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Centre Wallonie-Bruxelles, mille millions de mille accords

Auteurice de l’article :

Adrien Cornelissen

Au fil de ses expériences, Adrien Cornelissen a développé une expertise sur les problématiques liées à l'innovation et la création numérique. Il a collaboré avec une dizaine de magazines français dont Fisheye Immersive, XRMust, Usbek & Rica, Nectart ou la Revue AS. Il coordonne HACNUMedia qui explore les mutations engendrées par les technologies dans la création contemporaine. Adrien Cornelissen intervient dans des établissements d’enseignement supérieur et des structures de la création.

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Au cœur du Marais, à quelques pas du Centre Pompidou, le Centre Wallonie-Bruxelles s’impose comme une structure atypique du paysage culturel parisien. Bien plus qu’une simple vitrine de la Belgique – cette dernière propose une hybridation d’actions artistiques : expositions, performances, projections, ateliers, rencontres ou biennale… Mille et un événements, qui se téléscopent volontairement, s’accordent harmonieusement et mettent en lumière les artistes ancré·es à Bruxelles en Wallonie. Présentation…

Dès le début de l’entretien, Stéphanie Pécourt, à la tête du Centre Wallonie-Bruxelles depuis 2019, décrit le projet en usant d’une métaphore bien sentie : “On aime présenter le Centre comme un vaisseau menant à une pluralité d’actions. Et même si beaucoup d’événements se déroulent dans nos murs, on ne se limite pas à Paris : nous allons de port d’attache en port d’attache, partout en France, pour mener des projets avec d’autres structures culturelles.” Un vaisseau, certes, mais à l’esprit pirate. Car si l’objectif du Centre Wallonie-Bruxelles est d’optimiser la visibilité de la culture belge francophone, notamment auprès des professionnel·les, son approche réfute tout conservatisme. Ouverte aux nouvelles sémantiques contemporaines (exemple avec l’installation “Solo” d’Els Vermang mêlant œuvres textiles, cinétiques et céramiques), aux technologies émergentes et aux enjeux sociétaux et politiques, l’équipe du Centre Wallonie-Bruxelles revendique une sensibilité pour des thématiques telles que le l’écologie, la subalternité ou le féminisme, autant d’enjeux dont se saisissent les artistes de notre temps.

“Nous ne sommes pas seulement féministes pour une question de parité, mais pour tout ce que le regard féministe permet de questionner. Comment, depuis une position marginalisée – comme celles qu’occupent les femmes dans la société – nous pouvons réfléchir et questionner autrement les enjeux de notre monde”, explique Stéphanie Pécourt. Illustration avec l’installation “Sharp as a stiletto” d’Aïda Bruyère présentée au printemps dernier où l’artiste cherche à saisir les injonctions que subissent les femmes dans une société compartimentée. De la même manière, le Centre Wallonie-Bruxelles a déjà invité plusieurs artistes travaillant autour du bio art, qui est souvent “un domaine explorant les notions de vivant, qui demande une approche humble et est davantage exploré par les créatrices”, constate Stéphanie Pécourt. 

Archipel Table ronde © Valentin Duciel

Une programmation entre harmonie et dissension

Le Centre Wallonie-Bruxelles incarne pleinement sa philosophie dans ses 1000 m² parisiens, où se déploie une pluralité d’événements : en moyenne cinq expositions annuelles, des performances de spectacle vivant, des lectures de poésie, des rencontres ou encore des projections dans un espace cinéma. “Notre proposition artistique revendique l’indisciplinarité”, s’amuse Stéphanie Pécourt, jouant sur les mots pour traduire l’esprit du lieu. “Loin des logiques magistrales de l’art et de la culture, nous recherchons une harmonieuse dissension, avec l’idée de faire cohabiter des regards différents.” Cette approche explique sans doute la sensation d’étonnement, voire d’égarement, que l’on peut ressentir face à cette programmation hybride. Ici, rien de prescriptif : l’objectif est de faire vivre une véritable expérience au public. Vous pensiez assister à une conversation autour de deux ouvrages de Marguerite Yourcenar et Stéphane Lambert ? Vous découvrirez aussi un cycle de projections dédié à Chantal Akerman. “Nous voulons sortir des logiques magistrales. La démocratisation culturelle ne se réduit pas à la gratuité d’accès à l’art, mais implique également de rompre avec une verticalité où l’on transmet aux publics ce qui est supposé être la bonne pratique de la culture. On aime sonder les cultures et les arts”, affirme Stéphanie Pécourt.

