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IA générative : conversation avec les gens qui vendent leurs prompts pour quelques euros

Auteurice de l’article :

Elsa Ferreira

Journaliste depuis une dizaine d'années, Elsa est spécialisée en technologie et culture. Adepte des contre-cultures, elle observe et décrypte l'impact des technologies sur la société. Elle collabore régulièrement à des magazines tels que Makery, Pour l’Éco ou L'ADN.

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Sur Internet, des passionné·es de technologie, baptisé·es ingénieurs prompt (prompt engineers), se spécialisent dans l’écriture de prompts, ces commandes que l’on écrit pour que les IA génèrent du texte (ChatGPT) ou des images (Dall-e, Midjourney, Stable Diffusion…). En parallèle s’ouvrent des places de marchés où se vendent ces précieuses commandes. Mais qui sont ces gens qui vendent leurs mots pour quelques euros ? Deux d’entre elleux nous racontent.

Des photos anciennes, des animaux géométriques, des coloriages d’œufs de Pâques… pour quelques euros, sur Promptbase, vous pouvez vous procurer de quoi générer vous-mêmes ces résultats sur les plateformes d’IA générative. Le favori de Elyam, @riokarma sur Promptbase, est un prompt pour réaliser des logos “incroyables et mémorables”. “Je suis constamment époustouflé de voir ce que les gens sont capables de réaliser avec”, dit-il. Pianiste classique de trente ans basé en suisse, Elyam est avant tout un passionné de technologie. “Je suis les dernières avancées dans le monde de l’IA car je trouve cela fascinant et transformateur.” Il participe rapidement aux versions bêtas de différents outils et “apprécie l’expérimentation”. Même chose chez Imagineer, ingénieur biomédical de 40 ans basé à Madrid, qui préfère rester anonyme. Quand il a découvert ces IA “capables de créer des images étonnantes à partir de simples mots”, pour lui, “c’était comme découvrir une lampe magique”.

©Eylam

Une lampe magique à condition de connaître la formule. Et c’est là que ces ingénieurs du prompt font valoir leur expertise. Partisan du “pouvoir de l’apprentissage social”, dit-il, Imagineer crée un groupe Télégram consacré à Midjourney. “Beaucoup de gens m’ont demandé comment obtenir certaines images. J’ai vu leurs questions comme de petits défis qui me donnent l’occasion d’explorer tout le potentiel de cet outil. Au fur et à mesure que je pratiquais et que j’apprenais, j’ai commencé à obtenir de meilleurs résultats avec MidJourney que la plupart des membres de la communauté.” Il voit cette activité comme l’apprentissage d’une nouvelle langue, décrit-il. “Je dirais qu’il s’agit d’un travail de traduction. Dans le cas de la génération d’images, ma tâche consiste à traduire l’image souhaitée par le client en un ensemble de mots, ou un prompt, que l’IA peut comprendre et à partir duquel elle peut générer des résultats de manière cohérente.”

Pour Midjourney, “voyageur” est plus cohérent que “routard”

Les deux experts s’accordent : le point clé d’un bon prompt, c’est sa cohérence et donc sa reproductibilité. “Si un prompt est trop général, il peut générer des résultats de qualité variable, ce qui le rend moins prévisible et plus difficile à utiliser”, explique Elyam. À partir d’une même commande, les acheteur·euses doivent pouvoir obtenir des résultats similaires et déclinables en changeant quelques mots seulement.

