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Portrait 5 minutes de lecture

Robert Stadler, designer après tout

Auteurice de l’article :

Mikael Zikos

Belge, australien et grec, ce citoyen sans frontières se passionne pour tous les lifestyles, qu’importe les étiquettes. Consultant, rédacteur et journaliste indépendant, il officie pour des marques et médias spécialisés design, art et architecture et accompagne les créateur·ices dans le monde pour les films qu’il réalise en équipe.

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Il a déjà bien tracé les vingt premières années de sa carrière avec ses designs et ses expositions ayant souvent taclé le digital. On a échangé alors que son séminaire sur la création à l’heure des algorithmes bat son plein à Harvard.

Combinez les mots “recherche”, “autoproduction”, “design” et “industriel” et cela donne “Radi”. Pour celleux qui savent, Radi Designers est le nom d’un groupe de créateur·ices fondé en 1992 à Paris. Des pourvoyeur·ses de mobilier en édition limitée (de one-offs comme on pouvait le dire à cette époque) et de scénographies d’expositions aux esthétiques singulières, entre fantaisisme et art conceptuel. Leurs cibles ? Des marques populaires, à l’exemple de Moulinex et de Schweppes, et des collectionneur·euses aventureux·ses. 

Leur banc en mousse aux contours de chien, le Whippet Bench (1998), a laissé des traces comme nombre de créations ayant repoussé les limites de ce qui fut considéré comme acceptable dans l’univers de l’aménagement de maison durant les nineties. À cette époque, ce secteur est perméable aux tendances impertinentes du design qui fleurissent des suites de produits pop, pensées différemment, à l’instar des Mac translucides d’Apple.

Hétéroclite et à l’écoute de l’industrie

Parmi les cinq créateur·ices de ce collectif sis à Paris, l’Autrichien Robert Stadler établit sa propre pratique à partir de 2001. Il totalise ensuite de grands écarts répétés et reconnus pour des firmes aussi diverses que Ricard, Hermès, et des fabricants historiques de meubles tels que Thonet (l’inventeur de la chaise de bistrot en bois courbée, livrée en kit bien avant qu’IKEA n’existe) et Drucker (celui des chaises cannées si caractéristiques des cafés français). Des ré-inventions dont certaines ont fait date comme Pools & Pouf (Carpenters Workshop Gallery, 2004), réimagination informelle du fauteuil en cuir capitoné.

“L’intérêt pour le rapport entre l’objet et l’image, qui traversait notre travail avec les Radi, m’a suivi, s’exprime aujourd’hui Robert Stadler (natif de Vienne et de l’année 1966). Il faut savoir que l’on dessinait assez candidement des objets dans le but qu’ils soient produits en série. On pensait que nos idées allaient séduire les industriel·les. Cela n’a pas toujours été le cas, mais elles sont restées très médiatisées et ont eu un impact.”

En pervertissant le procédé mécanique de l’extrusion (qui sert aux matières plastiques), le banc-chien de ces contre-cultureux·ses est ainsi devenu une icône de la fin des années 90, où le digital et ses termes naissaient à peine. Depuis, Robert Stadler n’a eu de cesse de créer “dans l’air du temps” sans pour autant se plier aux tendances ; en gardant une ligne de conduite propre aux grands designers modernes et postmodernes : rationalisme et observation critique (l’humour en plus).

“Le digital est comme de l’air, s’amuse-t-il à dire. L’air est partout et on ne peut pas vivre sans. Ainsi, les outils numériques sont présents dans mon travail mais je les considère juste comme des aides qui accompagnent des procédés manuels.”

Le designer, formé en partie à l’École nationale supérieure de création industrielle ENSCI – Les Ateliers, ne se focalise pas exclusivement sur la conception assistée par ordinateur, et ses absurdités éventuelles. Pour lui, l’acte de créer s’inscrit avant tout dans une époque, un moment. “Dans la création industrielle, l’impression en 3D a existé depuis longtemps sans qu’elle n’ait été rendue accessible au grand public. Comme le digital est aujourd’hui omniprésent, il me semblerait bizarre de l’éviter…”

Impossible aussi de se limiter à une seule technique ou une seule surface. L’univers de l’exposition, ses échelles et son concept même, l’intéressent tout autant que le design en grande série ou en petite quantité. “Pour l’une de mes premières expositions, j’avais divisé un espace d’exposition en deux, avec d’un côté des objets et de l’autre côté leurs ombres, se souvient-il. Le visiteur pouvait ainsi aller devant ou derrière ce décor et comparer l’objet et son image. Pour certain·es, c’était très décevant, comme lorsqu’on rencontrait en vrai une personne après avoir discuté sur un forum en ligne.”

