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L’art pour repenser l’espace

Auteurice de l’article :

Laetitia Theunis

Chimiste et océanographe de formation, Laetitia a troqué son tablier de chercheur contre une plume de journaliste par passion pour la vulgarisation scientifique. Elle a fait ses armes au Soir, avant de rejoindre le Vif et de devenir rédactrice en chef du Daily Science. Adepte de la randonnée et de la cuisine sauvage, elle aime s'immerger dans la nature et sortir des sentiers battus.

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Louise Charlier et Alessia Sanna, toutes deux artistes plasticiennes et chercheuses, étaient en résidence artistique à Namur. Durant un mois, elles ont jeté les bases de réalisations interrogeant notre rapport à l’espace.

Sur la terrasse rooftop du Delta, surplombant la Sambre, elles sont installées un peu plus proche des étoiles. Louise Charlier et Alessia Sanna sont à la fois artistes plasticiennes et chercheuses. Durant quatre semaines, elles ont créé des installations interrogeant notre rapport à l’espace. Cette résidence Art & Sciences a été lancée par le KIKK, association promouvant les cultures numériques et créatives aux croisements entre art, science, technologie, et société.

D’autres récits

Depuis le lancement en 1957 de Spoutnik, le premier engin placé en orbite autour de la Terre, le récit dominant de l’espace est celui de la conquête spatiale. “La plupart des gens ont une vision stéréotypée de l’espace et une narration classique de ce que les médias mettent en avant. Mais il y a d’autres choses qui existent, d’autres récits, d’autres façons de penser et de voir l’espace. C’est cela que je veux mettre en avant”, explique Louise Charlier.

Pour ce faire, dans le cadre de sa thèse de doctorat en art et sciences de l’art à l’ULB, elle construit une Bibliothèque des imaginaires spatiaux. Il s’agit d’un grand meuble de récup’, en métal, constellé de tiroirs de 10 cm de côté et profond d’une trentaine de centimètres. Chacun d’eux sera le réceptacle de l’imaginaire spatial d’un·e artiste, d’un·e scientifique, d’un·e philosophe. “On y trouvera notamment une clé USB contenant ses références artistiques et philosophiques, les films et livres qui ont forgé son imaginaire spatial. Les spectateurices pourront l’emprunter et découvrir ces différents documents fondateurs.”

Des condensés d’imaginaires spatiaux

Deux tiroirs trônent sur le bureau de Louise. L’un est consacré à André Füzfa, physicien de l’UNamur, auteur de science-fiction et gestionnaire de cette résidence artistique. Son nom apparaît sur le petit écran numérique inséré en devanture de son tiroir. Le second est consacré à l’imaginaire spatial de Thomas Cordy, artiste bruxellois qui s’intéresse à la manière dont la vie peut s’exprimer dans l’espace. “Il travaille le son, et son deuxième album sur l’espace sera audible à l’ouverture de son tiroir.”

En parallèle, Louise Charlier conçoit une pièce complémentaire à chaque tiroir. Pour Thomas Cordy, il s’agit d’un blobarium, soit un terrarium contenant de l’agar-agar pour nourrir le blob, cet étrange être unicellulaire dont le monde scientifique a longtemps pensé qu’il aurait pu être d’origine extraterrestre. Pour André Füzfa, il s’agit d’une performance dans l’observatoire astronomique de l’UNamur. “Il travaille sur la propulsion à énergie dirigée pour voyager dans l’espace. Lors de plusieurs soirées et journées d’observation astronomique ensemble, je me suis imbibée de sa pensée, de sa manière de faire. J’aimerais que les spectateurices soient invité·es à faire un voyage dans l’espace. Et que le vaisseau soit l’observatoire. Les premiers vols spatiaux auraient lieu avec mon agence spatiale, Roscosmique”, explique Louise Charlier.

