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Dorothée Goffin : “L’alimentation technologique de demain sera plus saine qu’aujourd’hui”

Auteurice de l’article :

Laetitia Theunis

Chimiste et océanographe de formation, Laetitia a troqué son tablier de chercheur contre une plume de journaliste par passion pour la vulgarisation scientifique. Elle a fait ses armes au Soir, avant de rejoindre le Vif et de devenir rédactrice en chef du Daily Science. Adepte de la randonnée et de la cuisine sauvage, elle aime s'immerger dans la nature et sortir des sentiers battus.

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Développer la “food 4.0”, c’est son quotidien. Dorothée Goffin est directrice du Smart Gastronomy Lab. Un laboratoire de l’ULiège qui s’efforce de faire le lien entre les mondes culinaire, alimentaire et technologique.

“Quand j’étais enfant, j’ai sorti à mes parents que plus tard, quand je serai grande, je voulais être Danone pour inventer de nouveaux goûts de yaourts. J’ai développé très tôt un fort attrait pour l’innovation alimentaire et les produits bons pour la santé”, explique sans détour Dorothée Goffin. Ingénieure chimiste et des bio-industries de l’Université de Liège, puis docteure en sciences agronomiques et en ingénierie biologique de la même université, elle a co-fondé en 2015 le Smart Gastronomy Lab (SGL). Situé sur le site de la faculté de Gembloux Agro-Bio Tech, ce laboratoire de recherche en sciences gastronomiques vise notamment à aller chercher ce qui est intéressant dans les nouvelles technologies en vue d’anticiper l’alimentation du futur. Celle-ci sera davantage axée sur l’humain, et les produits seront moins transformés, plus naturels et plus sains que l’offre actuelle de l’agro-industrie.

©Twodesigners

“L’agro-alimentaire et l’alimentation sont les dernières grandes thématiques qui n’ont pas encore intégrés les technologies numériques. Or, il est important d’aller y chercher des solutions créatives pour mieux suivre les procédés de transformation des aliments ou le comportement du consommateur. Dans notre optique, l’alimentation technologique, ce n’est pas développer une cuisine hyper-connectée avec des robots qui mitonnent le repas à notre place, mais c’est s’aider des technologies pour améliorer les processus menant à des produits plus simples et plus sains.”

Lacto-fermentation monitorée par capteurs

Jusqu’il y a peu, industrialiser l’alimentation consistait à produire à très large échelle : tout était permis, y compris un recours outrancier à la chimie, afin d’améliorer les rendements et la qualité tout en maîtrisant les process pour ne pas empoisonner les consommateurices. L’idée défendue au SGL est de faire un pas en arrière, de moins transformer les matières premières, de ne travailler qu’avec des produits naturels, de s’axer sur les circuits-courts, tout en produisant des aliments qualitatifs à moyenne voire grande échelle afin de nourrir un maximum de personnes.

©Capture d’écran du TEDx de Dorothée Goffin

Un exemple, c’est la lacto-fermentation, un procédé simple de transformation et de conservation des aliments qui existe depuis la nuit des temps, menant à des produits sains. “Lorsque l’on réalise des lacto-fermentations à l’échelle de sa cuisine, on est capable de maîtriser le processus grâce à une série de marqueurs : l’acidité, le fait que ça ne sente pas mauvais, la couleur. Mais si l’on est un·e producteurice local·e qui veut lacto-fermenter une partie de sa production pour la vendre tout au long de de l’année, il est nécessaire d’avoir des outils simples permettant de suivre ces paramètres de manière précise. Et ce, afin d’avoir une sécurité alimentaire au niveau de l’exploitation, et de ne pas poser de problèmes sanitaires chez les consommateurices. Ces outils, nous les développons en intégrant les nouvelles technologies.”

