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De furieuses villes du futur

Auteurice de l’article :

Mikael Zikos

Belge, australien et grec, ce citoyen sans frontières se passionne pour tous les lifestyles, qu’importe les étiquettes. Consultant, rédacteur et journaliste indépendant, il officie pour des marques et médias spécialisés design, art et architecture et accompagne les créateur·ices dans le monde pour les films qu’il réalise en équipe.

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Des artistes du numérique et du DIY (do it yourself) réinventent la capitale française et sa banlieue. Une voie grande ouverte par le mécénat culturel de deux marques automobiles, propulsées sur les circuits de l’art.

En ville, la voiture reste encore synonyme de liberté. Pour les marques automobiles, le mécénat permet à cet adage très débattu de subsister, et de sensibiliser de nouvelles générations de consommateur·ices habitué·es aux croisements de la culture avec les nouvelles technologies. À l’écoute des attentes en matière d’innovation, certains constructeurs ont ainsi à cœur d’accompagner le financement et le développement des arts, tout azimut. 

En cette fin 2022 où la production mondiale de voitures décline un peu plus (moins 3,6 millions d’unités au cours des 12 derniers mois) et que la course au leader de l’auto électrique bat son plein, deux filiales réitèrent leur soutien à des artistes internationaux·ales désireux·ses de préfigurer de quoi sera fait demain.

Cette année, avec l’aide d’institutions de renom et de professionnel·les émérites, BMW Group France et Audi France ont ainsi proposé à plusieurs créateur·ices d’explorer autrement la cité et ses urbanités… Restez maîtres·esses de votre futur. À l’arrivée, un même message se profile : la voiture est toujours un produit d’avenir. Ville lumière et marque en soi, Paris est récemment devenue le théâtre de cette catharsis de valeurs chères à l’univers automobile.

Une cité d’hologrammes

La “vision à long terme” (sic) est l’une des valeurs de l’Allemand BMW Group (propriétaire de BMW, Mini et Rolls-Royce, entre autres). Elle s’exprime dans les partenariats de BMW Group France, qui soutient de prestigieux évènements, tel le Festival de Cannes, tout comme des associations d’utilité publique. 

Cet automne, cette filiale française du premier constructeur d’auto et de moto au monde, s’est illustrée au salon Paris Photo avec le premier résultat de son programme de mécénat intitulé BWM Art Makers, dédié aux arts visuels et à l’imagerie contemporaine (image digitale et virtuelle). À la clef, la dotation pour les artistes et curateur·ices sélectionné·es dans le cadre de l’appel à candidatures lancé par la firme comporte une bourse de 10.000 euros (pour l’artiste), de 8.000 euros (pour lae curateur·ice) ainsi qu’un budget de recherche et de production des œuvres de 15.000 euros.

Projet de la première édition, “Hantologie Suburbaine”, de l’artiste iranien Arash Hanaei et du commissaire d’exposition français Morad Montazami est, par essence, hybride. 

I Begin To See, 2022 © Arash Hanaei / BMW ART MAKERS
Mark F et Mark Z © Arash Hanaei / BMW ART MAKERS
Avatars, 2022 © Arash Hanaei / BMW ART MAKERS

En s’extrayant du Paris souverain, ce duo a proposé d’explorer un ensemble architectural important de la banlieue parisienne : les Étoiles d’Ivry de Jean Renaudie (1969-75). Un complexe méta-urbain d’immeubles d’habitations, de commerces et de services, précurseur de l’architecture dite organique avec ses corps en béton brutalistes et ses multiples rooftoops. Une œuvre utopique et toujours habitée, dont l’influence est grande, au point d’avoir accueilli le tournage de la saga Hunger Games.

Untitled, 2022 © Arash Hanaei / BMW ART MAKERS

Un lieu “extraterrestre”, pour Arash Hanaei, qui l’associe à la complexité des métavers. Avec son mode opératoire – photos réarrangées numériquement, vidéos, 3D ainsi qu’hologrammes –, l’artiste a capturé et recomposé ces édifices dans des visuels énigmatiques, métaphysiques. À la frontière du réel et de la fiction, ceux-ci tracent les contours d’une nouvelle utilité de l’architecture dans les métavers : loger nos pensées.

Onze participant·es et un seul objectif 

De leur côté, les Audi Talents prouvent que la performance réside dans l’art de prendre son temps. Depuis 2007, ce programme de mécénat de la division française du constructeur automobile allemand Audi rassemble des créatif·ves émergent·es, ou en voie de confirmation, dans les domaines des Arts plastiques mais aussi du Design, de la Création audiovisuelle, de la Musique. Dans ces quatre catégories, plus de 50 talents ont été récompensé·es à ce jour (70.000 euros par projet alloués), et certain·es sont devenu·es bien connu·es du public. 