Louise Charlier lors de la sortie de résidence © Antonin Weber

Cette performance ainsi que la Bibliothèque des imaginaires spatiaux et ses différents tiroirs seront visibles lors de l’Exposition astronomique qui se tiendra dès mai 2024 au Pavillon du KIKK à Namur. “Durant les 9 mois de l’exposition, il y aura des activités de week-end avec des soirées mêlant vol interstellaire et observation astronomique auxquelles les spectateurices pourront participer.”

Syndrome de Kessler

Cette exposition mettra également en avant le travail d’Alessia Sanna. Il met en lumière la problématique des débris spatiaux. En effet, à l’instar du reste de la planète, l’espace proche de la Terre est pollué par les activités humaines.

“On n’a pas forcément conscience du nombre de débris en orbite autour de la Terre. À partir du moment où on envoie des engins dans l’espace, ceux-ci génèrent des débris. Ces débris généreront eux-mêmes des débris de plus petite taille selon une réaction en chaîne. Ce qui est à craindre, c’est qu’à partir du franchissement d’un certain seuil, les débris vont représenter un danger rendant impossible l’exploration spatiale, l’envoi de nouveaux satellites et nuisant à l’observation spatiale. De quoi handicaper les pratiques scientifiques et poser problème aux télécommunications. À force de surexploitation, là-haut aussi, l’humain est en train de saturer l’environnement et de le rendre hostile”, explique Alessia Sanna.

Alessia Sanna lors de la sortie de résidence © Antonin Weber

35.000 cubes

Elle va représenter cet univers sous une forme sculpturale qui atteindra 2,5 mètres de diamètre. “Au-dessus de nos têtes, cohabite une population spatiale composée des satellites actifs, des satellites ayant achevé leur mission, des étages supérieurs des fusées, et surtout des débris résultant de l’explosion accidentelle d’engins spatiaux ou de leur collision. Elle compte actuellement 35.000 éléments d’une taille supérieure à 10 cm. Chaque objet spatial va être représenté sous la forme d’un cube en plastique incolore transparent d’un centimètre de côté, et son appartenance à l’une de ces 4 catégories sera mise en évidence par son revêtement. Les débris le seront par un revêtement holographique renvoyant davantage la lumière. Ils constitueront le socle de la sculpture. Les spectateurices se rendront ainsi compte que 75 % de la masse représentée correspond aux débris… Lorsqu’iels porteront le regard vers le haut, iels verront une masse bien moins importante, beaucoup plus translucide, représentant les satellites actifs, lesquels constituent une toute petite part de la population spatiale.”

© Antonin Weber
© Antonin Weber

Avec l’aide d’Alexandre Weisser, architecte de logiciels, Alessia Sanna utilise le mapping informatique. “Cette technique recentralise la donnée dans l’espace sculptural. Elle va nous servir à créer du récit en traduisant les milliers de données des sites web consacrés aux débris spatiaux sous une forme esthétique, par un visuel assez simple mais impactant. Il y aura notamment une vision évolutive de l’encombrement spatial. Au départ, en 1957, seul un cube sera éclairé : Spoutnik. Puis, selon une ligne temporelle, de plus en plus d’éléments spatiaux vont l’être. On constatera l’augmentation folle du nombre de satellites envoyés ces dernières années avec le déploiement des constellations Starlink et One Web. Il y aura aussi une vision prospective de cet environnement spatial. Avec, en arrière plan, cette question : a-t-on déjà atteint un seuil critique aujourd’hui ? Si non, quand interviendra-t-il ?”

De manière synchronisée avec l’apparition ou la disparition des données, la couleur, l’intensité, le nombre de points mis en exergue, un environnement sonore, amené par l’artiste sonore Stéphane Clor, va se créer. “Notre travail va bien au-delà de la simple infographie : on essaie de faire ressentir les chiffres. Le son, en constante évolution, va modifier la perception des spectateurices comme la rendre de plus en plus angoissante.” Vivre des émotions pour faciliter la compréhension.

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