1
Portrait 7 minutes de lecture

Laszlo Arnould, la réalité étendue à toustes

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

en savoir plus

Véritable autodidacte à l’esprit créatif et turbulent, l’entrepreneur Laszlo Arnould est à la tête de PopulAR. Lancé en 2019 et déjà multiprimé, cet écosystème indépendant des grandes plateformes se focalise sur la création de contenu significatif en réalité augmentée (AR) pour populariser cette technologie.

D’une enfance passée entre le sud de la France, l’Écosse et puis Bruxelles, Laszlo Arnould s’est toujours senti à l’étroit dans les cases de l’enseignement classique. À l’université, il se lance dans un double bachelier en économie. Il tente de devenir joueur de tennis professionnel, avant de suivre une intuition à l’âge de 25 ans : il veut poursuivre un parcours créatif. “J’ai d’abord voulu faire un stage chez un designer de mode car j’appréciais le dessin et la conception, mais je ne suis pas resté longtemps, retrace Laszlo. J’étais contrarié par la logique toxique de cette industrie. J’ai alors parlé d’une idée d’app à un ami, mais à l’époque, on ne savait pas coder. On s’est donc inscrits au Wagon.” La célèbre école Made in France qui forme aujourd’hui les codeur·euses du monde entier. Et là, c’est la révélation. Codeur, growth hacker, professeur de code, jusqu’à finalement devenir créateur et coach de start-ups… Il empile les casquettes avant de tomber dans le monde des technologies de réalité étendue en suivant une autre de ses intuitions : pour opérer dans un futur pas si lointain, la société va se reposer sur ces technologies.

Depuis ses débuts, le milieu des technologies XR rencontre peu de problèmes d’inclusivité.

C’est il y a quelques mois que la rédaction de kingkong croisait pour la première fois le chemin de Laszlo Arnould, lors du festival XR4Heritage (dont on te parlait ici et ). Au programme : débats et autres conférences afin d’imaginer comment revaloriser notre patrimoine historique en se reposant sur l’utilisation des technologies XR. La réalité étendue, en français dans le texte. Une expression qui comprend à la fois la réalité augmentée (AR), la réalité mixte (MR) et la réalité virtuelle (VR). Invité à prendre part à un panel pour discuter d’inclusivité dans ces nouveaux univers technologiques, Laszlo résume les enjeux actuels lors de notre rencontre dans ses bureaux, à Bruxelles : “Depuis ses débuts, le milieu des technologies XR rencontre peu de problèmes d’inclusivité. Dans le domaine de la création AR, par exemple, on compte énormément, voire plus de créatrices femmes que de mecs. Beaucoup de personnes non-binaires aussi.”


On a voulu creuser un peu, et même si les statistiques sont encore éparses, on a le sentiment que l’AR pourrait en effet être plus égalitaire que la vraie vie. Selon AIMagazine, 70% des créateurices du secteur sont des femmes. Et d’après MarketSplash, sur Spark AR Studio, le logiciel gratuit proposé par Meta pour créer des filtres en réalité augmentée à destination d’Instagram et de Facebook, plus de la moitié (55 %) des utilisateurices mensuel·les sont des femmes.

L’AR n’est pas (qu’)un gadget

@johwska, @viv_galinari, @inidewin_, @nadinekolodziey, @lauragouillon… Le trentenaire poursuit en citant une série de créatrices AR qui l’inspirent quotidiennement. Elles ne diront peut-être trop rien aux néophytes en la matière, mais sur leurs réseaux, elles accumulent des dizaines, voire des centaines de milliers de followers. Pour Meta, Snapchat ou encore les plus grandes marques de maquillage, elles créent des filtres aux esthétiques en gradient de couleurs ou des univers 3D artsy ultra réalistes. Mais une question nous brûle les lèvres : est-ce que ça n’est pas un peu gadget l’AR, en fin de compte ? Laszlo réprouve. “Tout le monde a déjà joué avec un filtre pour se poiler sur Instagram, mais l’AR ne se réduit pas qu’à ça.”

