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Les précieux détournements D’heygere

Auteurice de l’article :

Mikael Zikos

Belge, australien et grec, ce citoyen sans frontières se passionne pour tous les lifestyles, qu’importe les étiquettes. Consultant, rédacteur et journaliste indépendant, il officie pour des marques et médias spécialisés design, art et architecture et accompagne les créateur·ices dans le monde pour les films qu’il réalise en équipe.

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Prix du jury aux derniers Belgian Fashion Awards, la créatrice belge Stéphanie D’heygere manie avec précision l’art du surréalisme. Rencontre entre deux prototypes pour sa marque de bijoux et d’accessoires à dimension durable et inclusive.

Sur @d_heygere, on croise de drôles de curiosités contemporaines et des found images. Des images d’Internet et des réseaux sociaux et des selfies d’incognitos qui, entre quelques-uns des artistes de la génération Y et Z, portent des bijoux et des accessoires de mode sans nuls autres pareils…

“Accessoirise ton accessoire

Sur cette plateforme de la marque belge D’heygere, les véritables stars sont les créoles Holder Hoops, entre autres. Des bijoux-ustensiles beaux et malins dans lesquels on peut glisser des fleurs, pour afficher son amour au grand jour (ou face à son smartphone). D’autres donnent autrement la possibilité d’y insérer billets ou cigarettes, en chemin pour aller se promener ou faire ses courses.

Dans ce flux d’images mises en scène, on observe comment D’heygere, créée en 2018, transforme le fermoir d’une ceinture en briquet (Match Striker Belt), ou comment elle transfigure une chevalière en bijou d’oreille aux côtés d’Airpods (Signet Ear Cuff). Une autre bague signée D’heygere (Bicycle Bell Ring) est même surmontée d’une sonnette de vélo, au cas où vous emprunteriez celui d’un·e copain·ine.

Des bijoux IRL (in real life), Stéphanie D’heygere connaît la chanson. Elle est derrière la création de ces objets habiles et de qualité, pour la plupart fabriqués en argent galvanisé et en petites productions. À la fois curieux, élégants et tout-terrain, ceux-ci rassemblent et différencient celui·elle qui les porte. 

Aujourd’hui, un vaste public de connaisseur·ses suit D’heygere, de la Belgique et la France jusqu’aux États-Unis et en Corée du Sud. Demain, encore plus ; avec la poursuite du développement de l’e-shop D’heygere, récemment inauguré, d’une présence sur TikTok annoncée (cette plateforme joueuse devrait lui aller comme un gant), et avec ses futures créations qui s’inviteront dans l’univers d’ors et de diamants de la joaillerie.

“Tout peut devenir un bijou ou un accessoire à porter”, selon Stéphanie D’heygere, qui travaille actuellement à sa seconde collection de produits en édition limitée pour Longchamp. Le résultat de cette deuxième collaboration entre la créatrice belge et la maison française de maroquinerie, réputée classique, verra le jour au début de l’année 2023 sous la forme d’un nouveau… poncho convertible (et d’autres accessoires versatiles pour faciliter la vie du quotidien). Un remix aventureux du sac pliable et best-seller Le Pliage mais, avec une toute nouvelle utilité, toute pratique, toute trouvée : celle d’un imperméable à emporter partout et qui ne fait pas faire passer son·a porteur·se inaperçu·e.  

Heureuses humeurs

Stéphanie D’heygere commence sa carrière chez Martin Margiela en 2011. À cette époque, la Maison belge vient de fêter ses 20 ans en grande pompe. Elle dégaine prêt-à-porter, accessoires et Couture en dupliquant toujours un peu plus loin ses avant-gardismes, qui inspirent toujours grandement : des produits sans logo, conceptuels et portables, de haute facture ou de temps à autre inspirés de la seconde-main, des mannequins anonymes, des défilés hors des circuits traditionnels et des boutiques aux airs d’installations d’art.

© D’heygere

À ce moment, Margiela inaugure son atelier de bijoux, qui fait suite à celui des accessoires pour femmes et hommes. C’est dans ce dernier que Stéphanie D’heygere trouve sa vocation. Elle y entre à la sortie de ses études à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers et y reste quatre années, avant d’être intronisée chez Dior à Paris, cette fois-ci en tant que créatrice de bijoux. Dernièrement, son parcours de designer freelance l’a amené à travailler pour Y/Project, du Belge Glenn Martens. Un créateur qui s’approprie les techniques de conception anciennes du vêtement afin de les actualiser, pour les nouvelles générations. “L’aspect joueur et immédiat des créations de Margiela, au caractère occassionnellement unisexe, ont marqué mon style actuel, tout comme le travail de Glenn, tourné vers le corps”, évoque Stéphanie D’heygere.

