Etat des lieux des résidences en Wallonie et à Bruxelles
Auteurice de l’article :
Dans le monde de l’art, les résidences permettent d’être accueilli·es dans une structure, d’accéder à des moyens financiers, techniques et humains pour effectuer un travail de recherche ou de création. Les résidences – maillon essentiel au processus artistique – se spécialisent en fonction des ressources à disposition, des missions défendues par les lieux qui les organisent ou du contexte territorial. Quid des résidences dédiées à la création numérique en Wallonie et à Bruxelles ? Quels sont les principaux appels à résidence ? Comment l’écosystème se structure ? Tour d’horizon.
“En Belgique, le système des résidences n’est pas très transparent. Il faut vraiment chercher les informations. Et puis, il y a une tendance à sélectionner beaucoup d’artistes, le plus souvent individuels, et prévoir peu de moyens. Ce n’est pas forcément compatible pour développer un travail artistique ambitieux”, déclare sans détour Isjtar Vandebroeck, artiste et membre du collectif CREW. Résultat pour ce collectif pourtant l’un des fers de lance artistiques à Bruxelles, “nous ne candidatons quasiment plus à des programmes de résidences belges et favorisons ceux proposés dans d’autres pays”. Ce témoignage est une illustration des difficultés rencontrées par beaucoup d’artistes : le système des résidences en Wallonie Bruxelles semble peu ambitieux et surtout trop peu lisible pour les principaux·ales intéressé·es.
Une classification des résidences à définir
En effet, si la Fédération Wallonie-Bruxelles répertorie une partie des résidences existantes sur son site internet, il faut reconnaître qu’il n’existe pas vraiment de cartographie, ni de centralisation des informations et que celles-ci demeurent souvent opaques aux yeux des artistes. “Y-a-t-il un accompagnement professionnel ? Un soutien financier et de quel ordre ? Qu’est ce qui est pris en charge par la structure ? Le logement ou le transport sont-ils inclus ? Si ça peut paraître des détails, pour les artistes, ce sont des conditions essentielles, explique Catherine Henkinet, chargée des expositions et des résidences artistiques au sein de l’ISELP, qui poursuit : et bien sûr, il faut identifier quel type de résidence est proposée.” En effet, entre une résidence de recherche ou de création, il existe de réelles différences sur les rendus attendus. En fonction du degré de maturité d’un projet, les artistes n’auront pas non plus les mêmes besoins d’accompagnement.
Catherine Henkinet précise également qu’il existe d’autres types de résidences : “Il y a des résidences de territoire liées à un contexte géographique spécifique ou des résidences de médiation en direction d’un public cible, comme Impulsion que l’on peut proposer à l’ISELP”. Cette dernière vise à impliquer activement un groupe de personnes non-artistes – une classe scolaire, une maison de quartier, un groupe de citoyen·nes – à son processus de création. De la même manière, certaines résidences s’adressent spécifiquement aux artistes quand d’autres sont destinées aux commissaires ou aux critiques d’art. S’il faut comprendre que chaque résidence est liée à l’ADN du lieu qui l’accueille, il existe une typologie assez stricte, notamment énoncée par Arts en résidence, un réseau national ayant pour but de fédérer un écosystème des résidences en France.
Résidences de recherche
En matière de résidence de recherche, OHME propose l’un des programmes les plus emblématiques du territoire. Ces 5 appels annuels mettent en lien des artistes avec des chercheur·euses des Universités belges. “Dans une société ultra-complexe, il faut apporter de la nuance et de la transversalité, et les arts peuvent jouer un rôle important à cet égard. Pour nourrir cet écosystème, on accompagne des artistes dans des recherches assez diversifiées, dans la mise en réseau avec des chercheur·euses tant dans les sciences “dures” que dans les sciences humaines, et pour développer leurs projets du point de vue technique. Ça peut être autour de la mécanique, de la chimie ou des sciences des matériaux, comme c’est le cas avec notre résidence destinée aux artistes/artisan·nes sur la fabrication du verre à l’époque médiévale“, introduit Camila Colombo, directrice artistique de OHME. La structure bruxelloise travaille également sur la robotique durable en partenariat avec le Brussels Institute for Advanced Studies – BrIAS – et FARI – Institute of Artificial Intelligence for the Common Good – et a ainsi récemment accueilli les artistes Kris Verdonck et Dewi Brunet.
