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Les slasheuses #2 : quand l’Insta devient BD

Auteurice de l’article :

Jil Theunissen

Évoluant entre droit, médias, culture et nouvelles technologies, Jil s’est récemment lancée dans la collection officielle de casquettes. À ses heures perdues et souvent pendant la nuit, elle rédige différents contenus allant de la chronique au texte de loi, et développe des projets un peu hybrides mixant les diverses disciplines mentionnées ci-dessus.

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On vous les avait présentées il y a quelques mois, les.slasheuses, ce compte Instagram compilant les aventures illustrées de deux freelances un peu désabusées, se décline aujourd’hui en version papier. Flambant jaune, trônant fièrement dans les vitrines de plusieurs librairies bruxelloises, cet album auto-édité rassemble en 88 pages une année d’élucubrations instagrammées.

Fin 2021, elles avaient lancé leur compte Instagram, détournant la notion de “slasheuse” pour en révéler les dessous : leur quotidien de freelances en errance. Chaque semaine pendant un an, Camille Toussaint et Caroline Renaudière ont posté leurs anecdotes décalées, dans un style mixant illustrations crayonnées et textes acido-absurdes, apportant une touche de vraie vie à un terme parfois un peu épuisé par les adeptes de la start-up nation et des hashtags inspirants.

Si l’idée de développer un pendant imprimé à leur projet numérique flottait dans la tête du duo depuis quelque temps, l’album est finalement sorti en juin dernier, entièrement auto-édité. L’occasion pour ces deux autodidactes de découvrir les spécificités de la transition de l’écran vers le papier.

© Les slasheuses – Caroline Renaudière et Camille Toussaint

De l’écran au papier

Un rythme et structure propres

Comme le souligne Caroline, scénariste du projet, là où un compte sur les réseaux se construit au fil des publications, postées indépendamment les unes des autres, un livre se lit d’une traite. Un premier travail a donc été de créer un fil rouge, puis d’amener de la cohérence et du rythme au récit : “On a imprimé puis découpé toutes les publications, séparé les images des textes, et pendant plusieurs jours on a réorganisé tous les éléments entre eux, de manière à avoir une base, un squelette, explique Camille. C’était un exercice hyper intéressant, une véritable première étape dans le processus d’édition”. Le duo aboutit alors à une structure qui lui convient, et un premier essai d’impression intervient quelque temps après. Une première version très attendue, mais qui ne s’avère malheureusement pas vraiment concluante.

“On s’était contentées de travailler sur l’ordre et la structure, qui tenaient la route, mais pas sur le reste. Par exemple, on avait simplement copié-collé les textes à côté des dessins, sans réel travail graphique ou de mise en page. Et soyons honnête, c’était moche et pas clair.” Ce premier essai finit donc aux oubliettes, mais le duo en conserve néanmoins la structure – ainsi qu’un petit goût amer, mais passons.

Textes écrits vs textes cliqués

Si les dessins n’ont subi aucune transformation, exceptées quelques modifications techniques de résolution (qui ont, soit dit en passant, provoqué moult séances d’arrachage de cheveux chez Camille, qui n’avait a priori pas destiné les illustrations à l’impression), les textes ont fait l’objet d’un travail de réécriture. Car comme l’observe Caroline, on ne lit pas pareil dans un livre, fût-il BD et humoristique, que sur Instagram : “Sur Insta, l’écriture et donc la lecture est beaucoup plus libre, directe. Lorsque je relisais certains de mes textes une fois imprimés, je ne me comprenais parfois plus. On a donc réécrit, raccourci, changé les ponctuations, les structures, pour coller au support physique”. Si comme nous vous étiez particulièrement fan des textes en ligne, rassurez-vous, la version imprimée est au niveau.

Des polices dessinées

Les dessins des slasheuses se démarquent par leur style assez simple, rapidement croqué. Si ce côté un peu brouillon était initialement justifié par des pratiques propres à la publication en ligne (comme l’expliquait Camille en janvier dernier), cet aspect “fait main” s’était en réalité progressivement imposé comme un élément constitutif du compte, lui conférant son identité.

C’est en choisissant de ré-écrire tous les textes à la main et de les agrémenter de clins d’œil et autres mises en forme dessinées, que le duo réussit à amener à l’album sa cohérence graphique. Cette typographie crayonnée, délibérément inégale et imparfaite, vient de manière assez fluide lier les textes et les dessins, réelle plus-value de l’objet imprimé par rapport au projet numérique.

En résulte un album cohérent, bien construit, et dont on retrouve le côté humain, drôle et sans prétention qui nous avait particulièrement plu en ligne.

© Les slasheuses – Caroline Renaudière et Camille Toussaint

Dépôts en librairie

Imprimé par lots successifs de 50 puis 100 -et re-100- exemplaires, le livre est d’abord vendu sur l’un ou l’autre événement dédié à l’illustration ou la micro édition, où il récolte un premier petit succès. Il est ensuite présenté à quelques librairies indépendantes, qui pour la plupart se montrent assez enthousiastes face au projet et ajoutent à leurs rayons quelques livres pris en dépôt. “C’est une super expérience de voir notre livre dans des librairies qu’on adore, dans lesquelles on achète nos propres BD, souligne Camille. Les libraires ne prennent pas beaucoup de risques, vu qu’on les met simplement en dépôt et qu’ils n’en prennent parfois que deux ou trois, mais pour nous c’est tout de même une petite consécration”. 

Instagram, tremplin pixellisé

Se faire connaître sur les réseaux pour ensuite déployer son activité sur des canaux plus classiques est devenu courant ces dernières années, dans tous les domaines de la création. “Aujourd’hui, ça ne paraît plus si bizarre pour des client·es d’une librairie que certains livres viennent d’Instagram”, observe Camille. En BD, elle cite notamment des autrices comme Salomé Lahoche ou Caroline Nasica, dont les albums “La vie est une corvée” et “Caro et les zinzins”, sont des déclinaisons imprimées des projets Instagram qui les avaient fait connaître. La notoriété en ligne de ces deux autrices, très suivies sur les réseaux, a été décisive dans le processus d’édition de leurs livres respectifs, réalisé via des campagnes de financement participatif.

Si l’audience des slasheuses n’est pas comparable à celle de ces influenceuses de l’illu, la BD du duo n’aurait, elle non plus, pas vu le jour sans leur présence en ligne et la communauté qu’elles s’y sont créée : “Au moment de lancer l’objet livre, ça sert énormément, souligne Caroline. Déjà, ça permet d’avoir une base de gens pour recevoir et relayer les infos. Mais il y a aussi un aspect de légitimité : le public a pu suivre notre travail en amont et sait qu’on ne vient pas de nul part, qu’il y a un projet un peu pro derrière”.

© Les slasheuses – Caroline Renaudière et Camille Toussaint

Le projet ainsi fini permet également de servir de carte de visite au duo pour des projets plus ambitieux. “On n’abandonne pas l’idée de créer une BD avec un scénario plus long et plus construit, même si on se rend bien compte que c’est un travail très différent de celui de poster un truc rigolo chaque semaine.” La prochaine étape se situe à mi-chemin entre les deux approches : continuer les aventures des slasheuses sur Instagram, mais de manière plus suivie, chaque publication se présentant comme un épisode d’une histoire plus longue. À suivre donc.

***

“Les slasheuses”, par Caroline Renaudière et Camille Toussaint, est disponible à Bruxelles chez Peinture Fraîche, Les Yeux Gourmands, Météores et Tulitu, et sur Internet par ici. Un album joyeux, qui n’a pas grand chose à envier à ses collègues de rayon.

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