“J’adore me confronter aux contraintes des grandes marques, mais j’affectionne particulièrement les possibilités quasi infinies qu’offrent la mienne”, affirme-t-elle. Avec D’heygere, je fais ce que je veux, s’exprime la créatrice, interrogée alors à l’œuvre chez ses fabricants, en Italie. Je crée des bijoux et des accessoires pour tous les jours ; pas seulement des produits-images pour les défilés et les lookbooks qui sont loin de la réalité.”

Humour deluxe 

La liberté et l’esprit positif de l’acte de créer est au cœur même du concept de la marque D’heygere et axent sa matrice. À son studio de création parisien, Stéphanie D’heygere passe de l’idée, au croquis, à la fiche technique, en préssentissant les matériaux à utiliser et avec des jeux de proportions en tête. Elle en finalise les choix et les ajuste une fois dans ses usines de fabrication. “Je me suis toujours dit que de ce mode de création réfléchi et direct découleraient des produits durables, c’est-à-dire tant transformables ou modulables, qui permettent d’assouvir différents usages et de ne jamais s’ennuyer. Actuellement, je crois que cela se ressent dans D’heygere et c’est ce qui plaît.”

Chez D’heygere, une bague est aussi une boussole (Compass Ring) et un cintre devient un collier en argent (Hanger Bib). D’une ceinture en cuir se déroule un mètre mesureur (Ruler Belt), un simple t-shirt se double d’un ouvre-bouteille (Bottle Opener T-Shirt) et un sac peut s’accrocher n’importe où, grâce à ses multiples anses (Twister Handbag).

Si l’héritage du couturier belge Martin Margiela, saint patron du détournement en mode, et celui de l’artiste français Marcel Duchamp, inventeur du ready-made et précurseur des arts conceptuels, est nettement visible chez D’heygere, la culture digitale des images et des mèmes est aussi palpable dans ses créations. Il y a ses boucles d’oreilles comme des émojis cœurs : Heart Earings Pinks ; un de ses produits emblématiques, qui traverse les frontières. Et il y a d’autres créations iconoclastes sorties de son atelier, à l’instar de celle pour le fanzine PZtoday de la directrice artistique thaïlandaise PZ Opassuksatit : des pendants d’oreilles-sous-verres à bière (Beer Coaster Earings). 

Heart Earings Piks © D’heygere

D’heygere ne se résume toutefois pas à un précis de l’art post-Internet – un courant artistique ayant altéré les images et les vidéos du Web à partir des années 2010. La marque offre des alternatives plausibles et réjouissantes au bijou d’apparat et à l’accessoire de mode, dont l’achat s’accompagne parfois d’une envie d’appartenance à un groupe social.

Pour toustes

“Tandis qu’un vêtement doit être, d’une certaine façon, portable, un bijou ou un accessoire est moins lié à un corps en particulier et peut servir des objectifs de pur plaisir des yeux, précise Stéphanie D’heygere. C’est aussi ce qui permet à ces objets de devenir les compagnons ou grigris quotidiens de plusieurs types de personnes, quelle que soit leur identité ou leur âge. Ils peuvent accompagner toutes les générations.”

© D’heygere
© D’heygere

“Ainsi je crois que les très jeunes, mes ami·es trentenaires et quarantenaires, tout comme ma mère, peuvent porter D’heygere sans se soucier d’être nécessairement à la mode ou avec la volonté de faire partie d’une clique d’individus, mais en restant simplement elleux-mêmes, toujours curieux·ses de ce que la vie a à offrir.”

Derrière les objectifs, Stéphanie D’heygere encourage ses employé·es à prendre part à la commercialisation de ses créations, à leur manière. Ainsi chacun·e de ses proches collaborateur·ice choisit fréquemment une organisation à but non lucratif qui fera l’objet du don d’un euro qui est réservé pour chacune des ventes de la marque. Une petite bienveillance qui l’ancre un peu plus D’heygere dans le vif du réel.

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