En effet, même si elle est encore loin d’être massivement adoptée, l’AR peut s’avérer utile dans le monde de l’industrie, mais aussi pour lutter contre les injustices sociales ou le changement climatique. Pourtant, leur potentiel est certainement insoupçonné du grand public. Dans le domaine de l’éducation, en médecine, en ingénierie voire en astronomie, les XR permettent aux étudiant·es d’explorer des environnements virtuels pour des simulations pratiques. Dans la santé et le bien-être, des applications AR et VR sont déjà utilisées pour la thérapie et la gestion de la douleur, notamment dans le traitement du stress post-traumatique et des phobies. “L’AR pourrait aussi se développer à l’échelle globale dans le retail et permettre aux client·es de voir les produits en 3D pour les essayer virtuellement avant l’achat. En magasin ou en ligne, imaginez la tonne d’échantillons ou le nombre de retours à l’expéditeur en moins.”

Sans nier les éventuelles dérives de ces nouvelles technologies, il n’y a pas de doute : selon Laszlo, pour s’extraire de leur considération gimmick, il faudrait un peu moins s’attacher à leur aspect technologique et un peu plus à créer du contenu de qualité, mais aussi à vulgariser plus explicitement les enjeux sociétaux auxquels ces techs peuvent s’attaquer. “Ou comme j’aime le dire, ‘PopulARiser’ la réalité augmentée”, précise le fondateur de PopulAR.

Que l’on travaille avec Snapchat, Rayban, la Commission Européenne ou bien des associations à but non lucratif, il y a toujours moyen de brancher la création de contenu XR sur des enjeux de société.

Laszlo Arnould n’a pas de boule de cristal, mais il en est certain : à terme, les technologies XR deviendront un outil fondamental au service de la société de demain. C’est ce qui pousse PopulAR à proposer ses services de production de contenu XR, mais aussi de recherche, de conseil et même d’éducation. “On garde comme direction de contribuer à des projets innovants et porteurs de changement. Que l’on travaille avec Snapchat, Rayban, la Commission Européenne ou bien des associations à but non lucratif, il y a toujours moyen de brancher la création de contenu XR sur des enjeux de société.”

Totalement subjectivement, quelques projets issus du portfolio bien garni de PopulAR retiennent notre attention. Comme les filtres créés en collaboration avec des femmes artistes en AR pour The Selfielove Initiative. Une campagne menée en 2021 par la marque de vêtements Monki et la Body Dysmorphic Disorder Foundation (BDDF) pour sensibiliser autour de la dysmorphophobie. Ce trouble mental, caractérisé par l’obsession que son corps, en entier ou en partie, est plein de défauts, touche environ 2 % de la population adulte selon la BDDF. 1 personne sur 50. Les filles de 17 à 19 ans étant les plus concernées (5,6 %). Ces filtres garantis sans retouche, supports de cyberactivisme, ont été utilisés partout à travers le globe pour protester contre l’utilisation d’images avec des modèles retouché·es, et ce, sans que cela soit mentionné. Engendrant notamment la “filter dysmorphia“. La campagne a même poussé un parlementaire Anglais à déposer un projet de loi à la Chambre des communes. La “Digitally Altered Body Images Bill“, visant à obliger tout diffuseur à afficher un logo lorsque l’image d’un corps est modifiée numériquement.

Dans un autre style, AiR. Un outil gratuit développé sur fonds propres qui permet de visualiser en temps réel la qualité de l’air de l’endroit où l’on se trouve, mais aussi d’interagir avec elle. “On n’en a pas toujours conscience, mais la pollution de l’air tue plus que le tabagisme ou le VIH, rappelle Laszlo. AiR démontre toute la puissance de l’AR à ce niveau, à savoir transformer l’invisible en tangible.” En effet, l’application web dérange nos perspectives, et on se prend vite au jeu. En cliquant sur les molécules de gaz présentes autour de nous, on peut en apprendre plus sur leur concentration et leurs effets néfastes sur la santé. “C’est alarmant, mais c’est grâce à des outils expérientiels que l’on va susciter des changements transversaux.”

