Terre du Milieu”. Cette nouvelle casquette de vulgarisatrice et “streameuse Tolkien” lui vaut d’être invitée par la plateforme sur ses plateaux.

De plus en plus sollicitée, Claudia se déplace partout en France et finit par quitter son “autre métier” pour se consacrer pleinement au streaming. Un choix difficile à assumer au début, aussi bien par elle que par sa famille : “Comprendre qu’on peut gagner de l’argent en jouant à des jeux vidéo est quelque chose de dur à assimiler, auquel s’ajoute la peur d’être exposée face à des milliers de personnes”. Les clichés gravitant autour de cet univers, dont l’image du geek enfermé dans sa chambre, nourrissent encore les imaginaires et véhiculent une vision tronquée. Claudia constate néanmoins un changement des mentalités. “Les jeux vidéo prennent de plus en plus de place dans notre société et Twitch a permis d’œuvrer en ce sens”.

Même l’éducation nationale, pour qui Claudia travaillait auparavant, s’empare désormais de la question et emploie les jeux vidéo à des fins pédagogiques. Grâce à l’emblématique Minecraft, les enfants peuvent notamment visiter des monuments historiques. “Quand il est bien utilisé, le jeu vidéo peut être un très bel outil”, affirme la gameuse, qui sait de quoi elle parle. Depuis son enfance, les jeux vidéo sont ses compagnons de route, avec une préférence très vite développée pour la “Dark Fantasy”, qui regroupe des univers moyenâgeux imprégnés de mythes et légendes, à l’instar d’Elder Scrolls ou Diablo. Un attrait nourri par un père féru d’histoire, de châteaux et de chevaleries, et qui a contribué à forger sa personnalité. “Ce sont des petits riens dans ta jeunesse qui te poursuivent dans ta vie d’adulte.” Tel un hommage à leurs créateurices, la streameuse met en avant lors de ses émissions la richesse de ces mondes fantastiques, comme celui du Seigneur des Anneaux que “beaucoup de gens apprécient mais ne connaissent qu’à travers la trilogie alors que derrière, l’univers est beaucoup plus vaste et subtil”.

Déjouer les codes

Au fil des années, Claudia a suivi de près les évolutions du secteur. Selon elle, si la qualité graphique et visuelle des jeux vidéo croît à une vitesse fulgurante, leur contenu narratif peine à sortir des sentiers battus. Il faut dire qu’il y a de gros enjeux économiques à la clé. “Faire un jeu vidéo prend plusieurs années avec toute une équipe derrière”, rappelle-t-elle. Les sociétés de production préfèrent donc appliquer des recettes commerciales qui fonctionnent plutôt que d’emprunter des chemins risqués. Quelques exceptions émergent parfois et “prennent à bras le corps des enjeux sociétaux” comme l’écologie. Malheureusement, ces jeux font généralement peu de bruit au sein de la communauté des gameur.ses. “L’écologie est un sujet souvent laissé de côté, il y a quelque chose de latent”, regrette Claudia. Elle remarque en revanche que les jeux qui ont trait à l’identité de genre éveillent davantage les sensibilités, “peut-être parce que ça nous touche plus concrètement”, observe-t-elle.

En réalité, un enjeu aussi majeur que la représentativité des genres progresse lentement au sein d’un secteur encore dominé par des figures masculines blanches. Le début de cette année a d’ailleurs vu l’apparition d’un jeu qui a fait couler beaucoup d’encre à ce sujet : Forspoken. Conçu par Luminous Productions, on y suit les aventures de Frey, jeune New-Yorkaise catapultée dans le monde fantastique d’Athia. Sa singularité ? L’héroïne est une femme noire. Une “révolution dans le milieu”, où habituellement, “la diversité est représentée à travers les personnages secondaires”, expose Claudia. La vague de polémiques soulevée lors de sa sortie est depuis retombée, le jeu suscitant aujourd’hui peu d’intérêt.

J’aime l’objectif sociétal de Twitch

A l’instar du monde des jeux vidéo, celui du streaming comporte aussi ses dérives. Si Pressea est parvenue à créer une communauté “cocon”, bienveillante et respectueuse, ce n’est pas le cas de toutes les femmes qui streament. “Je ne suis pas trop touchée par le sexisme mais je connais d’autres streameuses qui reçoivent des photos non consenties ou des menaces de viol”, révèle la joueuse. Avec ses consœurs, elles remarquent que ce sont surtout les jeunes hommes qui ont des propos misogynes. “Quand on ose en parler, les gens nous rétorquent que c’est normal vu qu’on s’expose sur les réseaux. Mais ça ne devrait pas être une évidence de recevoir autant de violence, on n’a pas à nous dire que c’est notre faute !”, fustige Claudia, qui tient à rappeler le fond du problème : “Dans n’importe quel milieu, les femmes doivent redoubler d’efforts pour prouver leur légitimité et leur valeur”. La streameuse souligne les mesures déployées par la plateforme pour tenter d’inverser la tendance et mettre en avant la diversité humaine, comme la transidentité. “C’est aussi pour ça que je suis heureuse de travailler pour Twitch, j’aime leur objectif sociétal”, assure-t-elle.

Depuis qu’elle streame à temps plein, Claudia se sent épanouie. En plein dans son élément. “Mon métier, c’est moi, c’est ma personnalité. J’anime mes streams et mon objectif est de donner de la bonne humeur”, déclare, rayonnante, la joueuse, dont “toute la vie sert de carburant pour alimenter son activité”. Car cette profession ne se limite pas, n’en déplaisent à ses détracteurices, à jouer en direct pendant des heures. Les interactions sociales en sont au cœur. “Je n’ai jamais autant voyagé et rencontré de gens”, se réjouit la gameuse. Et, si un jour, Twitch s’arrête, d’autres portes s’ouvriront. “Peut-être qu’un jour, mon métier prendra une autre tournure. Par exemple, je fabrique actuellement des figurines (Warhammer) et je sais qu’il existe tout un univers en lien avec ça”, conclut Pressea, pour qui le game est loin d’être over.

Ce contenu vous est proposé dans le cadre de Propulsion by KIKK, un projet de sensibilisation au numérique pour et par les femmes.

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