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Lae toubib généraliste, bientôt aidé·e par l’IA ?

Auteurice de l’article :

Laetitia Theunis

Chimiste et océanographe de formation, Laetitia a troqué son tablier de chercheur contre une plume de journaliste par passion pour la vulgarisation scientifique. Elle a fait ses armes au Soir, avant de rejoindre le Vif et de devenir rédactrice en chef du Daily Science. Adepte de la randonnée et de la cuisine sauvage, elle aime s'immerger dans la nature et sortir des sentiers battus.

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Dernier bastion où l’intelligence artificielle n’a pas encore établi ses quartiers, la médecine générale s’ouvre peu à peu à cette technologie émergente. Mais il faudra que les apps soient validées scientifiquement avant d’envisager tout usage généralisé.

Le stéthoscope, outil phare et indispensable du médecin généraliste, devra-t-il à l’avenir partager la vedette avec le smartphone gorgé d’app médicales ? Une enquête menée par la Chaire Intelligence artificielle (IA) et médecine digitale de l’Université de Mons, en collaboration avec le groupe de presse médicale Medi-Sphère et AI4Belgium (organisation qui vise à établir une stratégie pour l’utilisation de l’IA dans le pays) dévoile les attentes et les préoccupations en matière d’intelligence artificielle des médecins généralistes belges.

Cette étude, dénommée “Baromètre de l’adoption de l’IA chez les médecins généralistes en Belgique”, a été menée via un questionnaire auprès de 240 d’entre elleux. Résultats ? Un·e médecin généraliste francophone sur 3, et un·e néerlandophone sur 2, sans différence liée au milieu d’exercice ou à l’âge, se disent intéressé·es par l’implémentation de l’IA dans l’exercice de leur métier. Les bénéfices espérés de cette association digitale ? Une aide dans l’interprétation des résultats d’examens médicaux, une augmentation de la rapidité et de la fiabilité de la prise de décision et la possibilité d’un suivi à distance du·de la patient·e.

Image générée sur DALL.E

Suivre les symptômes à distance

Aujourd’hui, il existe une multitude d’applications de biomonitoring permettant de suivre à distance différents paramètres ou symptômes : rythme cardiaque, tension artérielle, taux d’oxygène dans le sang, signaux neurologiques tels que l’épilepsie, taux de sucre dans le sang, fonction rénale, mobilité etc.

Prenons un·e patient·e épileptique. Tout au plus, lae médecin généraliste lae verra en consultation 3 à 6 fois par an. C’est donc de façon ponctuelle qu’iel prend connaissance de ses paramètres de santé. Le reste du temps, iel ignore leurs fluctuations, petites ou sévères telles que la survenance de crises d’épilepsie. Les applications de biomonitoring couplées à l’IA pourraient changer la donne. Celles-ci captent des signaux d’intérêt de façon continue chez le patient·e et informent lae médecin généraliste lorsque la situation est en train de se dégrader. “Ainsi, en plus des soins programmés, viendrait se greffer tout un trajet supplémentaire de soins ad hoc. Cela est particulièrement pertinent pour les patient·es plus âgé·es ou souffrant de maladies chroniques”, explique Dr Giovanni Briganti, médecin et titulaire de la Chaire “IA et médecine digitale”.

Affiner les connaissances

Autre point : un·e médecin généraliste étant touche-à-tout en matière de santé, iel n’est spécialiste d’aucun organe. L’IA pourrait l’aider à poser un diagnostic. “Prenons un·e patient·e avec une lésion sur la peau qui n’est pas clairement définie : comme le diagnostic différentiel est difficile à poser, lae médecin généraliste envoie lae patient·e auprès d’un confrère ou d’une consœur spécialiste. En parallèle, il existe des apps qui, sur base de photos des lésions, proposent plusieurs diagnostics possibles assortis de probabilité. Au fur et à mesure que lae médecin généraliste va recevoir le feedback éducatif de l’app et du·de la dermatologue, iel va gagner en compétences en termes diagnostique et thérapeutique”, poursuit-il.

En Belgique, la pénurie de médecins généralistes et d’autres soignant·es de première ligne est criante. “La difficulté d’accès au personnel de la santé rend difficile la médecine préventive. Ici aussi, l’IA pourrait pallier ce besoin. Sous la supervision et l’acceptation d’un·e médecin généraliste, les apps digitales pourraient être incluses très tôt durant l’enfance ou l’adolescence et dispenser des conseils personnalisés en matière de style de vie, d’activité physique afin de rester en bonne santé physique et mentale.”

Des apps non validées

Mais il y a un hic. Parmi ces applications de santé, très peu sont validées scientifiquement. Autrement, leur efficacité n’est pas garantie. “Pour quelques rares apps, le boulot a été bien fait : des études de qualité, réalisées selon un design correct, montrent leur efficacité dans un milieu de santé bien défini, comme la médecine générale ou hospitalière. Mais cela constitue l’exception plutôt que la règle générale”, pointe le Dr Briganti.

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Le trajet-type d’une application à vocation médicale emprunte souvent les mêmes grandes lignes. Des jeunes entrepreneur·ses veulent créer une start-up dans le domaine de la santé. Pour entraîner leur prototype d’application, iels établissent une collaboration avec un service d’un hôpital limitrophe, lequel leur fournit une base de données de santé anonymisées d’un millier de patient·es. Une fois développé, le produit est directement introduit sur le marché, sans réelle vérification scientifique.

“Or, la validation scientifique est un cheminement complexe et strict. Concernant une application à vocation médicale, si elle a bien fonctionné sur le premier groupe de patient·es, il est nécessaire de répéter l’essai sur un deuxième échantillon de patient·es. Ensuite, il convient de la tester une troisième fois sur un échantillon international. C’est seulement alors que les résultats sont considérés comme ayant du sens et qu’ils peuvent être mis en avant.”

“Une grosse partie des apps médicales sur le marché ont été développées sans s’inquiéter d’une validation médicale. C’est ce qu’on essaie de combattre avec l’instauration, à l’UMons, d’une Chaire en IA et médecine digitale. Nous sommes là, notamment, pour aider les entreprises à tester leurs produits digitaux selon des protocoles sérieux d’un point de vue scientifique et académique”, poursuit le Dr Briganti.

La crainte d’une déshumanisation

Selon lui, une fois ces problèmes résolus, les systèmes d’IA deviendront davantage performants, mais devront toujours être soumis à la supervision médicale. “L’IA ne peut être qu’un outil. On ne peut pas automatiser l’information et la prise de décision en médecine. On ne peut pas non plus remplacer un médecin par un robot. La prise en charge et le contact humains sont essentiels.”

Selon le Baromètre, près de 7 médecins généralistes interrogé·es sur 10 craignent que les apps leur fassent perdre des liens sociaux avec leur patient et déshumanisent leur travail. Iels disent aussi redouter l’apparition de nouveaux risques psychosociaux.

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En parallèle, iels se réjouissent des impacts positifs que pourraient avoir l’IA dans leur quotidien : une aide précieuse à la gestion administrative diminuant les tâches répétitives à faible valeur ajoutée. “L’IA devrait permettre aux généralistes de se concentrer sur ce qui a beaucoup de valeur ajoutée : leur expertise et leur contact avec lae patient. Selon moi, dans ce monde d’une médecine hypercomplexifiée, administrative et protocolaire, l’IA est un des espoirs pour réhumaniser le soin”, conclut le Dr Briganti.

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