Fidèle à cette logique de décloisonnement, le Centre Wallonie-Bruxelles ne se résume pas à son “vaisseau” : le projet navigue régulièrement vers d’autres horizons. En 2023, ce sont par exemple 59 événements hors-les-murs et co-programmations qui ont été portées à Paris (Palais de Tokyo, Centre Pompidou…), dans ses environs (Fondation Fiminco à Romainville, au Générateur à Gentilly…) ou ailleurs en France (la Friche la Belle de Mai à Marseille, Bains Publics à Saint Nazaire…). Actuellement, “Dans tes Brumes” une exposition hors-les-murs a lieu à la galerie Les filles du calvaire et présente le travail de plusieurs photographes dont Julie Calbert, Antoine de Winter, Stéphanie Roland et Laure Winants accompagné·es par le Centre Wallonie-Bruxelles. 

NOVA_XX, une biennale en mode féminin et non-binaire 

C’est peut-être dans le temps fort bi-annuel NOVA_XX (avec deux x, en clin d’œil aux chromosomes) que s’incarne le mieux l’esprit du Centre Wallonie-Bruxelles. Une biennale dont la dernière édition s’est déroulée entre février et avril 2024 et qui est croisement de l’art, des sciences et des technologiques en mode “féminin et non-binaire” insiste Stéphanie Pécourt. “NOVA_XX est un concentré de ce que nous aimons faire : un décloisonnement des disciplines, des installations, des publications, des performances… sans forcément être dans une esthétique spectaculaire et des dispositifs revendiquant des prouesses technologiques.” 

NOVA8XX © Elena Blokhina

“On ne construit pas un monde nouveau sans un langage nouveau”, peut-on lire dans le manifeste de la biennale. Et pour construire ce monde, ce sont près de quarante artistes et chercheur·euses qui ont présenté leur travaux. Comme Louise Charlier avec son installation-performance Le Blobarium de Mary Harris : chapitre 1 acte 3, qui questionne la rencontre entre l’humain et le non-humain extra-terrestre. Ou bien l’œuvre d’Esther Denis, L’étant, qui propose une représentation du paradis à travers l’ombre, le reflet et l’écho et fait appel à nos sens. Des dizaines d’œuvres donc – celles d’Amélie Bouvier, de Félicie d’Estienne d’Orves ou de Laura Cinti – qui s’emparent, critiquent autant qu’elles attestent et incorporent des données scientifiques et technologiques. La prochaine édition qui aura lieu en 2026 gardera la même mentalité : “Nous continuerons d’explorer des terra incognita et sémantiques artistiques. Les travaux qui questionnent et déboulonnent les logiques coloniales et prédatrices seront au cœur de notre prochaine saison. Que ce soit au travers de cycles qui questionnent les explorations abyssales et cosmiques ou de cycles liés aux enjeux du transcorps, du post-porn, il y a mille façons de faire briller la création belge francophone”, suggère tout sourire Stéphanie Pécourt.

Une diversité de la création belge francophone

Mais qu’entend t-on réellement par “création belge francophone” ? “Les artistes que nous invitons ne sont pas forcément belges mais ont un ancrage avec la Wallonie et Bruxelles”, commente Stéphanie Pécourt. En 2023, iels étaient plus de 600 artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles a avoir été accompagné·es par le Centre Wallonie-Bruxelles. Pour autant, souhaitant rester une politique de déterritorialisation, cet impressionnant bilan n’empêche pas le Centre Wallonie-Bruxelles de promouvoir des artistes français·es et de jongler avec les porosités artistiques… Et cela fait écho à l’ADN de la scène belge. “Ce qui distingue la création belge francophone, c’est son hétérogénéité. Alors plutôt que d’esquisser un portrait robot de l’artiste belge, on préfère refléter cette diversité.” Une pluralité et un esprit “pirate” qui incarnent l’essence même du Centre Wallonie-Bruxelles : mille millions de mille accords… et autant de manières de penser et faire vibrer la création.

Les Heures Sauvages 2 © WBI
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