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Amélie Lachapelle : “La transition numérique devra être écologique ou ne sera pas”

Auteurice de l’article :

Laetitia Theunis

Chimiste et océanographe de formation, Laetitia a troqué son tablier de chercheur contre une plume de journaliste par passion pour la vulgarisation scientifique. Elle a fait ses armes au Soir, avant de rejoindre le Vif et de devenir rédactrice en chef du Daily Science. Adepte de la randonnée et de la cuisine sauvage, elle aime s'immerger dans la nature et sortir des sentiers battus.

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Alors que le “tout-numérique” gagne chaque jour du terrain, la juriste Amélie Lachapelle pointe un enjeu crucial : la transition numérique devra intégrer les enjeux du développement durable.

Voilà deux ans qu’Amélie Lachapelle a été engagée comme professeure en droit de l’environnement et du développement durable au sein de la Faculté de droit et du Centre de Recherche Information, Droit et Société (CRIDS) du Namur Digital Institute (NADI). Etre en début de carrière, ce n’est pas de tout repos. Il faut bâtir sa légitimité en réalisant des recherches de qualité, construire les multiples cours à dispenser aux étudiant⋅es. Et s’investir dans la communauté universitaire. “Je suis référente en développement durable pour la faculté. Cela me permet de réfléchir à la stratégie à mettre en œuvre afin d’intégrer le développement durable et la transition écologique dans nos recherches et nos cours. C’est crucial, car en tant que professeur⋅es, nous avons une tribune privilégiée pour faire percoler ces idées auprès de celleux qui sont les premier⋅es concerné⋅es par l’avenir de la planète.”

Avec Grégoire Wieërs, professeur en médecine, elle lancera, l’année académique prochaine, les Journées d’Education au Développement Durable et à la Transition (JEDDT). Il s’agira  des toutes premières journées de formation interdisciplinaire à destination des étudiants de bloc 3 de toutes les facultés.

Concilier transition numérique et transition écologique

Au tournant des années 2020, Amélie Lachapelle sort brusquement de l’anonymat. Sa notoriété, elle l’acquiert grâce à l’expertise sur les lanceur·euses d’alerte développée durant sa thèse. Ce sujet dans l’air du temps, elle l’a abordé sous différents angles. De quoi lui permettre d’identifier diverses transformations sociétales, comme la démocratie participative, liées à un mouvement plus large remettant en cause le système moderne occidental. 

Cela a renforcé son intérêt pour la transition écologique et a constitué le socle de ses recherches sur les impacts du “tout-numérique” sous l’angle du droit environnemental. 

“Cette thématique est vaste et fascinante. Je cherche à comprendre comment le droit européen se transforme à travers les enjeux de transition et de développement durable. Mon point de départ, c’est le rapport Brundtland rédigé en 1987. Il repose sur deux concepts : celui de  besoin et celui de  limitations. Cela ouvre la porte à des réflexions intéressantes sur le plan du numérique. Par exemple, alors que la logique durant des années a été d’innover pour innover, sous-entendant que la société trouverait bien une utilité à toute nouvelle technologie, celle que l’on est en train de développer, répond-elle vraiment à des enjeux sociaux ? À un besoin sociétal ? Sa production tient-elle compte des limites planétaires ? Ces questions sont abordées sous l’angle de la sobriété numérique.”

Et son spectre d’intérêt, déjà riche, ne s’arrête pas là. Elle investigue également si les principes de prévention, de précaution, de pollueur·euse-payeur·euse et d’intégration, issus du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sont bel et bien mobilisés dans le cadre des politiques européennes en matière de numérique. “On constate qu’il demeure une forme de cloisonnement : des mesures sont prises pour favoriser la transition numérique sans nécessairement intégrer expressément ces préoccupations environnementales”, déplore-t-elle.

Depuis deux ans, avec cette volonté d’éveiller les consciences, elle co-organise avec la professeure Laura Rizzerio un cycle de conférences à l’UNamur sur un autre sujet qui lui tient à coeur : les communs. “La transition mène, par exemple, à une nouvelle approche du droit de propriété.  Mais aussi à un renouvellement de la manière de faire démocratie. Et à repenser la santé dans une approche de santé commune :  un être humain ne peut pas être en bonne santé si la société, la communauté, la planète qu’il occupe ne sont pas en bonne santé !”, poursuit Amélie Lachapelle. Et de constater : “c’est intéressant et plaisant de pouvoir allier les réflexions qu’on a dans sa vie privée avec sa vie professionnelle”.

