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Quand le KIKK arrive en ville

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Dans une volonté toujours plus forte d’ouverture au grand public, l’exposition KIKK in Town a cette année investi une dizaine de lieux intérieurs et extérieurs du tout Namur pour déployer une cinquantaine d’œuvres. Comprenant à la fois de grands espaces de monstration, des installations interactives et des univers performatifs, kingkong s’est aussi laissé tenter par ce parcours d’art alléchant.

Après avoir fait les comptes, les organisateurices ont annoncé la couleur : le KIKK Festival a attiré quelque 28.000 visiteureuses du jeudi 26 au dimanche 29 octobre derniers. En plus des plus de 2.800 professionnel·les du secteur venu·es assister aux nombreuses conférences, le rendez-vous namurois des cultures numériques et créatives a notamment accueilli 25.000 personnes pour son exposition KIKK in Town. C’est vrai que lors de notre passage, ça joue des coudes à plusieurs points clés du parcours pour apercevoir les œuvres et autres installations artistiques. Les espaces intérieurs sont parfois pris d’assaut avec le temps maussade. Mais c’est aussi grâce à un prix d’entrée unique et inclusif de 5€ que l’expo draine autant de monde. On croise d’ailleurs de nombreuses familles en quête de surprises techno-artistiques. “En-dessous de 16 ans, l’entrée est même gratuite, ça donne envie de venir y passer son samedi après-midi avec les enfants”, lance une mère de famille, la main gauche sur une poussette et la droite dans la main de sa fille de huit ans. 


Devant la curieuse “machine à bulles”, comme la petite s’amuse à le répéter, nous aussi, on se laisse aller au jeu et on tourne la manivelle pour créer nos écrans de savon. C’est dans une salle du Delta que notre périple artistique débute. Et là, aussi, que l’œuvre “Solaris” et sa dynamique fluide hypnotise les bambins. Les reflets de lumières et de couleurs, que l’artiste Nicky Assmann nomme “hypercouleurs”, s’apprécient jusqu’à ce que les filets savonneux éclatent. De l’autre côté du mur, notre regard se pose ensuite sur “Imaginarium of Tears“, les micrographies de larmes du Néerlandais Maurice Mikkers. Le mystère reste entier car on ne saura pas si les propriétaires de ces larmes ont vécu des évènements joyeux ou plus douloureux, mais les motifs cristallins qu’elles créent au microscope nous laissent sans voix.

“Imaginarium of Tears” de Maurice Mikkers – © Quentin Chevrier

Autre installation qui bouscule notre sensibilité au mouvement : “Cycles“, de Martin Messier. Huit fils de lumière qui dansent et se déploient devant nous de manière cyclique mais tout autant imprévisible. Chacun·e est convié·e à s’interroger sur sa propre relation aux cycles et aux recommencements qui cohabitent tout autour de nous dans la nature et nos relations.


En se dirigeant vers le Théâtre de Namur, on pense naïvement s’aérer l’esprit en assistant à une performance. Sans un bruit, nous pénétrons l’amphithéâtre plongé dans un presque silence et enfilons un casque sans fil. Sous les projecteurs, un jeune homme semble être en transe. Son bas-ventre est équipé d’une étrange machine. Il s’autorise quelques gorgées d’un liquide noirâtre. “GUT“, boyaux ou intestins en français dans le texte, de la réalisatrice et sociologue néerlando-iranienne Diane Mahín, propose de faire entendre l’intérieur du bide humain. En concordance aux sons amplifiés dans nos oreilles, le performeur réagit et attire ainsi l’attention sur le raisonnement entre conscient, instinct et subconscient. Une expérience viscérale, absurde pour certain·es spectateurices qui en ressortent l’estomac tout retourné. Nous, on trouve ça trippant.

Au Pavillon nous irons

Après ce préambule artistique, nous nous mettons en route pour le Pavillon. L’exposition Capture #2 qui s’y déroule jusqu’au 15 janvier est également comprise dans le parcours du KIKK in Town. Les plus sportif·ves s’y rendent à pied. Deux kilomètres de marche pour une bonne centaine de mètres de dénivelé positif. Une mise en jambe que d’autres préfèrent substituer à un trajet en téléphérique. Même si la file peut décourager, elle s’estompe plus rapidement depuis l’ajout de quelques cabines l’an dernier. Les plus futé·es ont compris l’astuce : grimper à bord du téléphérique namurois durant la pause de midi. La vue imprenable sur la capitale wallonne en vaut toujours la peine. Et une fois sur les hauteurs de la Citadelle, le centre d’arts numériques à l’allure de station astronomique nous attend.

