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Des jumeaux biologiques et numériques de cancers du sein

Auteurice de l’article :

Laetitia Theunis

Chimiste et océanographe de formation, Laetitia a troqué son tablier de chercheur contre une plume de journaliste par passion pour la vulgarisation scientifique. Elle a fait ses armes au Soir, avant de rejoindre le Vif et de devenir rédactrice en chef du Daily Science. Adepte de la randonnée et de la cuisine sauvage, elle aime s'immerger dans la nature et sortir des sentiers battus.

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80% des femmes souffrant d’un cancer du sein hormonodépendant reçoivent une chimiothérapie sans que cela ait le moindre effet. Pour mieux comprendre ce phénomène de résistance et proposer un traitement adéquat et personnalisé, des chercheur⸱ses lancent le projet “BiDiTwins”. Cette recherche novatrice s’appuie sur des jumeaux numériques et biologiques de cancers du sein.

Il y a des records dont on se passerait bien. Au niveau mondial, la Belgique est le pays avec le taux d’incidence de cancers du sein le plus élevé : une femme sur 8 en sera atteinte durant sa vie. La raison ? Les spécialistes l’ignorent. Même s’iels pointent plusieurs facteurs de risques : avoir peu d’enfants, les avoir tardivement, fumer, boire de l’alcool ou encore une piètre qualité de l’environnement. 

Chaque année, dans notre pays, ce sont ainsi quelque 11.300 femmes qui développent une tumeur de la glande mammaire, selon la Fondation contre le cancer. On parle souvent du cancer du sein au singulier. Et pourtant, il y en a au moins de 3 types différents. Le plus fréquent, rencontré dans environ deux tiers des cas, c’est le cancer hormonodépendant (RH+/HER2-). Dans ce cas, les cellules cancéreuses sont sensibles aux œstrogènes et à la progestérone – des hormones sexuelles féminines – secrétée par les ovaires, mais n’expriment pas le récepteur à la protéine HER2. 

Image générée avec DALL·E

Coup de poker

Lorsque ce diagnostic est posé, une thérapie unique est proposée à toutes les patientes. Elle débute par une chimiothérapie néoadjuvante, c’est-à-dire administrée au préalable de la chirurgie dans l’espoir de faire maigrir la tumeur. 

“Actuellement, on l’applique sans savoir si la patiente va y répondre positivement ou négativement. En effet, pour 20% des malades, la réponse à ce traitement est positive : lors de la chirurgie, on observe qu’il n’y a plus ou quasi plus de cellules cancéreuses. Mais pour 80% des patientes, la chimiothérapie néoadjuvante ne fonctionne absolument pas. Et on ne s’en rend compte qu’au bloc opératoire : les cellules cancéreuses sont toujours présentes massivement. Elles sont alors retirées”, explique Pr Cyril Corbet. 

Ensuite, toutes les patientes reçoivent de la radiothérapie et des traitements endocriniens. Mais là où la différence se marque à nouveau, c’est dans l’espérance de vie en bonne santé. Les femmes résistantes à la chimiothérapie néoadjuvante ont 40 % de risque de développer un stade avancé de la maladie, contre 15 % pour les patientes qui y ont répondu positivement. “La réponse à la chimiothérapie néoadjuvante va prédestiner l’évolution de la maladie après la chirurgie et les traitements endocriniens classiques.”

Mieux comprendre et prédire

Face à l’usage de ce traitement coûteux et inconfortable présentant finalement des bénéfices limités, un consortium de chercheur·ses a créé le projet BiDiTwins (pour Biological and digital tumour twins). Iels sont spécialisé·es dans le cancer du sein, la biologie moléculaire et cellulaire, l’imagerie et la modélisation mathématique.

Le premier axe de recherche de  BiDiTwins a pour objectif de comprendre les mécanismes à l’origine de la résistance à la chimiothérapie néoadjuvante. “Nous nous penchons sur le métabolisme des cellules cancéreuses de ces patientes. C’est-à-dire sur la façon dont ces cellules s’alimentent pour produire de l’énergie, pour construire les briques qui vont leur permettre de se diviser, de se multiplier”,  explique Pr Cyril Corbet.

