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Le printemps wallon sera numérique

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Depuis début 2024, KIKK pilote wake! : le label de la communauté créativo-numérique wallonne. En tournée aux quatre coins de la Wallonie et de Bruxelles, wake! s’est arrêté dans la capitale le 22 mars dernier dans le cadre du Printemps Numérique. Le temps d’échanger, de s’inspirer et de co-construire l’avenir du secteur.

C’est pour un double évènement bruxellois coordonné par wake! qu’une petite communauté d’opérateurices et d’entrepreneureuses de la créativité numérique est rassemblée. Il est à peine 9h30 devant iMAL, un des rares espaces entièrement dédiés aux arts numériques, installé en bordure du canal de Bruxelles. Le café brûlant réveille les esprits encore ensommeillés. Nécessaire, car la journée commence en grande pompe. “Digital Arts as a business, but how ?” interroge d’emblée AC Coopens (entendez “Comment entreprendre avec l’art numérique ?”).

Modérateurice de cette première rencontre dédiée à la présentation des résultats d’une étude d’envergure menée par le consortium DI/S (Digital Inter/Section), AC Coopens s’exprime également en tant que fondateurice de The Catalysts. Ce cabinet de conseil basé à Berlin stimule le développement d’acteurices innovant·es dans les domaines de la technologie numérique, des arts, des médias, du cinéma, de la musique ou encore du design et a également chapeauté le projet de recherche paneuropéen dont il est question en cette matinée. « De manière transversale, cette étude a eu pour but d’analyser comment les organisations culturelles actives dans les arts numériques diversifient leurs sources de revenus, à la fois avec un prisme économique, mais aussi social et environnemental », précise AC.

Des organisations de tout type y sont représentées : institutions publiques, centres d’arts privés, avec une forte participation d’organismes à but non lucratif (plus de 68% du panel). D’octobre 2022 à juin 2023, ces répondant·es des quatre continents – dont 60 institutions européennes représentant 18 pays de l’Union – ont ainsi permis de faire aboutir une recherche académique en béton armé sur un secteur peu étudié économiquement parlant.

Le nerf de la guerre

Anna Desponds, également membre de The Catalysts, curatrice, chercheuse, une casquette de sociologue non loin, prend le micro pour rentrer dans le détail. “Lorsqu’on les a questionnés sur leurs principaux canaux de monétisation, plus de 50% (55,8%, ndlr) des organismes culturels ont répondu ne pas commercialiser quoi que ce soit et s’appuyer uniquement sur des financements publics.” Ajoutons ici un autre chiffre : pour un quart des organisations interrogées, les subventions publiques représentent 75% ou plus de leurs ressources financières. “Penser la monétisation au sein du secteur artistique est un véritable tabou car l’art est considéré comme un bien culturel public”, ajoute la chercheuse. L’étude cite d’ailleurs un extrait de l’entretien avec Kristina Leipold, directrice commerciale à LAS Art Foundation, établie dans la capitale allemande. Un passage assez révélateur : “Nos billets d’entrée ne sont pas calculés de manière à compenser nos coûts (…) nous ne voulons pas vendre des tickets à 35 euros l’unité parce que nous voulons rester accessibles.”

À la lecture du titre de la recherche – “The business of digital art: economic models and insights into the future” ou, en français dans le texte, “Le business de l’art numérique : modèles économiques et perspectives d’avenir” – plusieurs faciès de l’audience font en effet la moue. “Nous devons commencer à parler d’argent au sein de l’industrie des arts numériques, insiste Anna Desponds. Dans de nombreux cas, un modèle d’entreprise approprié peut être bénéfique pour une institution et il est essentiel de considérer cet outil stratégique pour asseoir la durabilité de nos organisations culturelles.”

La suite de la présentation propose plusieurs pistes d’actions quant à des sous-thématiques couvertes par l’étude : hybridité des modèles à privilégier, oui au Metaverse en veillant à ce qu’il reste inclusif, grand oui à la coopération pour créer de nouvelles constellations d’acteurices à l’intérieur et à l’extérieur de l’écosystème des arts numériques… Jusqu’à ce qu’un invité bien connu de la scène numérique namuroise prenne place dans les sièges des conférencier·ères.

La moitié de notre temps de travail est dédiée à la recherche d’argent, en particulier d’argent public. L’autre moitié, nous devons la consacrer à justifier la répartition de cet argent public.

Gilles Bazelaire, président du KIKK

En tant que président de KIKK, partenaire du consortium DI/S, Gilles Bazelaire vient partager avec le public l’expérience de son organisation basée dans la capitale wallonne. “‘Comment faisons-nous face aux défis économiques actuels ?’, lit-il sur la slide projetée derrière lui. C’est vraiment difficile pour nous d’atteindre une stabilité financière et je suppose que c’est la même chose pour les autres institutions interrogées dans l’enquête. La moitié de notre temps de travail est dédiée à la recherche d’argent, en particulier d’argent public. L’autre moitié, nous devons la consacrer à justifier la répartition de cet argent public. Le secteur public n’est pas responsable, mais les politiques, bien. Je ne sais pas quand nous travaillons sur nos expositions en réalité, les week-ends sûrement. Ce qui est certain, c’est que pour pérenniser nos projets, nous aurons besoin de politiques à long terme dans le secteur des arts numériques.”

