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L’effet Matilda ou la gloire usurpée des femmes de sciences

Auteurice de l’article :

Cassi Henaff

Cassi ou Cassiopée (pour les très intimes) \ nom propre : prénom féminin \ Synonyme : couteau suisse - Objet présentant des outils ingénieusement assemblés à un couteau pour tenir dans une poche et répondant à de multiples fonctions ; Femme un peu folle, passionnée par la combinaison de l’art et du numérique, pédagogue et féministe, engagée dans des projets porteurs de sens ; Animal qui n’a pas sa langue en poche ; Pile électrique qui ne sait pas choisir entre les burgers et les pizzas, qui marche beaucoup, mange beaucoup, rit beaucoup, et travaille beaucoup.

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L’effet Matilda, c’est lorsque les hommes s’approprient le travail intellectuel des femmes scientifiques et qu’ils récoltent les éloges, au détriment des femmes qui sont mises de côté et oubliées au fur et à mesure de l’histoire.

Si on vous demande le nom d’une femme scientifique connue, ce sont souvent Marie Curie et Ada Lovelace qui viennent en tête. Ces dernières font clairement figures d’exception dans l’histoire. Mais comment expliquer que les femmes, qui sont déjà peu nombreuses dans le champ des sciences, soient carrément zappées de l’imaginaire collectif ?

Les femmes aux arts et les hommes aux maths

Deux phénomènes corrélés peuvent expliquer cette triste réalité. D’abord, au 17-18-19ème siècle, l’éducation des femmes était relative : celles issues d’une classe populaire bossaient très jeunes pour survivre et les bourgeoises étaient confinées aux rôles de mères, épouses et dames d’entretien – salut la servante écarlate. Les écoles n’accueillaient que peu de jeunes filles et lorsqu’elles étaient permises d’étudier, les domaines scientifiques étaient réservés principalement aux garçons. En bref si vous étiez une mordue des maths, il fallait avoir des tunes, une famille soutenante, des contacts, être armée de courage et avoir un répondant de feu – Spoiler alert : c’est encore souvent le cas en 2024.

À côté de cette réalité sociétale, il faut rendre compte des stéréotypes de genre : on attend des femmes qu’elles soient douces, calmes, consciencieuses et sensibles. Les hommes sont plutôt forts, logiques et tenaces. Il semble donc évident que les femmes se dirigent vers des études artistiques, littéraires et de soin, alors que les hommes s’orientent vers la construction, l’ingénierie et les sciences.

N’allez pas croire que c’était il y a longtemps :  en 2022, seulement 27% des filles en secondaire disent être intéressées par les STEAM (Sciences, Technologies, Ingénierie, Arts et Maths). Julie Henry, Docteure en didactique de l’informatique et sciences de l’éducation à l’UNamur s’étonne : “à l’école primaire, deux tiers des enfants ont un intérêt pour la science. Mais au cours des années d’école secondaire, le pourcentage des filles intéressées par ces matières chute de manière spectaculaire.”

Portraits de femmes scientifiques oubliées

Du coup, pour donner envie aux jeunes d’aller stimuler leur potentiel tech-sciences-math, le studio de podcasts éducatifs “Graines de son” a imaginé un projet : celui de raconter l’histoire de femmes scientifiques oubliées. Ces animations d’une journée questionnaient les stéréotypes de genre dans la vie quotidienne mais aussi dans les métiers. Après avoir longuement débattu, chaque classe était amenée au micro à conter la vie passionnante d’une victime de l’Effet Matilda.

Zoom sur le portrait de chacune de ces badass !

