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KIKK 2024 : Un parcours d’art pour dénicher la vérité

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Du 24 au 27 octobre, Namur se transformait en capitale des arts numériques, mais aussi en musée à ciel ouvert. Le parcours d’art qui jalonnait 12 lieux emblématiques du centre namurois avec ses 70 œuvres d’art a encore attiré les foules. Retour sur cette exploration artistique et urbaine désormais incontournable.

Au compteur du parcours d’art du KIKK 2024, 28 000 visiteur·euses. Et les festivités commencent dès la descente des marches du train. Moyen de transport usité par de nombreux·ses touristes d’un jour qui profitent des 50% de réduction sur leur ticket de train compris dans leur pass exposition.

Vous avez déjà cherché cette fameuse aiguille cachée dans une botte de foin vous ? Tâche impossible. Mais le duo d’artistes Varvara & Mar, elleux, ont voulu confier cette besogne à un robot. L’œuvre mise en évidence dans le hall de la gare ferroviaire de Namur attire les navetteur·euses curieux·ses. Dans sa cage de verre, un robot installé au centre d’une botte de foin a une seule mission : localiser cette fichue aiguille. S’il y parvient, il signalera son triomphe en faisant sonner une cloche.

Lors de notre passage, malheureusement, la cloche ne retentit pas. Mais qu’à cela ne tienne, le projet artistique “A Needle in a Haystack” provoque la réflexion sur les limites des technologies de pointe face à des tâches jugées utopiques pour l’homme. Avec son bras rotatif et sa pince précise, le robot questionne la notion d’intelligence artificielle (IA) en tant que boîte noire mystérieuse et surpuissante, tout en captivant notre attention pendant plusieurs longues minutes. Regards pointés sur l’engin, tout le monde est fasciné par le potentiel de la machine. Et si elle y parvenait, quand même ?

Elle est là, l’essence artistique. L’art nous emmène dans des recoins réflexifs insoupçonnés. Et pour cette édition 2024, le KIKK Festival a tenu à refléter sa thématique fil rouge à travers les différentes étapes de son parcours d’art : comment démêler le vrai du faux à l’ère du numérique et de l’IA générative ?

© KIKK 2024 – Quentin Chevrier

Une fois parvenu dans le centre-ville, la visite se poursuit. À quelques pas du Théâtre royal et de la Place d’Armes, la Galerie du Beffroi accueille une petite dizaine d’installations. Le week-end radieux attire des publics variés. Beaucoup de familles viennent s’émerveiller du parcours d’art. Les plus jeunes sont d’ailleurs nombreux·ses à vouloir s’agenouiller et scroller devant “Infinity“. Une installation imaginée par panGenerator, un collectif d’art et de design multimédia basé à Varsovie, en Pologne.

Mécanisme très souvent utilisé par les plateformes de réseaux sociaux, le scrolling infini (aussi désigné de doomscrolling en anglais) nous fait engloutir des quantités astronomiques de contenus et d’informations. Ce défilement sans finitude nous plonge parfois dans un état de latence ou de désir permanent de l’esprit, tenté par un flux infini de nouvelles informations, dont il est difficile de se retirer. Devant l’installation, petit·es et grand·es semblent hypnotisé·es par le défilement visuel et la monotonie apaisante des formes lumineuses qui se déplacent devant leurs yeux.

Nous aussi, on doit avouer qu’avant d’écrire ces quelques lignes réflexives quant à nos propres rituels numériques quotidiens sur Instagram et les autres, l’œuvre nous a complètement absorbé·e. Quel cadeau d’attention inestimable pour les géants des plateformes. Serait-il donc temps de cesser l’agenouillement collectif pour se lever en rébellion ?

© KIKK 2024 – Quentin Chevrier

Plus loin, les visiteur·euses se placent devant la caméra d’un ordinateur pour se prendre en photo. Iels tapent ensuite leur nom et imaginent une raison qui les rendrait connu·es. Vraie ou complètement fantasmée. Stand-uppeureuse, sportif·ve de haut niveau, chimiste… “Face2Wikipedia“, signé par l’artiste et codeur créatif Andreas Refsgaard (dont nous vous parlions il y a peu sur kingkong), offre la possibilité de se créer une page internet biographique fictive. Somme toute convaincante, cette réplique de Wikipédia utilise des algorithmes d’apprentissage automatique pour générer une biographie unique qui reflète une version alternative de l’identité de l’individu.