Définir le profil de consommation

Avec son équipe, Dorothée Goffin planche également sur un sous-plateau repas connecté. Il enregistre les mouvements, mais aussi les forces et les pressions exercées sur l’assiette posée sur sa surface. La première application est de suivre le comportement des pensionnaires de maison de repos lors des repas.

“Le prototype permet de suivre un certains nombre de paramètres, et éclaire sur la façon de manger. Si celle-ci change au cours du temps, en quantité ingérée ou en durée du repas ou autre, cela peut être révélateur de soucis de santé en cours ou à venir si une dénutrition s’installe. Le plateau est un outil d’aide à la décision à destination du personnel soignant.” Un test grandeur nature a été mené récemment dans une maison de repos de Gembloux : 6 plateaux ont été testés auprès de 6 pensionnaires pendant 6 semaines. Les données sont en cours de traitement. “Toutefois, on a déjà pu voir toutes les difficultés d’intégrer ce type d’outil technologique dans des conditions réelles. Le prototype va être modifié, ainsi que la façon de capter les données et de les traiter. Nous espérons le commercialiser d’ici 2 ou 3 ans, en fonction des projets de recherches et des subsides.”

©Smart Gastronomy

Les applications peuvent s’imaginer au-delà des maisons de repos. Ainsi, lors du dernier KIKK festival, sur les tables d’un restaurant gastronomique à la confluence, 60 assiettes étaient supportées par un plateau connecté. “Ces 60 couverts ont été traités en parallèle. À la fin du repas, toustes les convives ont pu découvrir leur profil de consommation.” Car oui, lorsqu’un aliment que l’on n’a jamais mangé auparavant trône dans l’assiette, notre comportement change. Certain·es ont un mouvement de recul, de rejet, on parle de néophobie ; alors que d’autres, les néophiles, se réjouissent de goûter ce qui est inconnu à leur palais.

Le sport créatif

La quarantaine pétillante, Dorothée Goffin est maman de 3 enfants. Après avoir expérimenté des nouvelles manières alimentaires toute la journée, est-elle créative en cuisine une fois rentrée dans ses pénates ? “J’ai beaucoup de contraintes chez moi et, malheureusement, pas beaucoup de temps. Créative aux fourneaux, j’essaie de l’être, mais surtout j’opte pour des produits locaux et j’en fais des repas simples. Il ne faut pas toujours être compliqué·e en cuisine, l’important est de bien cuisiner et de prêter une grande attention à la qualité des produits que l’on mange.”

Dorothée Goffin baigne dans le milieu des start-up depuis la fin de sa thèse. Riche des résultats de sa recherche doctorale sur les fibres prébiotiques, elle a créé un projet de spin-off, IMONIC. “Ensuite, la législation a changé au sujet des fibres prébiotiques. Au même moment, j’ai été nommée au sein de l’université, et la spin-off n’a pas continué. Par contre, depuis la création du Smart Gastronomy Lab avec Eric Haubruge, nous avons créé plusieurs start-up, notamment la miam factory qui fait de l’impression 3D en chocolat et de la gravure laser sur macaron. On est aussi impliqué dans la start-up Living Forest qui sortira bientôt des kombuchas produits à base d’essences de la forêt wallonne sous la marque So Wood.”

©Smart Gastronomy

Cet esprit entrepreneurial, cette volonté à aller toujours de l’avant, Dorothée Goffin le doit certainement à son amour du sport. “Je suis une grande sportive. Je fais de la course à pied, de l’escalade, du vélo. J’ai fait beaucoup de compétition quand j’étais plus jeune, alors, aujourd’hui, le sport, c’est juste pour le plaisir. Cela peut aider dans le dépassement de soi, dans l’hygiène de vie. Je me ressource en marchant dans la forêt, dans la montagne. Et quand je cours, c’est là où je suis la plus créative. Cela m’oblige à courir tous les jours !”


Ce contenu vous est proposé dans le cadre de Propulsion by KIKK, un projet de sensibilisation au numérique pour et par les femmes.

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