Savoir confronter le design et ses publics

Un peu plus de quinze ans après ses débuts, sa rétrospective a lieu au musée de l’Académie des Beaux-arts de Dresde en Allemagne. L’événement est pour lui l’occasion de tordre les règles de la bienséance de la monographie : de tourner aussi les projecteurs sur les pratiques de design des autres, celles des maîtres·sses canonisé·es dans cette Kunsthalle, et même celles de créateur·cices anonymes…

“J’y avais installé un immense écran rétro-éclairé sur lequel j’avais accroché ces objets, pour les faire flotter comme sur un écran d’ordinateur. À leurs côtés, j’avais disposé des meubles historiques des collections de cette institution, des œuvres d’art issues de ma propre collection et des objets anodins, comme une cigarette électronique. Présenter le tout en simultané était aussi une façon d’évoquer l’influence du Web et ses algorithmes, où les designs les plus différents les uns des autres se côtoient et deviennent interchangeables, si bien que cela nous apporte parfois des découvertes plus ou moins réjouissantes”. Le titre, à double tranchant, y faisait aussi référence : “You may also like: Robert Stadler” (2017).

You may also like: Robert Stadler © Hynek Alt

Peu après, dans “Typecasting” (2018), qui regroupait des meubles importants et nouveaux des collections de l’éditeur suisse Vitra, Robert Stadler allait outrepasser la catégorisation par typologie des produits (assises, tables, rangements…). Il les unissait selon des personae imaginaires, pour évoquer le rôle statutaire que le mobilier a au même titre qu’une voiture ou un smartphone dernier cri. “Il y avait les slasher·euses, qui combinent plusieurs emplois et favorisent les objets multifonctions, puis les aficionados des applis de rencontres, pour lesquel·les des meubles aux esthétiques très différentes étaient présentés face à face, en harmonie ou non.”

Questionner l’homégénité du design

Dans la course à la nouveauté, où chasser l’attention à tout prix peut être pathétique, les objets-écrans continuent d’intéresser Robert Stadler, tout comme les traditions du design, mais les NFT l’ont récemment pris de court. “J’avais des a priori négatifs sur ces tokens non-fongibles, c’est alors que j’ai décidé d’en créer”, s’amuse-t-il.

Le résultat, sa série “OMG-GMO” (2022), présente des légumes et des fruits difformes, comme si ceux-ci avaient été génétiquement modifiés. Elle a également été fabriquée en vrai, avant d’être exposée dans “Playdate” à la Maison de verre (Glass House en V.O.) de Philip Johnson. Un très sérieux emblème de l’architecture moderniste aux États-Unis, qui continue d’inspirer les designers émergent·es, désormais aussi accoutumé·es aux mondes virtuels des métavers.

“Je crois que faire du design comme avant se perd. Nous nous devons de ne jamais perdre notre capacité à être actif·ves et dynamiques : sonder le monde et résoudre des problèmes par la création.” C’est ainsi que le séminaire que Robert Stadler vient de tenir en cet automne 2022 au département Architecture de la prestigieuse Université américaine Harvard (“Home-Active: Furniture Design Beyond Social Media Complacency”) porte tout son sens…

Le bonheur réside dans les contraires

“Beaucoup d’étudiant·es ne se laissent pas bercer par les images réconfortantes de designs que l’on voit sur Instagram ou d’autres plateformes digitales. Iels savent que le design parfait, ou qui anticipe nos goûts, n’existe pas. Le bonheur réside dans les contraires”.

La preuve en est avec l’un des derniers nés de Robert Stadler : Return of the Thing (Carpenters Workshop Gallery, 2021-22). “Une console qui représente à la fois le bon vieux monde avec son bois massif, sa proportion d’or et son assemblage d’antan… et celui d’aujourd’hui.” Dessus a atterri une chose, “comme un splash, un gribouilli” à l’apparence du bois, qui doit autant à la technique du mapping (ici, la projection d’une image sur une surface) qu’à l’impression hydrographique de l’hydro dipping (l’impression sur un volume par son trempage dans un film d’encre). Un alien qui a du bon.

Return of the Ting – Carpenters Workshop Gallery © Benjamin Baccarini
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