OHME fournit une aide aux artistes, d’abord sous forme de “compétences techniques très poussées. Nous avons une équipe d’ingénieur·es qui possède des compétences rares dans le monde des arts. Ce sont plus des profils qui viennent du consulting relativement peu accessible aux artistes dans des circonstances ordinaires. Et puis, nous soutenons à hauteur de 6.000€ tous les projets que nous accompagnons, ce qui permet d’absorber des coûts de recherche, de matériaux etc…” Enfin ces travaux de recherche font l’objet d’une restitution auprès des publics. “Avant toute chose, l’aspect recherche n’induit pas nécessairement une production concrète et terminée d’une œuvre… Il n’est pas toujours facile pour les artistes d’avoir le temps ou les ressources nécessaires pour se plonger dans une recherche longue et détaillée, ni d’accéder à des expert·es et des académiques, et nous essayons de donner précisément ce temps, ces ressources et cet accès”, conclut Camila Colombo. Avec ces résidences de recherche, OMHE se distingue donc de beaucoup de résidences dont la finalité est la création concrète d’une œuvre.
Résidences de création
C’est justement le cas des résidences d’artistes proposées du côté d’iMAL. Cette dernière structure organise par exemple un programme appelé EMAP (European Media Art Platform), avec le soutien du Creative Europe Programme de l’Union Européenne et soumet un appel à résidences annuel. À l’image de Johanna Bruckner, lauréate en 2024, un·e artiste sélectionné·e reçoit un soutien financier de 2.000€ mensuel pendant deux mois, une enveloppe de production de 4.000€, 2.000€ pour un·e collaborateurice local·e, ainsi qu’un accompagnement technique et curatorial. “Si les artistes peuvent venir de partout en Europe, iels ont l’obligation d’avoir une collaboration avec un·e artiste local·e. A la fin des deux mois, une œuvre doit pouvoir être montrée aux publics. On assume cette posture de producteurice”, explique Lucia Garcia, directrice d’iMAL qui organise également iMAL Project Office, une résidence destinée exclusivement aux artistes locaux·ales.
Même position du côté du KIKK qui propose deux appels à résidence par an. Le premier, intitulé Imagining ecological futures, est une résidence art-science d’un mois en collaboration avec le Goethe Institut et le Centre culturel des abattoirs de Namur. Elle a pour but de réunir un·e artiste wallon·ne-bruxellois·e et un·e artiste allemand·e. Le second est dédié à l’exploration spatiale. Marie du Chastel, directrice artistique et curatrice pour le KIKK festival et la Pavillon de Namur explique que “chaque artiste est soutenu·e à hauteur de 5.000€, on les loge pendant toute la durée de la résidence. Les artistes ont accès au ProtoLab du TRAKK, à un accompagnement curatorial et artistique. On souhaite les accompagner dans la phase de production et diffusion. On essaye de montrer leurs œuvres soit au Pavillon de Namur, soit au Kikk festival. Par exemple, tous projets accueillis en résidence sur l’astronomie ont été présentés dans la dernière exposition Stellar Scape.” iMal et KIKK ne sont pas les seules structures portant des résidences de création. Tout d’abord Gluon à Bruxelles qui fait partie d’un consortium européen portant S+T+ARTS4AFRICA ou S+T+ARTS4WaterII. Ce dernier est un appel à résidence de 9 mois, dont a par exemple pu bénéficier Anne Ridler, et qui vise à relever des défis environnementaux et sociétaux présents dans les villes portuaires d’Europe. D’autres structures, comme Overtoon basé à Bruxelles ou Transcultures situé à Saint-Ghislain, proposent également des accompagnement pour les arts numériques et tout spécialement pour la création sonore. D’autres programmes de résidences comme Belgium’s LIBITUM accueillent et soutiennent des artistes toutes disciplines confondues et sont donc éligibles pour les artistes numériques.
Des moyens limités pour couvrir les besoins
Pour autant, toute cette offre ne répond pas totalement aux besoins existants. L’accompagnement sur des compétences techniques telles que la VR ou l’intelligence artificielle sont difficiles à mettre en place dans ces programmes de résidences. “Malgré un très net intérêt de la part des artistes, ce sont des technologies qui demandent de réels investissements. Au KIKK, le budget des résidences et de la production artistique qui provient en partie d’une subvention de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de sources complémentaires n’est que de 24.000€ annuel. On aimerait pouvoir développer ces compétences, mais nos moyens sont limités. L’idéal, plutôt que de faire des résidences spécialisées sur ces médias, serait d’avoir une enveloppe budgétaire plus conséquente pour engager des expert·es externes”, commente Marie du Chastel. Une approche abondée par Stéphanie Roland, artiste belge habituée à travailler avec des modèles d’intelligence artificielle : “Il faudrait que les artistes puissent s’entourer d’expert·es en intelligence artificielle et qui comprennent où l’on veut aller artistiquement. C’est une histoire de rencontres et de dialogue. Pour ma part, je paye ces expert·es avec des bourses que je reçois, mais ce sont des coûts importants”. Les acteurices locaux·ales misent en attendant sur l’intelligence collective et la collaboration. L’équipe d’iMAL a ainsi fait appel au collectif CREW lors de la résidence realities in transition de l’artiste Letta Shtohryn. “Nous n’avions pas forcément ces compétences sur la XR donc nous avons demandé à CREW d’accompagner l’artiste en tant que mentor”, explique Lucia Garcia.
