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Soft Skills, pourvu qu’elles soient douces

Auteurice de l’article :

Cassi Henaff

Cassi ou Cassiopée (pour les très intimes) \ nom propre : prénom féminin \ Synonyme : couteau suisse - Objet présentant des outils ingénieusement assemblés à un couteau pour tenir dans une poche et répondant à de multiples fonctions ; Femme un peu folle, passionnée par la combinaison de l’art et du numérique, pédagogue et féministe, engagée dans des projets porteurs de sens ; Animal qui n’a pas sa langue en poche ; Pile électrique qui ne sait pas choisir entre les burgers et les pizzas, qui marche beaucoup, mange beaucoup, rit beaucoup, et travaille beaucoup.

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Quand on se lance dans des études ou des formations liées aux ICC, on développe surtout une créativité sans limite et une technique pointue. Pourtant, aujourd’hui, 99% de cet écosystème est composé de PME ou de micro-entreprises. Et pour faire fleurir son business dans l’entrepreneuriat culturel, il est essentiel d’aller au-delà des compétences techniques en enrichissant ses soft skills.

L’entrepreneuriat culturel et créatif, ça semble quasiment contradictoire. D’une part, on a le secteur des entreprises, celui du capital et de la valeur économique. De l’autre, on retrouve la culture, la créativité, l’esthétique et la contemplation. On a presque l’impression que c’est antinomique, voire vulgaire de reconnaître une dimension économique à la beauté de l’art. Pourtant, parler des ICC, c’est valoriser un tas d’activités, favorisant ainsi l’épanouissement de projets et la croissance d’entreprises novatrices.

Loin d’être mutuellement exclusives, ces deux dimensions peuvent se compléter et s’enrichir mutuellement, favorisant ainsi l’épanouissement de projets et la croissance d’entreprises novatrices. Ainsi, on assiste à la création d’entreprises dédiées à la production ou à la distribution de biens et services culturels, telles que des galeries d’art, des maisons d’édition, des studios de design et de mode, des studios de création sonore, des labels de musique, des studios de jeu vidéo, des agences de photographie, des compagnies de théâtre, des bibliothèques numériques… Ces entreprises contribuent à la vitalité culturelle, à la création d’emplois, et à la prospérité économique durable.” (source : ici)

Au sein de tous ces secteurs, une multitude de métiers sont nés : on va des plus connus (photographe, webdesigner·euse, support IT) au plus émergents (UX/UI designeur·euse, responsable du marketing digital, spécialiste en réalité virtuelle, manager en cyber-sécurité ou encore développeur·euse de level design).  Alors bien sûr, cette explosion des métiers du numérique et de la tech a engendré une demande accrue de compétences techniques, souvent désignées sous le terme de “hard skills”. Ces compétences incluent la maîtrise des logiciels, la programmation, la gestion des bases de données, les outils et autres capacités techniques spécifiques nécessaires pour réussir dans son domaine créatif. 

Mais un autre constat nous amène à noter que cet écosystème ICC est aujourd’hui composé à 99 % de PME ou de micro-entreprises. Et pour développer son entreprise, il est essentiel d’aller au-delà de ces compétences techniques. Les “soft skills” sont cruciales dans le développement d’une activité professionnelle. 

Les soft skills, ou compétences interpersonnelles, englobent une variété de capacités telles que la communication, le travail en équipe, la résolution de problèmes, la gestion du temps ou encore l’intelligence émotionnelle. Si votre projet veut se déployer, il faut pouvoir écrire un business plan, le pitcher, le challenger, il faut pouvoir pondre des dossiers financiers et remplir des demandes de subsides. Vous devez pouvoir coordonner un projet, une équipe, faire preuve d’agilité, de résilience. Être visionnaire et dans la création. Bref, vous avez compris. Contrairement aux hard skills, qui peuvent souvent être enseignées et mesurées de manière objective dans les institutions éducatives (écoles, centres de compétences, etc.), les soft skills sont souvent oubliées.

Une grille pour expliquer

Si on traduit littéralement le concept, les soft skills sont des compétences dites « douces », des aptitudes comportementales, humaines, relationnelles et émotionnelles qui permettent de s’adapter à une situation donnée (environnement, projet, équipe, etc.). Ces compétences sont transversales, c’est-à-dire qu’elles peuvent se manifester dans plusieurs contextes professionnels et personnels, elles ne sont pas cloisonnées à un métier ou une organisation. 

Il existe un tas de classements qui permettent de catégoriser ces softs skills : les 4C (Créativité, Esprit Critique, Coopération et Communication) ou encore la roue des softs skills (communication, compétences interpersonnelles, compétences intra-personnelles, leadership, compétences d’apprentissages, compétences en réflexions et compétences d’imagination). 