© Quentin Chevrier

Capture #2, on vous en a déjà parlé sur kingkong à travers un article et divers portraits d’artistes exposé·es. Deuxième volet d’une série d’expositions conçues pour rendre visible la scène des arts numériques sur le territoire belge, près de 20 artistes multidisciplinaires basé·es en Wallonie, en Flandre ainsi qu’à Bruxelles y présentent leurs projets récents. Toustes explorent les technologies pour capturer et retranscrire le monde, à leur manière. Et l’expo nous happe dès l’instant où nous passons ses portes. “Je vois un individu portant un bonnet. Je vois un groupe d’individus quittant la pièce. Je vois un individu qui ressemble à un enfant courir dans la pièce. Je vois…”, débite, en anglais un haut-parleur relié à une caméra de surveillance. L’installation “Surveillance Speaker” de l’artiste Dries Deporteer a de quoi faire sourire tant son parler est mécanique et rapide. Certain·es tentent, en vain, de lui faire dire des jurons en pointant un majeur dans sa direction. En sous-texte, l’œuvre aborde les évolutions incessantes en matière de surveillance et d’intelligence artificielle (IA).

“Surveillance Speaker” de dries Deporteer – © Tristan Lothaire

L’artiste visuelle et cinéaste Stéphanie Roland, que nous vous présentions dans un portrait il y a quelques semaines, nous propose ensuite d’entrer dans une boîte noire pour redonner vie à des portraits de personnes portées disparues avec “Missing people – Inventio fortunate“. Muni·es d’une lampe torche à diriger sur des lentilles acryliques, les visiteur·euses font apparaître des visages sur les murs. L’artiste a produit ces portraits à partir d’une IA et souhaite exprimer son indignation face à certains régimes dictatoriaux qui, encore aujourd’hui, font disparaître les corps des opposant·es à leur régime, laissant des familles en deuil dans une attente interminable.

Ambiance plus légère avec “Nemo Observatorium” de Lawrence Malstaf. Véritable machine à méditer qui fascine petit·es et grand·es, que l’on se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de ce grand cylindre en PVC. Des ventilateurs projettent des particules de polystyrène sur ses parois alors qu’un·e spectateurice peut s’asseoir en son centre. Le temps semble s’étendre, puis disparaître. Pareil devant les installations de l’artiste assembleur Vivien Roubaud, “Samare stationnaire” et “Salsifis douteux“, qui se font également la critique du contrôle expansif opéré sur le vivant.

Plus loin encore, la thématique transversale du KIKK Festival, “Bodies of Water” (ndlr, corps d’eau) refait surface. Dans “The Mamori Expedition“, Els Viaene reproduit le chemin qu’elle a parcouru à travers la forêt amazonienne brésilienne en 2009. Un bras hydrophone plongé dans une maquette du fleuve Amazone permet de se déplacer dans les méandres des sons enregistrés par l’artiste durant son expédition. Ou bien encore, dans “Nuées“, une installation à usage unique de Maxime Van Roy où des gouttes d’eau s’emballent et deviennent leur propre contenant, miroirs d’une ressource liquide qui pourrait venir à manquer.

“The Mamori Expedition” de Els Viaene – © Quentin Chevrier

Le Grand Manège, l’Institut Saint-Louis ou encore l’Espace Saintraint… Difficile en une journée de faire le tour de l’ensemble des lieux investis par le KIKK in Town. Mais en redescendant dans le centre-ville, on fait un dernier pit stop à la Halle al’Chair, ancien Musée archéologique situé dans un bâtiment historique construit au 16ème siècle. On passait par hasard sur les bords de Sambre lorsqu’on a aperçu par la fenêtre d’étranges palourdes jonchant le sol de la galerie d’art éphémère.

Présent dans ce petit espace d’exposition, comme une foule d’autres artistes qui ont fait l’honneur de se joindre à la fête et à leurs réalisations, Marco Barotti accueille les visiteur·euses dans une expérience sonore, poétique et immersive. “Clams“, réinterprétation métaphorique de la qualité de l’eau de la Sambre, s’incarne à travers une collection de palourdes factices fabriquées à partir de déchets plastiques recyclés. Des capteurs de qualité de l’eau placés dans l’eau, à quelques mètres des coquillages, confèrent à chaque palourde un léger mouvement d’ouverture et de fermeture ainsi qu’un bruitage subtil mais constant.

En reprenant la direction de la gare, et ensuite dans notre train de retour, on repense à toutes les sensibilités artistiques croisées en l’espace de quelques heures. Finalement, KIKK in Town, c’est un énorme orchestre au sein duquel chaque instrument s’exprime librement et dans le respect des autres pour ainsi faire émerger une polyphonie de créativité. On en redemande, mais il faudra revenir l’an prochain.

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