D’autres initiatives sont actuellement bridées par le manque de moyens. Bien que Les Pépinières Européennes de Création œuvrent en Belgique avec des résidences croisées internationales, elles sont plus difficiles à mettre en place pour d’autres structures culturelles. Marie du Chastel partage son expérience : “cela fait des mois que nous sommes en relations avec le CALQ (ndlr Conseil des Arts et des Lettres du Québec) pour envoyer des artistes au Québec. Mais nous sommes trop limité·es budgétairement et ce malgré un réseau de partenaires incroyables. Nous aimerions également imaginer des résidences croisées avec plusieurs pays d’Afrique. Avec une enveloppe de 50.000€, ce sont des initiatives que l’on pourrait prendre”. De la même manière se pose la question de la sécurisation de la rémunération des artistes lors des résidences. “Une des solutions est d’aller chercher d’autres financements que ceux issus de la Culture. Par exemple au niveau européen ou dans le secteur de la recherche et de l’innovation”, déclare Lucia Garcia. C’est le cas d’iMAL, mais aussi de OHME qui reçoit un financement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et un soutien d’Innoviris (Institut pour la recherche et l’innovation) pour sécuriser ses activités. “Un autre levier est de structurer et professionnaliser la filière des arts numériques pour faire comprendre aux responsables politiques la nécessité de nous soutenir. Ce soutien est fondamental pour que les petites et les moyennes structures culturelles, qui ont construit une histoire avec beaucoup d’efforts, puissent accompagner de manière décisive les artistes, les professionnel·les et atteindre le niveau de professionnalisation d’autres pays européens proches”, poursuit la directrice d’iMAL.
Une structuration naissante par les acteurices de terrain
L’enjeu prioritaire est sans doute là : faire jeu collectif pour optimiser les besoins et mieux faire entendre la voix des acteurices de terrain. Pour le moment, le chantier est encore vaste. “L’écosystème est très fragmenté. En Wallonie et à Bruxelles, on est à des années de structuration de la Flandre ou de pays comme la France. On pourrait mieux travailler entre structures, notamment sur des mutualisations de moyens. Par exemple, dans le cas d’OHME, nous n’avons pas de locaux fixes pour nos résidences, mais nous avons des compétences techniques extraordinaires. Ces mutualisations nous feraient toustes progresser. Plusieurs professionnel·les de la culture se rassemblent régulièrement de manière informelle pour parler de ces sujets, mais on commence seulement à faire ces rencontres”, témoigne Camila Colombo. Une structuration ambitieuse n’est en revanche compatible qu’avec un minimum de moyens à la clé. “Fédérer et animer l’écosystème est une mission à part entière. Simplement le fait d’organiser une rencontre demande du temps alors même que les structures sont toutes occupées dans la réalisation des objectifs de leurs propres projets, analyse Marie du Chastel qui poursuit : une initiative qui viendrait trop d’en haut serait peut-être décorrélée de la réalité de terrain. Il vaudrait mieux que ce soit un opérateur de terrain qui touche une subvention pour cette mission très particulière et nécessaire.” Notons par exemple que le travail remarquable réalisé par le réseau français Arts en résidence est rendu possible grâce à des professionnel·les entièrement dédié·es au projet.
À défaut d’avoir cet acteur centralisant les programmes de résidences, certaines initiatives montrent déjà une dynamique positive sur le terrain. Catherine Henkinet, chargée des expositions et des résidences artistiques au sein de l’ISELP, a notamment impulsé un groupe de travail sur une charte de bonnes pratiques au sein du réseau 50° Nord, 3° Est et qui a été finalisée grâce au concours de LaFap. “Une autre charte de bonnes pratiques liées spécifiquement aux résidences est en cours de finalisation à l’heure actuelle et énonce déjà ce que pourrait être la résidence idéale. Cette charte va se diffuser pour avoir le plus de structures signataires possible. Les artistes pourront s’en emparer, savoir les questions qu’iels peuvent poser. Ensuite la charte sera portée auprès des régions pour faire avancer la politique culturelle sur les résidences. Notre objectif est de professionnaliser le secteur. Autrefois nous n’avions pas cette force collective, dorénavant l’écosystème se structure. Pas à pas, nous arriverons à défendre l’intérêt des artistes”, conclut-elle sur une note optimiste.
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