©Imagineer

Il faut aussi, et surtout, connaitre son outil. “En fonction de l’IA avec laquelle je travaille, je dois utiliser des mots spécifiques, éviter certains termes et les placer dans le bon ordre, détaille Imagineer. Par exemple, pour MidJourney, le terme “traveler” est plus adapté que le terme “backpacker” si l’on veut qu’une personne avec un sac à dos apparaisse dans l’image. C’est comme résoudre un petit puzzle, et au fur et à mesure que j’écris des prompts, je comprends mieux comment l’IA traite les instructions et ce qu’il faut faire pour obtenir de meilleurs résultats.” “En ce qui concerne l’utilisation de l’IA à des fins artistiques, il est très avantageux d’avoir beaucoup de connaissances sur l’art, les artistes, les designers, les photographes, les peintres, etc., estime quant à lui Elyam. Ces connaissances peuvent vous aider à rendre votre demande plus spécifique ou à décrire une technique particulière au modèle avec plus de précision. Par exemple, si vous indiquez l’ouverture de f/1,8 à la fin de votre message, le modèle saura qu’il doit créer un arrière-plan flou. Si vous ne connaissez pas cette technique photographique, votre commande sera moins efficace.”

Connaître ses limites aussi. “Il est important de savoir si certaines images peuvent être réalisées ou non pour éviter de perdre du temps”, explique Imagineer. “En fin de compte, les modèles que nous utilisons sont en quelque sorte une boîte noire, et il faut toujours procéder par essais et erreurs pour obtenir les meilleurs résultats”, décrit Elyam.

600 euros par mois pour une heure de travail par semaine

Et alors, prompt engineer, c’est une bonne situation ? “Autant j’adore jouer le scientifique fou avec l’IA générative, autant je ne peux pas vraiment payer mon loyer avec une poignée de prompts”, plaisante le pianiste. Classé numéro 17 de la plateforme – il était à son pic numéro 2, dit-il pas peu fier -, il ne s’en sort pourtant pas mal. Depuis son inscription en août 2022, il a vendu 723 prompts pour un total de 2000 dollars. En numéro 9, Imagineer tire aussi son épingle du jeu : il gagne sur la plateforme environ 600 dollars par mois pour une heure par semaine à générer du contenu. “Certains de mes collègues sont beaucoup plus actif·ves et peuvent facilement faire 100 dollars par jour”, affirme-t-il.

L’identité de leurs client·es reste assez floue. “C’est un groupe diversifié de personnes, relate Elyam. Des curieux·ses qui veulent expérimenter l’IA générative, des early adopters de la technologie, des entrepreneur·euses à la recherche d’idées pour leur logo, ou des graphistes à la recherche d’inspiration pour leur travail. Je suis toujours curieux de voir avec qui mes messages résonnent et comment ils sont utilisés, mais la plupart du temps, c’est un peu un mystère.” Imagineer, qui accompagne parfois ses client·es dans des prompts customisés qui valent jusqu’à 190 dollars, a une idée un peu plus précise. “Ce sont des utilisateurices qui recherchent un type d’image spécifique, comme une illustration sympa pour un livre pour enfants, mais qui ne veulent pas perdre de temps à expérimenter. Iels préfèrent payer quelques dollars pour avoir la possibilité de créer des images infinies ou des illustrations avec un style défini. Je travaille avec toustes celleux qui ont besoin de créer des images uniques, comme les décorateurices d’intérieur, les boutiques de t-shirts en ligne, les spécialistes du marketing d’entreprise, les illustrateurices de blogs ou les créateur·trices de jeux vidéo”, énonce-t-il.

Quant au futur de leur activité, les deux prompt engineer savent que dans un secteur qui va si vite, il faudra savoir s’adapter. “Il est possible que dans quelques mois un nouvel outil d’IA apparaisse, rendant les ingénieurs prompts obsolètes. Il est donc essentiel de rester adaptable et d’apprendre rapidement, afin d’être prêt à affronter la prochaine vague d’avancées technologiques”, prévient Imagineer. Sans oublier, pour Elyam, de rester optimiste. “L’ingénierie des prompt aura encore un rôle à jouer dans l’avenir de l’IA générative. Au fur et à mesure que la technologie deviendra plus puissante et plus sophistiquée, elle libérera l’imagination humaine de manière nouvelle et passionnante. L’ingénierie du prompt pourra être vue comme une manière de repousser les limites et d’inspirer de nouvelles formes de créativité.” Révolutionner la créativité, un mot après l’autre.

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