Lorsque l’agenda le permet, Laszlo Arnould n’oublie pas de s’amuser avec les XR, par exemple, en créant bon nombre de filtres. “Produire des trucs pour le fun, ça reste utile pour développer ses compétences en XR.” Si vous ne l’aviez pas encore croisé, c’est d’ailleurs PopulAR qui est derrière le filtre “Neanderthaler” qui déforme le visage en celui de la fameuse figure préhistorique. Devenu viral, il a généré plus de 9 milliards d’impressions sur TikTok, 4 milliards sur Insta et 500 millions sur Snapchat. Le mantra de Laszlo lorsqu’il conseille un·e créateurice qui souhaite se lancer dans les filtres ? “Il faut chercher à faire marrer, à rendre joli, ou à permettre aux utilisateurices de s’exprimer. Si tu t’attaches à une de ces trois voies, voire les trois conjointement, ton filtre fera certainement un carton.”

On pourrait s’attarder sur un tas d’autres projets signés PopulAR qui prouvent que l’AR a son rôle à jouer en matière d’éducation ou de sensibilisation aux droits humains ou à la conservation des espèces. On ne te parle même pas d’une de leurs dernières productions qui mêlera AR, storytelling et journalisme, et qui s’ajoutera bientôt parmi les créations numériques du média Arte (restez branché·es). Toutefois, mener de front un studio de production de contenu aurait peu de sens sans valoriser les esprits créatifs derrière. “En travaillant avec des acteurices majeur·es de l’AR basé·es un peu partout dans le monde, de la Silicon Valley à l’Australie, nous avons acquéri une connaissance approfondie de cette industrie, mais notre volonté était aussi d’établir des valeurs saines au sein de cet espace en plein essor”, explique Laszlo. Car la bulle de créateurices AR n’est pas toute rose.

Certain·es créateurices critiquent les processus de validation opérés par les géants comme Spark AR, avec raison.

Au cœur de la communauté, de nombreux débats portent sur des questions de monétisation, de contrôle créatif, de manque d’interopérabilité entre les grandes plateformes. Reflets de l’influence croissante de la réalité augmentée. “Certain·es créateurices critiquent les processus de validation opérés par les géants comme Spark AR, avec raison, appuie Laszlo Arnould. Ces derniers engendrent un écosystème toxique en encourageant leurs créateurices à se démarquer dans leur travail gratuitement, et ce dans l’espoir d’obtenir des spotlights dans la presse et d’autres récompenses. C’est la carotte ou le bâton. Et ça crée un esprit de compétition malsain. Même si les plateformes AR ont instauré des moyens de rémunération, on se pose quand même des questions quant à la répartition des revenus et aux véritables retombées en termes de visibilité pour les créateurices indépendantes.”

Une communauté populaire et planétaire

De ce constat peu engageant, il a souhaité donner naissance à un hub indépendant, une communauté pensée par et pour les artistes AR : PopulAR Planets. Un forum, un asset store et des tutoriels mis à disposition de toustes et principalement gratuits. La plateforme rassemble déjà 40.000 créateurices AR. Pour vous donner une idée de ratio, à travers le monde, on compte environ 150.000 personnes dans ce domaine numérique… “Le but de PopulAR Planets n’est pas de se positionner à l’encontre des grandes plateformes mais d’encourager les créateurices à être indépendant·es. On travaille régulièrement avec elles sur des projets parfois d’envergure, mais je continuerai à pointer leurs pratiques du doigt lorsqu’elles empiètent sur le travail des artistes AR. Une plateforme de création, aussi développée soit-elle, reste un outil, alors que les créateurices de contenu AR sont les architectes qui permettront au grand public de prendre conscience du potentiel de cette technologie.”

Appel à projet

Une histoire, des projets ou une idée à partager ?

Proposez votre contenu sur kingkong.

Partager cet article sur

à découvrir aussi