SOPHIE GERMAIN

Sophie Germain est née au 18ème siècle. Malgré l’opposition de ses parents, elle continue de s’instruire secrètement. À 18 ans, elle souhaite entrer à l’École Polytechnique, mais les femmes n’y ont pas accès. Déterminée, elle se procure les cours d’un étudiant et se fait passer pour lui : Antoine Auguste Le Blanc. Son prof, Lagrange, impressionné par ses travaux, cherche à rencontrer ce “Le Blanc”. Lorsqu’elle se présente, elle dévoile son identité. Lagrange devient ainsi son mentor. Sophie usera de la même stratégie pour faire relire sa théorie des nombres par Gauss. Ses incroyables recherches mathématiques contribuent à la construction de la Tour Eiffel. Mais, à son décès en 1831, l’officier d’état note sur le registre national : femme sans profession et son nom ne sera jamais inscrit sur le monument parisien.

GLADYS WEST

Gladys West est née en 1930 en Virginie, dans une famille afro-américaine très pauvre. Malgré la ségrégation raciale, elle excelle à l’école et développe une passion pour les mathématiques. Elle obtient une bourse pour l’université et travaille comme nounou pour se loger. En 1952, elle obtient un master et devient professeure de maths. En 1955, elle rejoint le Naval Proving Ground, où elle rencontre son mari et commence une carrière en programmation informatique. Elle sera appelée personnellement pour bosser sur l’IBM7030, l’ordinateur le plus puissant à l’époque. Ses recherches permettront de modéliser la Terre avec une grande précision, contribuant à la création du GPS. Méconnue pendant des décennies pour son travail incroyable, elle sera finalement reconnue en 2018 et intronisée au Temple de l’US Air Force.

ROSALIND FRANKLIN

Rosalind Franklin est née en 1920 à Londres, dans une riche famille juive. Encouragée par sa mère, elle étudie la chimie à Cambridge. Après son diplôme, elle obtient une thèse en physique et chimie et elle travaillera sur les rayons X. En 1950, Rosalind rejoint le King’s College de Londres et entre dans une course effrénée sur l’ADN. Elle travaille avec un homme qu’elle n’apprécie guère : Maurice Wilkins est de nature timide, taiseux. Rosalind, elle, a un tempérament de feu, adore les débats et est coriace ! Quelques années plus tard, grâce à son expertise des rayons X, elle découvre que l’ADN a une structure en double hélice. Maurice s’empare de son travail et le transmet sans son consentement à deux concurrents : Watson et Crick. Ils publient à trois la découverte et reçoivent le Prix Nobel en 1962, sans mentionner Rosalind.

ANNIE JUMP CANNON

Annie Jump Cannon est née en 1863. Encouragée par sa mère, elle développe un intérêt pour les sciences et utilise l’observatoire familial pour étudier les étoiles. Après des études brillantes au Wellesley College, elle s’éloigne temporairement des sciences pour se consacrer à la photographie. À 30 ans, elle contracte la scarlatine et perd une grande partie de son audition. Le décès de sa mère en 1894 la pousse à revenir à l’astronomie. Embauchée comme calculatrice humaine à l’Observatoire de Harvard, elle classe des milliers d’étoiles, devenant une experte mondiale. Son système de classification des étoiles est encore utilisé aujourd’hui.

MILEVA MARIC

Mileva Maric est née en 1875 en Serbie. Passionnée par les mathématiques et les sciences dès son jeune âge, elle intègre divers établissements prestigieux, souvent réservés aux garçons, grâce aux contacts privilégiés de son père militaire. En 1896, elle s’inscrit à l’Université de Zurich où elle rencontre Albert Einstein. Leur relation amoureuse commence et, bien que brillante, Mileva interrompt ses études. Le fait de tomber enceinte et d’être maman la coince. Elle arrête donc ses études mais aide sans relâche son mari dans les siennes.

De nombreux témoignages prouvent que Mileva a grandement participé à la formule de la relativité. Einstein dira le contraire voulant récolter les compliments pour sa seule personne. Elle recevra de l’argent pour le Prix Nobel d’Albert – bah tiens ! – mais finalement, elle ne sera jamais reconnue publiquement.

On vous rassure de suite : on bosse dur pour créer une nouvelle salve de podcasts sur l’Effet Matilda! Du coup : vous auriez envie d’entendre l’histoire de quelle femme de sciences dans les prochains épisodes ? On attend vos recos!

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