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Des robots autonomes et sociaux chantent de concert

Auteurice de l’article :

Laetitia Theunis

Chimiste et océanographe de formation, Laetitia a troqué son tablier de chercheur contre une plume de journaliste par passion pour la vulgarisation scientifique. Elle a fait ses armes au Soir, avant de rejoindre le Vif et de devenir rédactrice en chef du Daily Science. Adepte de la randonnée et de la cuisine sauvage, elle aime s'immerger dans la nature et sortir des sentiers battus.

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Artistes et chercheur·euses en robotique se sont associé·es pour créer des robots chanteurs organisés en un chœur synthétique.

Une chorale de robots ! Voilà le projet un peu fou réalisé à Namur. Il a consisté à concevoir et à construire 15 robots autonomes se déplaçant de manière aléatoire dans un espace fermé. Et générant une composition sonore unique lors de leurs rencontres. Ce projet, mêlant sciences et arts, baptisé “Chœurs Synthétiques”, est né d’une collaboration entre des chercheur·ses en robotique de l’Université de Namur et des artistes belges du collectif VOID.

Un cerveau sur roulettes

Tous grimés de noir à l’extérieur, et d’une couche dorée éclairée dans leur partie interne, les robots ont la forme et la taille de têtes humaines transformées en gramophone. Elles ont été designées par les artistes pour garantir une qualité optimale du son émis et imprimées en 3D par la société gembloutoise 3DTECHLAB.

Ces sculptures antropomorphes sont posées sur un socle munis de roulettes. Dans cet habitacle réside, en quelque sorte, le cerveau de chaque robot, constitué de batteries, de capteurs ainsi que d’autres pièces électroniques et mécaniques. Depuis sa conception jusqu’à son assemblage et sa programmation, il est l’œuvre de scientifiques de l’Institut sur les systèmes complexes de l’Unamur (naXys). “La partie la plus compliquée a été la construction des 15 robots : nous sommes en faculté d’informatique, pas d’ingénierie, on a dû s’équiper de tous les outils indispensables”, se rappelle Elio Tuci, professeur de robotique et d’intelligence artificielle bio-inspirée. 

© VOID

Des aspects anthropomorphes 

L’œuvre s’appuie sur la technologie “Swarm robotics”, ou robotique en essaim, inspirée du comportement des insectes sociaux comme les fourmis et les abeilles. Située à la frontière de l’intelligence artificielle, elle explore la manière dont des règles et comportements simples, appliqués à un groupe de robots autonomes, peuvent conduire à l’émergence de comportements et d’actions plus complexes. Et ce, dans des environnements sociaux et physiques complexes et variés. 

“Basée sur le principe d’intelligence collective, cette branche de la robotique nous a semblé d’un intérêt particulier tant elle reflète certains aspects de notre condition humaine. À travers ces êtres autonomes mais évoluant au sein d’un groupe, elle tend à questionner tout système social qu’il soit végétal, animal ou robotique, explique le collectif VOID. Cette interaction collective tend à induire une dimension psychologique et une posture sociale au départ de l’algorithme simple qui dirige leurs actions. Pour ces raisons, on a anthropomorphisé ces machines tant visuellement que d’un point de vue sonore à travers l’utilisation de la voix humaine. Et plus précisément du chant, acte musical rudimentaire, précédant les formes articulées de langage.”

Les choristes namurois·es du Centre d’art vocal et de musique ancienne ont prêté leur voix aux robots du projet. Chaque note a été enregistrée en studio, au MediaLab de Namur, transférée sur microcarte et intégrée dans un robot.

Un chant consenti

Chœurs Synthétiques est un système homogène où les 15 robots sont dotés du même algorithme. Ils réagissent tous aux mêmes règles de base : “Va tout droit” ; “Si tu rencontres un mur, va en arrière” ; “Si tu rencontres un autre robot, arrête-toi”. 

“Chaque robot bouge de manière aléatoire tout en évitant les obstacles. Il est doté de son propre système de contrôle, programmé pour coopérer avec les autres robots. Lorsqu’il s’approche d’un congénère, il peut lui poser des questions comme “veux-tu chanter avec moi ?”. L’autre peut lui répondre oui ou non. Si la réponse est oui, les deux robots s’arrêtent et commencent à émettre un son”, explique Pr Elio Tuci. 

Des compositions uniques

“Musicalement, le projet s’inspire de compositeurices de Musiques Contemporaines tel que John Cage. En particulier parce que sa démarche implique l’aléatoire au sein de l’écriture musicale. Guidé par la recherche d’une “organicité musicale”, il s’inspire des éléments naturels. Les compositions sonores de Choeurs Synthétiques est la résultante croisée du nombre de robots, de la forme de l’espace dans lequel ils évoluent (et qui est clôturé par une petite barrière de 2 cm de haut, NDLR), des règles établies par l’algorithme et du son choisi pour chacun des robots (un son différent par robot, NDLR)”, explique le collectif VOID, qui a porté une attention particulière au son. Parfois, la composition sonore qui émerge d’une rencontre entre robots n’est pas agréable à l’oreille. Ce son dérangeant est un effet recherché par les artistes. 

En tout cas, la composition musicale chantée par les robots est à chaque fois unique. Elle ne se répétera théoriquement pas puisqu’elle dépend de leur déplacement aléatoire dans l’espace, rendant les rencontres avec un autre congénère également aléatoires. 

Chanter collectivement 

Ces rencontres peuvent avoir lieu à deux, trois ou quatre robots. La durée du chant est un paramètre du système informatique. “En fonction de la vitesse à laquelle se déplacent les 15 robots et de la surface sur laquelle ils se baladent, on peut estimer le nombre d’interactions entre eux. Sur base de cette estimation, on décide de la durée de ces interactions : plus elles sont courtes, plus le système est dynamique”, explique Pr Tuci.

Dans la version actuelle de Chœurs Synthétiques, chaque robot chante durant 20 secondes. Comme chanter est programmé pour être une activité collective, il n’y a pas de place pour les vocalistes solo. 

“Prenons la situation suivante, que l’on peut parfois observer :  deux robots se rapprochent, commencent à chanter puis, après 10 secondes, en arrive un troisième. Dix secondes plus tard, les deux premiers ont fini de pousser la vocalise et repartent, laissant le 3e chanter seul. Lorsque ce dernier s’en rend compte, au bout de 2-3 secondes, il écourte sa phase de chant et s’en va”, précise-il. 

Un savant mélange

Pour le professeur Elio Tuci, c’était la première fois qu’il collaborait avec des artistes sur un projet. “Cela s’est fait grâce l’équipe du ProtoLab du TRAKK, hub créatif de la Province de Namur dont un des rôles est de mettre ensemble monde scientifique et monde artistique. Ce sont elleux qui sont venu·es nous chercher, nous ont mis en contact avec les artistes, et ont piloté les travaux de démarrage du projet. L’idée de créer une chorale de robots a été développée conjointement avec les artistes. Pour ce faire, on s’est rencontré plusieurs fois. Le collectif VOID était intéressé par le son et la scénographie, nous par les robots et le développement de systèmes de contrôle : on a essayé de faire quelque chose de chouette ensemble.” Parmi les partenaires-clés à ce projet interdisciplinaire, citons également Timoteo Carletti, professeur au sein de la faculté de mathématiques de l’UNamur. 

Deux séances d’exhibition des 15 robots ont été réalisées au Pavillon, espace d’exposition du KIKK situé en haut de la citadelle de Namur lors du Printemps des Sciences 2023. La prochaine fois que le grand public pourra assister à leur tour de chant, ce sera au prochain KIKK festival, en octobre 2023. 

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