“Nous cherchons également à comprendre la communication intercellulaire. En effet, dans une tumeur, il n’y a pas que des cellules cancéreuses, il y a aussi des cellules immunitaires, des fibroblastes (cellules issues du tissu conjonctif, NDLR). Toutes ces cellules communiquent entre elles et leur conversation participe à l’échappement aux thérapies de manière générale.”

Le deuxième axe de la recherche est de prédire le comportement de la tumeur face au traitement, et donc d’identifier des mécanismes de résistance. Mais aussi de proposer aux oncologues un traitement plus adéquat le cas échéant, grâce à des expérimentations menées au laboratoire. 

Modèles biologique et numérique

Pour ce faire, les scientifiques construisent deux modèles. L’un est biologique, l’autre numérique.

Sur base des biopsies des tumeurs des patientes, ils cultivent les cellules cancéreuses et forment des organoïdes. “Il s’agit d’un jumeau biologique, d’une mini-tumeur créée au départ de la tumeur de la patiente et qui mime le comportement de celle-ci”, précise Cyril Corbert. Autrement dit, quand on administre de la chimiothérapie à ce jumeau biologique, il indique si la tumeur mère y est résistante ou pas. “Dès lors, si on parvient à créer rapidement ces organoïdes, on pourra prédire si la patiente répondra au non à la chimiothérapie néoadjuvante.”

Quant aux jumeaux numériques, il s’agit de modélisations mathématiques. Données d’imagerie, données biologiques, marquages réalisés en clinique : toutes les données de chaque patiente sont intégrées. Sur cette base, des équations mathématiques complexes modélisent la tumeur. Et, à terme, devraient permettre de prédire la réponse à la chimiothérapie.

Personnalisation de la prise en charge thérapeutique

En Belgique, la chimiothérapie néoadjuvante se déroule toujours en suivant le même schéma. La patiente se voit administrer deux composants chimiques ensemble, l’épirubicine et la cyclophosphamide, selon un certain nombre de cycles. Ensuite, elle reçoit d’autres molécules appelées taxanes. 

“Ces 3 types de chimiothérapies sont utilisés chez toutes les patientes. Grâce aux jumeaux biologiques et numériques, on va pouvoir tester différentes combinaisons et séquences d’administration de ces molécules. Et peut-être voir que 4 cycles sont préférables à 3, ou qu’il faut plus de taxanes et moins d’épirubicine chez une telle patiente. » 

Une grande base de données 

“Jumeaux biologiques et numériques sont intimement liés. Les observations faites sur les premiers alimenteront les seconds et permettront de les affiner. Dès lors, plus le nombre de patientes intégrant le modèle est grand, plus celui-ci peut s’entraîner et être précis. On vise clairement la réalisation d’une médecine personnalisée”, poursuit Cyril Corbet. 

“Comme on concentre nos efforts sur un sous-type de cancer très fréquent, on va avoir accès à beaucoup de matériel biologique et numérique.” Le projet a démarré début septembre 2023, et 4 patientes ont été intégrées au projet au cours du premier mois. Les scientifiques espèrent l’inclusion mensuelle de 5 à 10 patientes. “Pour l’instant, nous travaillons exclusivement avec les Cliniques universitaires Saint-Luc. Mais nous discutons pour nous ouvrir à d’autres centres, comme l’Institut Bordet. En effet, plus on aura de patientes, plus le modèle et ses prédictions seront précis, et plus le traitement pourra être personnalisé, et donc efficace”, conclut Cyril Corbet.

Le projet BiDiTwins est financé à hauteur de 910.000 euros par l’administration de la recherche de l’UCLouvain. En tout, 15 personnes se retroussent les manches pour faire avancer cette recherche ambitieuse et nécessaire.

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