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Portrait 6 minutes de lecture

Julie Henry, casser les codes et dégenrer le numérique

Auteurice de l’article :

Laetitia Theunis

Chimiste et océanographe de formation, Laetitia a troqué son tablier de chercheur contre une plume de journaliste par passion pour la vulgarisation scientifique. Elle a fait ses armes au Soir, avant de rejoindre le Vif et de devenir rédactrice en chef du Daily Science. Adepte de la randonnée et de la cuisine sauvage, elle aime s'immerger dans la nature et sortir des sentiers battus.

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Informaticienne, idéatrice, forgeronne, apicultrice… Julie Henry a une vie qui sort de l’ordinaire. Et œuvre à la construction d’un monde numérique où les femmes ont davantage de place.

Elle a foi en l’avenir numérique. Et n’a de cesse d’inciter les jeunes à s’intéresser aux filières STEM (sciences, technologies, engineering et mathématiques). À leur faire imaginer les métiers du futur. À insister sur leurs impacts sociétaux. Et à encourager fortement les filles à faire partie de l’aventure.

Pour leur ouvrir la voie, Julie Henry est en train de plancher sur une formation visant à dégenrer le matériel pédagogique et l’enseignement. « Il s’agit de montrer aux enseignant·es leurs biais de genre. Par exemple, le fait qu’iels laissent davantage de temps aux garçons de s’exprimer en classe. Et qu’à cause de cela, les filles s’habituent à moins prendre la parole, à moins interagir. » Et finalement à se mettre d’elles-mêmes de côté. Permettre aux filles d’avoir davantage confiance en elles est une des clés à leur inclusion dans les filières STEM.

Ce projet s’inscrit dans son job de cheffe de projet STEAM – avec un A pour art -. Après l’obtention de son doctorat en informatique, Julie Henry s’est vue proposer, par la rectrice de l’UNamur, un contrat de deux ans pour développer les aspects STEAM en interne et avec des partenaires externes. C’est ainsi que la plateforme STEAMULI, rassemblant toustes les acteurices namuroi·ses du STEAM, a été créée.

« Quand on parle de STEAM, on parle d’une approche pédagogique par projet dont le but est de développer la créativité. Cela demande de mettre en place des activités particulières de pédagogie créative et artistique, ayant une certaine durée. Dernièrement, nous avons créé un certificat pour former les enseignant·es à cette nouvelle pédagogie qui décloisonne clairement les sciences.» Et les fait plus facilement aimer par les enfants.

Jamais le bon moment pour avoir un enfant

Désormais figure publique du combat pour amener davantage de jeunes, et particulièrement des filles, dans les filières scientifiques, Julie Henry a galéré dans la première partie de sa vie professionnelle : difficultés multiples à faire financer ses projets, engagements à mi-temps, contrats de quelques mois. « À chaque fois, je devais faire mes preuves. Je bossais sans compter mes heures pour essayer qu’on se dise que ça valait la peine que je reste. »

Elle a longtemps privilégié sa carrière de chercheuse, avec ses lourdes obligations de diffuser ses résultats via de nombreuses publications scientifiques et lors de colloques à l’étranger. Et a repoussé la maternité. « Comme je commençais des doctorats sans jamais parvenir à les finir – elle a finalement eu son titre de docteure au bout du 3e , NDLR – , j’avais cette pression de me dire qu’il fallait que j’aille au bout d’un doctorat avant d’avoir un enfant. »

« Jamais on ne te dit clairement que la maternité est un problème, mais tu sens que cela va casser le rythme de tes recherches. Un trou de 3 ou 6 mois dans ton CV scientifique, c’est-à-dire sans publication, c’est terrible. Et puis, quand tu reviens au labo, tu te retrouves à cravacher deux fois plus, car les choses ont beaucoup changé en ton absence.»

C’est finalement dans sa quarantième année de vie que Julie Henry a donné naissance à un petit garçon. « J’ai fini d’écrire ma thèse avec un gros ventre. Quand j’ai fait ma défense privée, j’étais à 8 mois de grossesse. Pendant mon congé de maternité, j’ai dû consacrer un mois à la réécriture d’un chapitre entier de ma thèse. Et revenir à l’université pour la défendre publiquement… »

Julie, lors de la défense privée de sa thèse, à 8 mois de grossesse.

