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Biomimétisme, retour vers la nature

Auteurice de l’article :

Jacques Besnard

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Le biomimétisme ou imitation de la vie en grec ancien – processus qui consiste à observer la nature et le vivant pour s’en inspirer dans le but d’innover – a le vent en poupe. Vous ne connaissez pas ? Mais si, réfléchissez, observez, creusez et vous le verrez un peu partout.

Au Japon, par exemple, le nez du Shinkansen, train à bord duquel des millions de voyageurs prennent place chaque année, est inspiré du bec du martin-pêcheur pour mieux pénétrer l’air. Les pédicules de la peau du requin ont inspiré des combinaisons utilisées par les nageurs. Glowee, une startup française, a étudié des lucioles et des animaux marins pour cultiver une bactérie qui produit de la lumière naturelle. Les crochets des fleurs de Bardane ont permis à des générations de gamin·es d’attacher leurs baskets grâce à l’invention de la bande Velcro (le scratch). Enfin, le déplacement des fourmis a inspiré les créateurs de l’application GPS Waze. Ces dernières produisent des phéromones pour indiquer à leurs collègues le plus court chemin à emprunter pour dénicher de la nourriture.

Et les exemples se multiplient aujourd’hui. Nanotechnologie, biologie, ingénierie, gestion d’entreprises, design, textile, agriculture, énergie, sciences des matériaux, etc. “Il ne se passe pas une semaine sans qu’une, deux, trois, quatre ou cinq innovations tangibles ne soient dévoilées”, confirme Alain Renaudin, créateur et organisateur de Biomim’expo, premier salon dédié au biomimétisme. 

Apprendre du génie de la nature

Si la discipline est à la mode, elle n’est pas si neuve. Passionné par la nature et les animaux, Léonard de Vinci a, par exemple, longtemps observé les oiseaux et les chauves-souris pour réaliser des croquis de machines volantes. “Scrute la nature, c’est là qu’est ton futur”, conseillait-il. Si le génial Florentin est bien souvent présenté comme l’un des premiers chercheurs en la matière, il a fallu attendre cinq siècles pour qu’une naturaliste américaine théorise le concept. “Nous faisons partie d’une planète intelligente et nous sommes entouré·es de génies. Le biomimétisme est une nouvelle discipline qui tente d’apprendre de ces génies”, professait Janine Benyus lors d’une conférence TEDx. L’ouvrage qu’elle publie en 1997 “Quand la nature inspire des innovations durables” devient en quelque sorte la bible du biomimétisme. “Elle a fait ce que les Américains savent faire, c’est-à-dire écrire le livre qu’il fallait au bon moment, vulgariser. Elle a un peu “marketé” le biomimétisme avec énormément de compétence, de conviction et d’énergie”, analyse Alain Renaudin qui encourage aujourd’hui différent·es acteurices économiques (grands groupes, startups, organismes publics, universités, centres de recherche, etc.) à s’y intéresser. “Ce champ d’investigation est considérable.”

Parmi les grandes promesses de demain en la matière, le chimiste français Marc Fontecave, comme d’autres, travaille sur un projet de photosynthèse artificielle. Pour faire simple, le professeur au Collège de France a pour projet de copier le processus des plantes, microalgues ou cyanobactéries qui ont la capacité de se servir du soleil, du dioxyde de carbone et de l’oxygène pour créer de l’énergie.

Le biomimétisme intéresse aussi les architectes. Dans ce domaine, Mick Pearce est sans doute l’une des figures les plus connues. Ce pionnier a eu l’idée de copier le mode de fonctionnement des termitières africaines en visionnant un reportage de la BBC. “Je me suis rendu compte que le bâtiment construit par les termites utilisait la masse thermique du sol et que les insectes avaient créé une sorte d’appareil respiratoire, comme un poumon pour créer de la ventilation”, explique-t-il. L’architecte s’en est souvenu lorsqu’il a conçu le Eastgate Center, un immense centre commercial de Harare.

Pour augmenter ou baisser la température de leur habitat, les termites percent ou bouchent des trous au sol pour faire passer plus ou moins d’air. Pearce a réussi à imaginer un système de ventilation naturel et adapté au climat local grâce à plusieurs procédés et notamment en bâtissant quarante-huit cheminées. Un bel exemple qui allie l’esthétisme et la durabilité. Est-ce, au fait, vraiment une nécessité ? Cette relation est “l’essence”, le “modèle” à suivre, mais pas uniquement, assure Alain Renaudin. “Il y existe beaucoup d’innovations bioinspirées dans le domaine médical, qui peuvent sauver des vies, mais où il n’y a pas forcément un impact environnemental.”

© Daniel Buhat

De la déco

Pour certain·es puristes, le concept est, au contraire, trop souvent galvaudé. C’est le leitmotiv de l’association Biomimicry Europa, qui se bat pour le développement du biomimétisme dans ses applications durables et écoresponsables. Pour illustrer les dérives possibles d’un biomimwashing, Gauthier Chapelle, membre fondateur de l’association, l’un des disciples de Benyus, prend pour exemple une éolienne améliorée dotée du profil de la nageoire d’une baleine à bosse. “C’est du biomimétisme de forme, mais lorsqu’on regarde plus précisément, on s’aperçoit que les éoliennes font usage de terres rares qui se recyclent très mal et dont le transport demande une forte dépense énergétique. La plupart du temps, on parle de biomimétisme dès qu’on respecte deux ou trois principes alors qu’il y en a une bonne dizaine à appliquer”, rappelle l’auteur de l’ouvrage “Le vivant comme modèle“.

“Si je mets des pots de fleurs à ma fenêtre, ce n’est pas du biomimétisme, c’est de la déco et c’est tout”, embraye l’architecte belge Luc Schuiten, lui aussi membre fondateur de l’association et créateur de cités végétales biomimétiques. Des villes du futur où l’homme vivrait en harmonie avec la nature, des cités à taille plus humaines dans lesquelles les édifices verts, les parois en biotextile et la bioluminescence remplaceraient l’acier, le béton et la lumière artificielle. “Le biomimétisme permet de renouer avec la vie et la biologie. C’est une manière de nous y reconnecter, de redonner du sens”, assure-t-il calmement dans son atelier bruxellois. 

Toutes les applications bioinspirées n’ont, pourtant, pas forcément cette visée. Dans l’épisode intitulée Hated in the Nation, les auteurs de la série dystopique Black Mirror avaient imaginé des “abeilles drones” chargées de polliniser les plantes. Une idée qui a mûri chez Walmart puisqu’au lieu d’imaginer une solution qui ralentirait l’extinction des abeilles, la chaîne américaine de grande distribution a déposé un brevet, pour créer des robots qui pourront, un jour, les remplacer.

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