Une passionnée d’histoire

Elle parle des potentialités du domaine juridique avec passion. À quel moment, cet intérêt, est-il né ? “Je dois être honnête, le droit, ce n’était pas un rêve d’enfant. Au départ, je voulais être archéologue ou égyptologue parce que j’adore l’histoire. C’est d’ailleurs cela qui m’a menée à m’intéresser aux sycophantes de la Grèce antique (personnes qui, par appât du gain, avaient fait de la délation de faits de faible importance leur activité principale, NDLR) dans ma thèse de doctorat en droit sur les lanceur·euses d’alerte. Rien ne m’obligeait à remonter si loin la ligne du temps. Si je l’ai fait, c’est parce que cela me passionne. Cela livre un éclairage sur le monde enrichissant notre compréhension des problèmes qui se posent actuellement.”

“Petite, j’étais donc plutôt poussée vers l’histoire. Mais, alors que j’étais en primaire, je me suis dit que je n’avais pas envie d’être coincée dans une pyramide, explique-t-elle en souriant. C’est très pragmatique. Je suis assez claustrophobe. Et je n’étais pas très à l’aise avec l’idée que je me faisais des fouilles archéologiques.”

Son intérêt s’est alors porté sur la paléontologie, une autre façon d’approcher l’histoire en observant des fossiles pour comprendre les formes de vie ayant existé au cours des temps géologiques. Cet attrait ne l’a pas quittée. Il n’est pas rare qu’Amélie Lachapelle, lors de ses balades, portée par une fascination inépuisable, ramasse un vieil os ou une roche portant la trace d’un organisme minéralisé. 

Quand j’ai dit à mes ami⋅es que je faisais un doctorat, ça ne les a pas du tout surpris⋅es. Iels m’ont répondu qu’en fait, j’avais commencé ma thèse en maternelle

La recherche, ancrée dans son ADN

Comme beaucoup de jeunes, Amélie Lachapelle a hésité quant à son avenir. Elle qui avait veillé à ne se fermer aucune porte en choisissant, à l’école secondaire, une option à la fois littéraire et scientifique, ne savait pas quoi faire de sa vie. 

“J’hésitais également avec scientifique spécialisée en signes paranormaux, parce que je m’intéressais aux possibilités de vie extraterrestre, un peu trop influencée par une série sur cette même thématique. J’ai finalement écarté ces différentes possibilités d’enfant pour me concentrer sur le droit, sur recommandation d’une conseillère en orientation. Suite aux tests qu’elle m’avait fait passer, elle était convaincue que j’étais faite pour cette filière. Et ça s’est révélé être un bon choix.”

“Le droit, on peut l’étudier de l’extérieur sous les angles historique et sociologique que je chéris. Cette posture de spectateurice, je l’adopte volontiers dans ma vie. En soirée, je vais être celle qui observe, qui analyse ce qui se passe. De nature très curieuse, je suis une chercheuse dans l’âme, qui apprécie croiser différentes expertises. Quand j’ai dit à mes ami⋅es que je faisais un doctorat, ça ne les a pas du tout surpris⋅es. Iels m’ont répondu qu’en fait, j’avais commencé ma thèse en maternelle”, explique-t-elle en riant.

Une âme d’artiste

En parallèle de son profond intérêt pour la construction du savoir, Amélie Lachapelle a été immergée dans le milieu artistique. Pas moins de 14 années comme pianiste et danseuse classique, ainsi que 6 années à fouler la scène au théâtre : à l’Académie, elle se sentait bien. Mais une fois entrée à l’université, mener ces activités en plus de ses études s’est vite révélé difficile. “Quand j’avais une répétition générale jusqu’à 23h à Binche, et que je devais être le lendemain à 8h30 aux cours à l’UNamur, c’était assez challenging. J’ai réussi la première année, mais j’ai dû abandonner parce que j’avais vraiment du mal à combiner les deux mondes.”

“Aussi, alors que j’étais très créative auparavant, j’ai développé des blocages. Je n’avais pas perdu confiance en moi, ça non, mais étant entrée dans une autre dynamique intellectuelle, je voyais les choses différemment. J’étais davantage stressée, j’avais plus de difficulté à faire le vide.” 

Désormais, Amélie Lachapelle souhaite rouvrir sa vie aux dimensions créatives. La première étape fut d’acheter un piano. “Lorsque je l’ai installé chez moi l’an dernier, j’ai énormément joué. Ça me manquait tant ! Actuellement, je suis en train de lancer ma carrière académique, cela demande du temps et de l’énergie. Mais j’ai comme projet de laisser davantage de place à cette part créative. Et ce, tant sur le plan personnel que professionnel.”

“J’essaie peu à peu d’intégrer plus d’activités créatives et artistiques au sein de mes cours, car il est fondamental pour les étudiant⋅es de développer ces compétences. Ce sont celles-ci qui leur permettront d’innover et de venir avec d’autres solutions que celles reçues, parfois passivement, sur les bancs de l’université. C’est essentiel dans le cadre de la transition écologique. La créativité, c’est quelque chose qui se travaille et s’entretient. En étant moi-même davantage créative, je souhaite leur montrer l’exemple et les soutenir dans cette démarche.”

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