Dix ans après la création des Audi Talents Awards, les récipiendaires de ce prix ont vu leur nom s’afficher dans les plus grands magazines, centres d’art et génériques de films. Révélée en 2010, la designer Constance Guisset connaît un succès commercial avec les créations de son studio. Également gagnant de cette récompense, en 2007, l’artiste plasticien et vidéaste Cyprien Gaillard, dont la pratique traite de la métamorphose du paysage et des affres du monde moderne, est en ce moment consacré dans le cadre de son exposition personnelle au Palais de Tokyo à Paris.

C’est dans ce dernier qu’ont pris place les célébrations de ce programme et le lancement d’une toute nouvelle mission de soutien à la création artistique. Un projet qui rassemble des expérimentations visuelles de onze lauréat·es des différentes éditions des Audi Talents Awards et tente d’offrir plusieurs éléments de réponses et pistes de réflexion face à une question latente du débat public : À quoi ressembleront les villes des siècles à venir ?

Avec le chiffre de 70 – celui du pourcentage des habitant·es de notre planète qui vivront en ville d’ici la fin du XXIe siècle – ce défi lancé à ces onze têtes pensantes est ambitieux. Vivra-t-on mieux en ville et continuerons-nous de nous entendre en communauté ou décrépirons-nous entre les autoroutes urbaines et les barres d’immeubles ?

“L’avenir ne se prédit pas, il s’imagine

Sous ces mots d’ordre officiels des Audi Talents, les réponses aux questions de ce programme de mécénat culturel intitulé “Dans 150 ans, la ville sera…” projettent des paysages aux traits tantôt optimistes ou dystopistes et offrent de folles images.

Dans ces œuvres (visibles sur le site web des Audi Talents), les nouvelles technologies, comme la réalité augmentée, s’entrechoquent avec des médiums d’art traditionnels, à l’instar du dessin sur papier. De plus, les talents invité·es par l’équipe française d’Audi, sous la curation du directeur artistique de l’initiative, le Français Gaël Charbaud, s’approprient des techniques liées à d’autres corps de métiers que ceux de l’art, et même des phénomènes neurologiques. “Dans 150 ans, la ville sera un fragment, un champ d’excavation”, de l’artiste et chercheur Grégory Chatonsky, propose ainsi de faire appel aux désirs d’humanité des intelligences artificielles.

“Dans 150 ans, la ville sera un fragment, un champ d’excavation” © Grégory Chatonsky

La photogramétrie, un outil de choix dans le monde de l’archéologie (qui va bien plus loin que la simple topographie, puisqu’elle permet de produire un volume en trois dimensions à partir de données topo-et-photographiques), est ainsi devenu un moyen de modélisation pour le projet de Charlie Aubry : le clip “Dans 150 ans, la ville sera un fragment, un souvenir”.

“Dans 150 ans, la ville sera un fragment, un souvenir” © Charlie Aubry

Intéressé par les multiples possibilités de la synesthésie (quand le cerveau humain génère des perceptions inédites à partir de sensations, comme associer des sons aux couleurs), Romain Bodard a conçu une synopsie (une audition colorée) à partir de captations nocturnes de Paris pour son œuvre abstraite et poétique : “Dans 150 ans, la ville sera synesthésique”.

“Dans 150 ans, la ville sera synesthésique” © Romain Bodard

Voyant comment les algorithmes et la surveillance numérique du citoyen, décuplés par la prolifération de datas, renversent les rapport de domination dans la société, Camille Mernard a choisi de marier l’univers des tours informatiques à celui de la ville. Elle a interprété la “ville sans fin” (“No-Stop City”) mise sur plan en 1970 par l’Italien Andrea Branzi dans le contexte des théories radicales et prospectives du groupe d’architecture et de design Archizoom Associati.

© Camille Ménard

Et la voiture disparaît…

Quand elle ne s’articule pas au sein de véritables jeux de pistes, pointant le travail qui reste à mener pour qu’une ville soit raisonnable en émission de carbone (Isabelle Daëron) ou qu’elle ne se métamorphose pas en blobs à habiter (XP Unit), les architectures s’effacent dans la ville. Chez Théodora Barart, elles sont balayées par la pollution du nucléaire (flou total dans son film 8 mm “Dans 150 ans, la ville sera radiante”). 

Au sein de ces œuvres, même la sacro-sainte voiture sort littéralement du cadre citadin… Dans son drôlatique récit d’anticipation “Dans 150 ans, la ville sera en CDI, Carnaval à Durée Indéterminée”, Teddy Sanches défend une utilisation festive et débridée des routes et des parcelles urbaines désaffectées des engins à moteurs : “Flash info ! (…) C’est O-FFI-CIEL, nous assistons à la fin des véhicules motorisés en surface de la Ville !”

“Dans 150 ans, la ville sera en CDI, Carnaval à Durée Indéterminée” © Teddy Sanches

Il n’est jamais trop tard pour inventer demain. Audi, filiale du groupe Wolkskwagen (littéralement “voiture du peuple” dans la langue de Goethe) a signalé qu’il ne produira plus de voitures avec moteur à combustion en 2023…

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