“Ce genre d’œuvres rencontre toujours du succès auprès du public car elle induit de l’interaction”, lance le médiateur qui veille au bon déroulement de l’installation. Vrai. Mais si l’approche un brin innocente et ouverte d’Andreas Refsgaard amuse celleux qui s’y essaient, l’installation ne manque pas de remettre en question les inconvénients possibles de la technologie. “Avec quelle aisance concède-t-on notre identité visuelle et notre prénom aux machines”, fait remarquer une visiteuse.

Passage éclair mais obligatoire sur les hauteurs de la ville. À côté de la Citadelle de Namur s’érige Le Pavillon qui accueille toujours l’exposition “Stellar Scape“. Nous en traitions récemment sur kingkong (par ici et par ). L’expo investigue les intersections entre art, sciences et exploration spatiale, et faisait aussi partie des étapes du parcours d’art du KIKK 2024. Elle reste d’ailleurs visible jusqu’au 26 janvier 2025.

© KIKK 2024 – Bryan Nicola Maxwell

Sur notre descente, nous prenons la direction de l’Institut Saint-Louis. Dans le vaste hall de l’école, un écran géant luminescent attire notre regard. Il retransmet la captation d’une petite caméra placée devant lui. Mais par la même occasion, un modèle de Stable Diffusion en profite pour “légèrement” modifier les images et les sons capté·es. Les passant·es changent de tenue, de couleur de peau, se transforment en un équipage de pirates. Les sons s’adaptent aussi aux univers recréés à l’écran. Un des artistes du duo derrière “Transformirror” – l’américain Kyle McDonald – est d’ailleurs assis sur un banc à quelques mètres. Il s’approche un instant pour interagir avec le public et montrer comment reprendre une forme de contrôle sur la machine. Ses bras mimant des gestes d’animaux, la petite foule se transforme tout à coup en girafes ou en éléphants. Il dirige son smartphone ouvert sur son appareil photo devant la caméra pour créer une sorte de triple écran.

Dans une salle d’étude non loin, des étudiant·es de la Bartlett School of Architecture ont traversé la manche. Iels aussi sont en quête de vérité. Intégré·es au Master en Design de Performance et d’Interaction qui leur permet de concevoir des performances et des expériences interactives, ces jeunes viennent présenter leurs travaux en cours. Il y en a du sol au plafond. Certaines installations sont plus abouties que d’autres. Notre regard se pose d’abord sur un écran d’ordinateur, ouvert sur une série d’onglets. The Guardian, The Brussels Times, et d’autres médias encore. Yoshi Kosaka a mis au point cette extension Google Chrome d’IA générative intitulée “Fact Inverter Pro” : “Ça devient de plus en plus complexe aujourd’hui de déceler les fake news, lance-t-il. Qui plus est, avec la tonne de contenus générés par IA. Cette extension nous pousse dans les retranchements de la véracité en renversant la sémantique des articles publiés sur ces médias”.

Ainsi, l’exemple que nous prenons est frappant. Le chapeau d’un papier du Guardian passe de “Gisèle Pelicot violée par son mari et qui a été abusée par 50 autres hommes déclare que sa “détermination à changer la société” la pousse à agir” à “Une femme qui dit avoir subi des abus de la part de son mari et d’une cinquantaine d’autres hommes exprime que son expérience nourrit une “aspiration à sensibiliser la société””…

Cette vision distordue de la réalité nous force à la critique et à l’analyse des informations que nous avalons quotidiennement. Dans le cas qui nous occupe, celles diffusées par des médias, certains renommés pour leur rigueur journalistique, d’autres, pour leur goût du “putaclic”. Mais une vérité reste certaine lors de cet après-midi de visite artistique : le temps file.

Nous reprenons notre carte de Namur spéciale KIKK 2024 et nous rendons vers les sites que nous avions pointés. Il faut être un brin sélectif pour tout voir. Nous souhaitions encore passer au Coworking pour admirer les travaux de Dr Formalyst ou de Bruno Ribeiro. Ou à l’Hospice d’Harscamp où se mijotent d’autres performances et installations. En vérité, nous n’aurons pas le temps pour tout ça. Pour une autre dose d’authenticité et de réels artistiques à la sauce IA, on repassera l’an prochain. À la revoyure Namur.

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