Les auteurs de l’ouvrage “Le défi des soft skills” (à savoir Jérémy Lamri, Michel Barabel, Olivier Meier et Todd Lubart) ont développé une grille de compétences subdivisée en méta capacités et puis, en capacités de base. Cette taxonomie, dite Hester H10 se présente ainsi:

Ce qui est assez interpellant, c’est qu’à partir du moment où l’on questionne des compétences humaines, liées la connaissance de soi et aux relations interpersonnelles, il y a souvent une confusion qui se fait : d’une part, on a les traits de personnalité qui sont innés. D’autre part, on a des compétences qui peuvent être développées, se travailler. Les deux ont des implications sur notre performance au travail mais les compétences ne sont pas “intrinsèques à l’individu et ne sont pas stables dans le temps. Elles renvoient à la teneur de la relation entre l’individu et son travail” et à la manière dont elles peuvent être utilisées et déployées. (source : ici)

We are who we are

Pour déblayer un peu le terrain, on a rencontré Leïla Maidane. En 2018, cette passionnée de stratégie et d’innovation a lancé Interskillar

Si la mission d’Interskillar se concentre principalement sur l’accompagnement des jeunes dans leur transition vers le marché de l’emploi, le concept qui vise à valoriser les talents naturels de chaque individu pourrait s’adapter à toute personne en recherche d’emploi, en reconversion professionnelle ou en questionnement. Plutôt que de choisir une orientation professionnelle à partir d’une projection qu’on se fait d’un métier, partons de nos forces et de nos qualités intrinsèques.

Let’s go donc sur le premier produit qu’offre Interskillar : son application ! Après s’être créé un compte, on se lance dans un test d’une trentaine de questions : “Les tests psychométriques d’Interskillar révèlent les qualités uniques qui te démarquent. Découvre tes forces, tes compétences professionnelles et explore des suggestions de carrière personnalisées qui correspondent à ton véritable potentiel.” Message reçu ! 

Après une vingtaine de minutes, l’app nous génère un manuel de carrière (on pourrait parler d’un bilan de compétences en ligne) composé de 3 éléments :

1) Les traits de personnalités : on découvre un graphique qui offre un aperçu complet de notre personnalité selon 20 traits. Plus le score est élevé, plus ce trait est prononcé. Comme Leïla le mentionne, “ça permet déjà de se positionner. Si t’as 9/10 en recherche de stabilité, tu sais que l’entrepreneuriat, ce n’est pas peut-être pas idéal”. L’objectif ici est de comprendre ce qui nous définit le mieux pour nous aider (les jeunes et les moins jeunes finalement) à nous orienter vers des carrières et des domaines d’activités qui valorisent nos qualités et nos forces.

2) Le passeport de talents : en fonction de nos capacités (et de nos traits de personnalité – vous suivez, c’est bien), la plateforme dresse une liste personnalisée de métiers qui correspondent à notre profil (et nous résume le taf, les lieux de formation, les certifications, nos possibilités de salaire, etc. La totale quoi!).

3) La boîte à outils : toujours dans la personnalisation, elle comprend des conseils sur de formations, des pistes de réseautage, des idées du type d’organisation vers lesquelles on pourrait se diriger, etc. – On est happy de pouvoir mettre sur notre CV qu’on est “enthousiaste”, “imaginatif”, “énergique”, “créative” et “chaleureuse”.

Ce produit (qui est proposé sous forme de services à une vingtaine de jeunes dans le cadre du projet SKUP, Skill Up to Skill Up pour les aider à devenir autonomes dans leur recherches d’emploi et de prendre le contrôle de leur carrière) est une base d’orientation. “On voit qu’il y a une montée de jeunes qui veulent devenir entrepreneur·euses parce qu’iels sont dégoûté·es des entreprises. Iels ont peur de pas s’y retrouver, de ne pas fitter, de faire des burnouts, etc. Avec ce test psychométrique, on vient vraiment t’ouvrir un peu l’esprit sur des métiers qui pourraient te plaire mais aussi sur des entreprises et des environnements de travail qui ont des projets qui peuvent valoriser tes talents naturels. Les jeunes se tournent vers l’entrepreneuriat mais ce n’est pas la seule option.” affirme Leïla.

Upgrade tes skills

Ce passeport de talents, c’est une base pour mieux se connaître et appréhender nos traits de personnalité. Mais qu’en est-il des soft skills à développer ? Quelles sont les compétences essentielles en 2024 que l’on doit acquérir ? Pour Alice Benoit, commercial manager chez Amplo, les compétences humaines essentielles en 2024 sont l’intelligence émotionnelle, la capacité à communiquer, travailler en équipe, trouver des solutions, résoudre des problèmes, recevoir la critique, la gestion de projet (priorités, organisation, etc.) et l’adaptabilité. Leïla plussoie cette liste, en ajoutant qu’il s’agit des soft skills de base, nécessaires à tout individu sur le marché du travail, qu’on évolue dans les ICC ou n’importe quel autre domaine. Mais elle rajoute qu’il y a évidemment des compétences à développer qui sont liées aux résultats des tests psychométriques et donc au carrière vers lesquelles les jeunes et les moins jeunes veulent s’orienter. “C’est sur que le leadership ou la gestion d’équipe sont des soft skills à pousser quand on se dirige vers l’entreprenariat ICC”.