Le crabe s’invite

À peine le temps de profiter du bambin que, quelques mois plus tard, au printemps 2023, une sombre nouvelle s’abat sur Julie Henry. « Le 28 mars, je lisais le résultat de ma biopsie : cancer invasif stade 3. Le 6 avril, je devenais officiellement une triplette. Le 11 avril, on me posait mon pac. Le 12 avril, première chimio. … En janvier, le médecin m’avait dit “vous avez 40 ans, ça ne peut pas être un cancer”», écrit-elle sur X.

« J’ai tiré pour travailler jusque début mai et j’ai repris à 25% début juillet car, même si j’étais en pleine chimio, j’allais me retrouver avec un problème de CV : à chaque fois que je passerai une interview pour un futur boulot de chercheuse, on me demandera la raison de cette période sans recherche. Et si j’ai le malheur de dire que j’ai eu un cancer, il est fort probable que l’on trouve un autre argument pour me faire sauter. »Les injustes réalités du monde du travail.

Le cancer du sein triple négatif représente 15% à 20% de l’ensemble des cancers du sein. « Pourquoi moi ? Jamais, je ne me suis posée cette question. Que du contraire, pourquoi ce ne serait pas moi, pourquoi les autres le mériteraient plus que moi ? Si sur 8 femmes, 1 devait d’office avoir le cancer, je préfère que ça soit moi que de voir souffrir les autres. Et il ne faut pas souffrir de me voir malade. Il y a autour de nous des personnes qui souffrent bien plus que moi. »

Histoire d’amour avec l’Afrique

Ces mots constituent le message qu’elle a écrit en décembre dernier en préambule de sa demande publique de soutien financier pour aider Upendo Tu. Cette ASBL chère à son coeur vient en aide aux populations réfugiées dans l’est de la République Démocratique du Congo. « Chaque année, nous faisons des actions pour collecter de l’argent afin de nourrir les enfants qui y vivent. Mais iels sont tellement nombreux·se , que c’est presque mission impossible », déplore-t-elle.

Cet amour de l’Afrique s’est instillé jusque dans sa pratique musicale. Julie Henry joue dans Djolé (du nom d’un rythme guinéen), un groupe de percussions africaines classiques, avec son mari. Djembé et doundoun (gros tambours mis batterie et frappés avec des bâtons) font entendre leurs rythmes déchaînés dans leur coin de Belgique.

Vulgariser l’informatique et réduire la fracture numérique

Une fois n’est pas coutume, l’emblématique machine à café a été le point de départ d’une belle collaboration. C’est à force de s’y croiser que Julie Henry, Fanny Boraita et Benoît Vanderose, deux collègues de la faculté d’informatique à l’UNamur, ont décidé de créer digifactory. « Nous étions toustes intéressé·es par des questions d’inclusion numérique et d’accès au numérique au plus grand nombre. Mais aussi par la création d’outils innovants permettant au grand public d’apprendre le numérique, d’arriver à toucher ce qu’est la fameuse boîte noire, mais sans que ce soit rébarbatif ni trop théorique ni trop superficiel. »

Via l’ASBL, le trio répond à de petits appels à projets ponctuels, comme ceux émanant du Digital Belgium Skills Fund ou de la Fondation Roi Baudouin. Un bouquin a été édité, un MOOC créé à destination des aidant·es numériques. « Actuellement, on est consultant·es sur les aspects didactiques pour CodeNPlay à Bruxelles, une asso qui amène le code informatique dans les écoles et organise des stages dédiés pour enfants. À ce stade, on ne développera pas davantage digifactory. Mais après la fin de mon contrat à l’UNamur, j’y trouverai peut-être une échappatoire. »

La forgeronne et son robot

Question échappatoires, Julie Henry s’en est dessinées plusieurs. Apicultrice, enseignante en apiculture, mais aussi forgeronne. « J’aurais pu en faire mon métier. Et amener ici aussi des questions de genre. En effet, lors de ma formation, on me disait que ma force ne serait pas suffisante pour exercer cette activité. Mais j’ai découvert que ce n’était pas forcément vrai. Si j’ai appris à forger à la main, au marteau et à l’enclume ; dans le milieu professionnel, les actes lourds sont, au contraire, réalisés par un robot. C’est lui qui porte les pièces et il faut simplement apprendre à l’utiliser. Finalement, il ne me restait qu’à savoir souder, découper et assembler, ma force n’était donc plus un problème. C’est ainsi que, sur mon temps personnel, j’ai forgé les énormes grilles à l’intérieur des boxes à chevaux. » The sky is the limit.

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