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La robotique durable s’offre une résidence ArtScience

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Explorer comment les robots et autres automates peuvent contribuer à la durabilité dans un monde où ils sont de plus en plus présents. Tel est l’objectif formulé par la résidence de recherche Sustainable Robotics, à la croisée des arts et des sciences. Une initiative portée par un organisme bruxellois qui soutient activement le décloisonnement entre ces disciplines.

Fondée en 2017, l’asbl Ohme (prononcé « home », à l’anglaise) soutient et offre son expertise à des artistes, entre autres à travers diverses résidences artistiques et techniques. Leur ambition ? Créer des synergies entre les sciences et les arts pour favoriser la production artistique, l’accès à certaines technologies ou compétences, ou encore parler de recherche et de sujets sociétaux différemment. Parmi le cru de résidences 2024, la thématique de la robotique durable a notamment été retenue. « Tout est parti du fait qu’on collabore très étroitement avec le milieu universitaire, retrace Camilla Colombo, directrice artistique et curatrice chez Ohme. Avec l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et son pendant flamand, la Vrije Universiteit Brussels (VUB), mais surtout avec des instituts de recherche spécialisés comme le Brussels Institute for Advanced Studies (BrIAS) et FARI, un institut de recherche en intelligence artificielle, en data et en robotique qui se focalise sur la question de l’intérêt général. La ‘robotique durable’, c’est une idée sur laquelle on a posé des mots, mais le domaine reste à inventer. C’est ce qui rend les perspectives de recherche intéressantes pour cette résidence. »

« Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut pas se contenter d’approcher la robotique durable uniquement par son prisme environnemental. Dans la robotique aussi, la durabilité se doit d’être sociale et économique. »

Camilla Colombo, Ohme

Des structures internationales s’organisent déjà autour du concept, comme Sustainable Robotics. Première communauté universitaire de robotique durable. Dans leurs approches respectives, Sustainable Robotics ou bien FARI envisagent d’ailleurs le développement des nouvelles technologies telles que la robotique comme un levier d’action pour atteindre les 17 objectifs de développement durable adoptés par les Nations Unies en 2015. Les fameux « SDGs », pour Sustainable Development Goals. « Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut pas se contenter d’approcher la robotique durable uniquement par son prisme environnemental, commente Camilla Colombo. Dans la robotique aussi, la durabilité se doit d’être sociale et économique. »

De janvier à mai de cette année, la crème de la crème des expert·es internationaux·ales en robotique se sont relayé le micro afin de présenter leurs recherches aux deux artistes sélectionnés dans le cadre de la résidence. Une manière d’inspirer et de créer de l’échange interdisciplinaire, sans forcer quelconque résultat. « L’objectif de cette résidence, c’est qu’il n’y a pas d’objectif, ironise Raoul Sommeillier, co-fondateur d’Ohme. Pas au sens propre du terme en tout cas. Les artistes ne doivent pas nous fournir un livrable à l’issue du programme. Ils donneront peut-être naissance à des prototypes, ou bien à de la documentation écrite. Le temps et les ressources sont plutôt allouées à l’exploration et la recherche, ce qui est assez rare lors de résidences de ce type. »

Sortir de l’anthropocentrisme de la machine

Lorsqu’on pense « robotique durable », l’image qui nous vient facilement est celle de robots autosuffisants trieurs de déchets. Des machines utiles à la société de demain, certes, mais dans une approche utilitariste. Chez le duo d’artistes cependant, en plus d’un intérêt marqué sur une durabilité holistique des robots, on remarque la même volonté de développer une réflexion critique sur le rapport qu’entretient l’humain·e à la machine. Dewi Brunet, artiste plieur que kingkong avait déjà rencontré pour un précédent papier, poursuit ses recherches sur notre sensibilité au règne végétal. « Cette résidence s’inscrit à travers les itérations que je mène sur les imaginaires robotiques, décrit-il. Je suis convaincu que de nouveaux hybrides automatisés peuvent changer nos perceptions, nous extraire de l’anthropocentrisme que l’on nourrit actuellement dans le développement de nouvelles machines. Cela devra notamment passer par davantage de biomimétisme (ndlr, un processus d’innovation qui s’inspire du vivant). »

« On fabrique des robots très pointus qui répondent à un besoin unique, mais qui apportent d’autres problèmes. Sans parler du fait qu’ils deviennent vite obsolètes. »

Dewi Brunet, artiste plieur

Grâce à l’appui des chercheureuses, l’artiste bruxellois souhaiterait développer des pliages automatisés avec d’autres matières que du papier. Pour ce faire, il investigue des matériaux biosourcés. « J’ai déjà fait du pliage avec un champignon de kombucha séché, mais j’ai découvert l’existence d’un biomatériau dit ‘self-healing’. Ce caractère auto-cicatrisant me fascine car j’ai parfois l’impression que la robotique est un domaine d’innovation extrême qui tourne en rond. Les scientifiques le disent elleux-mêmes : on fabrique des robots très pointus qui répondent à un besoin unique, mais qui apportent d’autres problèmes. Sans parler du fait qu’ils deviennent vite obsolètes. »

High tech versus low tech, électronique adaptative, inspiration du vivant… Des réflexions que l’on retrouve également chez l’artiste flamand Kris Verdonck. S’il expose des élucubrations bien plus pessimistes que Dewi, la pratique artistique de Kris s’inscrit également dans une exploration de la relation humain·e-machine. « Je n’ai pas beaucoup d’empathie pour les machines qui nous entourent. Je me suis longuement porté sur l’exploration de leur destruction, de l’explosion aux notions de déprivation. Ma grande question de recherche lors de cette résidence sera de trouver des manières de reproduire le fonctionnement du vivant tout en étant le plus autosuffisant que possible. » Plus concrètement, comment utiliser l’énergie du vent et du soleil pour mouvoir des œuvres qui répliquent le rythme de notre environnement. Pas si simple dans un monde qui a mis sur pied des mécanismes qui fonctionnent toujours à flux tendu, aussi bien par faible ensoleillement que par grand soleil.

Décloisonner les mondes artistico-scientifiques

Vous l’aurez peut-être soulevé dans le titre : le terme « ArtScience » est relativement récent. Employé pour la première fois par l’artiste américain Todd Siler dans son livre « Breaking the mind barrier » en 1990, de plus en plus de chercheureuses, d’ingénieur·es ou d’artistes s’approprient la notion pour réfléchir à de nouvelles façons de mettre en relation des personnes d’horizons erronément pensés comme opposés. L’ArtScience n’est pas purement l’art auquel on aurait adjoint la science. Il transcende plutôt toutes leurs formes de connaissance. « Historiquement, la séparation entre les disciplines artistiques et scientifiques arrive relativement tard, commente Raoul Sommeillier. Au plus la production de la connaissance a évolué, au plus le domaine académique a organisé cette connaissance et sa production. Le concept de discipline naît autour du 18ème siècle, avec la révolution industrielle surtout. Et il faut souligner que cette distinction a été plus que bénéfique. Elle a notamment permis le développement de langages intra-disciplinaires, la spécialisation des chercheur·euses, et en finalité, le progrès. Mais aujourd’hui, les enjeux de société ont changé. On ne peut plus se baser sur une vision mono-disciplinaire pour régler des problèmes globaux. D’où l’intérêt de soutenir la rencontre entre les disciplines. »


Même si l’œuvre livrable n’est pas la cible de la résidence Sustainable Robotics, Ohme offrira tout de même une opportunité d’exposition à l’ensemble des artistes accueilli·es en résidence en 2024. L’organisation vise le début 2025. Date et lieu à définir. À suivre sur ohme.be.

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