Paye ta compta

Une autre compétence à acquérir pour les futur·es entrepreneur·euses culturel·les, ce sont les gestions administrative et financière de base. Virginie Civrais, directrice de ST’ART, le remarque régulièrement : “La plupart du temps, ce qui manque, ce sont des compétences de base en gestion, c’est-à-dire en comptabilité, en gestion, même des calculs de marge parfois, c’est quelque chose qui semble abstrait.” 

Pour la faire court, ST’ART, c’est un fonds d’investissement. Et comme son nom l’indique, il propose des solutions de financement pour les acteurs et actrices des industries culturelles et créatives en Wallonie et à Bruxelles. Le fonds agit à la fois comme prêteur et à la fois comme investisseur en capital dans la société. On notera qu’ils utilisent le terme “société” à l’européenne, c’est-à-dire que les ASBL, les coopératives, les SRL, ASA, etc. sont concernées par ces aides. Cette vision innovante de l’entreprenariat corrobore notre point de vue d’introduction : le secteur ICC a une réelle plus value économique. “À l’époque, quand on a commencé à travailler, le concept des industries culturelles et créatives naissait seulement. L’Europe se disait “tiens, il faudrait qu’on nomme toutes ces activités sous un groupe pour leur donner un poids économique. Moi, je trouve que c’était intelligent. Ça permet de mesurer l’emploi, le PIB, etc.” 

N’empêche que pour bénéficier des interventions de ST’ART, il faut rendre compte d’un projet mûrement réfléchi (logique) et bien entendu, remplir un dossier conséquent. Et c’est là que ça devient intéressant : pour compléter intelligemment ce-dit dossier de prêt, il faut certes, des compétences techniques mais il faut aussi des… (roulements de tambours) soft skills évidemment. Si ST’ART s’attarde principalement sur l’humain, il n’empêche que ce fonds prend un risque en investissant des milliers d’euros dans une entreprise. Il est donc essentiel que la gestion financière soit acquise pour prouver que le remboursement du prêt (ou la revente de parts) soit assuré.

J’ai mal mon système scolaire

Quid de l’école dans l’apprentissage de ces soft skills ? Virginie explique : “Dans les écoles d’art, on est dans une bulle de créativité et de pratique artistique. C’est formidable ! Mais vous ne pouvez pas laisser les jeunes sortir avec des illusions. On ne demande pas forcément qu’il y ait une révolution des cours, mais qu’il y ait une introduction de modules liés à la gestion par exemple. Si on prend le secteur de la mode, on peut vouloir créer son entreprise. Mais comment réaliser une marge ? Comment vendre ? D’un point de vue légal, comment protéger ses créations ? C’est comme en architecture ! Les étudiant·es qui sortent d’archi ne sont pas mieux équipé·es que quelqu’un qui sort de mode, alors que c’est quasiment certain qu’iels vont devenir indépendant·es ! Ça m’est arrivé (Virginie) d’intervenir au nom de ST’ART dans les universités en gestion culturelle. Mais c’est d’office déjà orienté “gestion”. 

C’est ainsi qu’on voit fleurir moult initiatives pour pallier aux manquements. D’un point de vue très concret, Alice nous a conseillé https://travi.be/fr/outils/testyourselfie pour se tester à 9 soft skills. Pour des questions de financement, Virginie a insisté sur Hub Info, sur “So You Need Money”, mais également sur les accompagnements des CEEI. 

La bonne nouvelle c’est qu’en Wallonie, on s’organise dorénavant en écosystème pour mettre en commun toutes ces questions qui se posent aux acteurs de la créativité numérique. Sous le label “wake! by Digital Wallonia” on retrouve des entreprises, des centres de formation (comme Technocité, spécialisé dans les métiers des ICC), des universités, des tiers lieux créatifs, des événements, des organes de financement et d’accompagnement (dont Start et Amplo d’ailleurs), car cette question des compétences est transversale et est un vrai enjeu de compétitivité pour toute une industrie. 

On a rencontré Delphine Jenart qui pilote ce projet pour l’asbl KIKK. “Lors de la journée mondiale de la créativité décrétée par l’Unesco en avril dernier, wake! est sorti dans la presse pour pousser un cri unanime: “Le numérique est partout. Il faut donc d’une part entreprendre les technologies digitales dans tous les domaines (en culture mais aussi dans le retail, l’éducation, l’industrie, la mobilité, etc) en poussant les compétences qualifiées de dures. Mais il faut également développer ces soft skills qui sont aujourd’hui un enjeu transversal à tous les segments économiques et qui, finalement, vont bien au-delà car elles sont essentielles à notre vie en société.” 
wake! est donc mandaté, en tant que mouvement représentant les ICC digitales en Wallonie, pour mettre en lumière les différentes filières de formation qui s’offrent aux futur·es et actuel·les entrepreneur·euses de la créativité numérique. “La Wallonie regorge d’options. Il faut donc les cartographier pour identifier les ressources mais aussi, définir les espaces non couverts qu’il faudrait compléter car les entreprises de la créativité numérique ne font pas exception, elles sont aussi en recherche de profils dits “en pénurie”. Et ça, ça passe par bosser ces compétences dès le plus jeune âge avec les STEAM.”

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