AC Coopens, qui conduit toujours la rencontre, pose ensuite la colle suivante : “Quels canaux de monétisation alternatifs avez-vous déjà expérimentés au KIKK ?”. Sur la diapositive, de nombreux exemples inspirants provenant d’autres organismes sondés s’affichent : collaborer avec des compagnies privées pour acquérir de nouveaux espaces, implémenter une offre de vidéo à la demande (VOD), organiser un festival de réalité augmentée (AR), se lancer dans le merchandising… “Il faut d’abord que je confie que nous avons commencé le KIKK de la pire des manières, totalement gratuitement, se souvient Gilles Bazelaire. J’en étais fier, mais j’ai compris que ce n’était absolument pas durable. Aujourd’hui, nous disposons d’un lieu d’exposition permanente, le Pavillon, qui nous permet, un peu, d’amortir les coûts de l’organisation de notre festival annuel, mais surtout de toucher de nouvelles audiences comme les écoles et un public plus local en comparaison à la portée internationale du KIKK. Avec ma collègue Marie du Chastel, curatrice et directrice artistique du KIKK, nous planchons également sur le lancement d’une organisation sœur orientée expertise et conseil, inspirée de nos confrères marseillais de chez Chroniques. Une branche de KIKK qui serait assurément orientée business. Mais ce qui est complexe, c’est que mes collaborateurices sont là pour l’art, pas pour trouver de nouveaux modèles commerciaux. Je n’ai pas de profils commerciaux dans mon équipe.” Sur ce point d’ailleurs, alors que la totalité des institutions investiguées dans l’étude s’estiment connaisseuses en matière d’art, une petite dizaine seulement répond par l’affirmative à la question “Considérez-vous que vos équipes possèdent une solide expertise commerciale ?”.

Mettre en lumière les invisibles

Après la théorie sur les arts numériques, place à la pratique. Une pause lunch bien méritée plus tard, la petite troupe menée par wake! prend la direction de Tour et Taxis où se tient la quatrième édition du Printemps Numérique. Organisé par paradigm.brussels, un organisme public en Région Bruxelles-Capitale, le salon se veut être une vitrine éducative par laquelle tout·e citoyen·ne pourra appréhender les services numériques qui l’entourent. Mais c’est pour assister à un autre festival organisé au sein du Printemps Numérique que nous faisons arrêt au cœur de cet ancien site industriel.

Sous la tutelle de XR4Heritage, programme de valorisation du patrimoine intimement lié à la question de notre passé et dont nous vous parlions dans un précédent article sur kingkong, l’Invisible Festival est le premier festival d’AR dédié à la mise en lumière des nombreux invisibles de l’histoire. Quels invisibles, vous demanderez-vous ? Pour cette toute première édition, la programmation s’est attachée à visibiliser diverses cultures vivantes du continent africain et des diasporas africaines en Europe à travers des œuvres virtuelles, des jeux vidéo et des avatars historiques, se servant de la multitude d’outils numériques et de l’intelligence artificielle (IA) pour leur donner une voix.

Quelques têtes connues se font repérer. Une visite du ministre bruxellois de la Transition numérique Bernard Clerfayt (DéFi), une autre de la réalisatrice oscarisée et activiste française Euzhan Palcy, marraine du festival. Et malgré une ambiance timide lors de notre passage – n’oublions pas qu’il s’agit d’une première édition – le programme est riche d’expériences, mêlant une offre de rencontres et d’échanges B2B, mais surtout de nombreuses démonstrations d’AR dans une dynamique artistique, participative et décoloniale.

“Hall of Fame” propose, par exemple, une exposition mettant l’avatar à l’honneur à travers douze figures historiques africaines et afro-descendantes avec lesquelles le public peut interagir. Mama Sambo, W.E.B Dubois, Paul Panda Farnana M’Fumu… Leurs vécus divergent étant donné les époques auxquelles iels ont vécu, mais toustes sont uni·es par l’hommage permis par une poignée d’artistes numériques internationaux·ales. À l’extérieur du pavillon de Tour et Taxis, c’est un circuit d’art augmenté qui nous accueille. Quelques soucis techniques ne permettent pas de profiter à 100% de l’expérience, mais sur le fond, les artistes présent·es pour y donner vie insistent sur l’empouvoirement qu’iels ont pu apporter aux minorités et aux groupes habituellement discriminés via un affichage XXL d’œuvres engagées visibles en surimpression au réel.

Enfin, “Noire”, une installation immersive sensible, adaptation de l’ouvrage éponyme de Tania de Montaigne, se penche sur la vie méconnue de Claudette Colvin. “Vous êtes une femme, donc moins qu’un homme, et vous êtes noire, donc moins que rien, conte la narratrice de ‘Noire’. Qui y-a-t-il après la femme noire ? Personne n’est revenu pour le dire.” En 1955, cette jeune Afro-Américaine à peine âgée de 15 ans refuse de céder sa place à un passager blanc dans un bus d’Alabama. Première à attaquer sa ville et à plaider non coupable après son arrestation, le nom de cette militante des droits civiques sera rapidement oublié, au contraire de celui d’une certaine Rosa Parks. Alors, à l’Insivible Festival, on souhaite que les prochaines éditions soient nombreuses pour poursuivre l’effort d’hommage et continuer de susciter la fierté d’appartenance de toustes à une histoire partagée, dans le respect des identités de chacun·e.

wake! concrètement, késako ?

Derrière ce cri de ralliement se mobilisent d’innombrables acteurices de l’écosystème créatif numérique wallon. Iels composent la biodiversité d’un secteur effervescent dont la vivacité s’exprime à coup d’événements, d’entreprises, de réseaux, de lieux ou d’initiatives. Conçu comme levier pour le développement économique de la Wallonie, wake! se veut être une plateforme accessible. Que vous soyez une entreprise, un studio, un festival, un collectif, un fablab… L’essentiel est que vous portiez l’âme et l’énergie typique de la créativité numérique. 

Envie d’embarquer dans l’aventure ? C’est par ici.

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