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Les Guerrilla Girls, le collectif féministe qui montre les dents aux galeries d’art

Auteurice de l’article :

Juliette Maes

Diplômée d’un Master en Presse et Informations à l’IHECS en 2020, Juliette a fait ses premiers pas en journalisme au ELLE Belgique, pour qui elle écrit toujours aujourd’hui. Touchée par les sujets féministes et sociaux, elle s’intéresse entre autres à l’entrepreneuriat féminin, à l’inclusivité et à la transition écologique. Professionnellement, Juliette a la bougeotte. À côté du journalisme, elle est photographe et vidéaste, notamment pour Badger Production, une boîte bruxelloise experte en storytelling d’entreprise.

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“Est-ce que les femmes doivent être nues pour entrer au Metropolitan Museum ? Moins de 5% des artistes dans les sections Art Moderne sont des femmes, mais 85% des nus sont féminins.” Derrière cette affiche mondialement connue se cachent les Guerrilla Girls. Depuis les années 80, ce collectif d’artistes féminines lutte contre les disparités de genre dans le monde de l’art contemporain.

Les Guerrilla Girls se décrivent comme “la conscience du monde de l’art, des contreparties aux traditions principalement masculines de bienfaiteurs anonymes tels que Robin des Bois, Batman et The Lone Ranger.” Elles ont produit plus de 80 posters, projets imprimés et actions qui exposent le sexisme et le racisme dans le monde de l’art et la culture dans son ensemble. Leur arme de choix : un humour provocateur qui a attiré l’attention des plus grandes galeries d’art.

La naissance d’un mouvement international

Au printemps 1985, sept femmes ont lancé les Guerrilla Girls en réponse à l’exposition du Musée d’Art Moderne (MoMA) à New York de l’année précédente. Intitulée “An International Survey of Recent Painting and Sculpture” (une étude internationale de la peinture et sculpture récente), l’exposition ne comptait que 13 femmes parmi les 169 artistes représenté·es. L’exposition prétendait présenter les peintres et sculpteur·euses les plus important·es de cette époque. Elle ne comprenait cependant que huit artistes de couleur, tous des hommes. 

Des commentaires attribués au conservateur Kynaston McShine lors de cette soirée mettaient en évidence le biais de genre explicite de l’exposition et du monde de l’art de l’époque. Dans une interview donnée lors de l’inauguration, il affirmait que “any artist who wasn’t in the show should rethink ‘his’ career.” (tout artiste qui n’était pas dans l’exposition devrait repenser sa carrière). Dans son interview originale en anglais, McShine a utilisé le pronom masculin “his” dans son discours, démontrant clairement sa vision biaisée de l’archétype de l’artiste type.

Nom d’emprunt d’artiste défunte, masque de gorille… Carte d’identité d’une activiste anonyme

Au commencement du mouvement, les fondatrices étaient toutes blanches. Elles faisaient tourner leurs messages par le biais d’affiches qu’elles collaient dans le centre-ville de Manhattan, en particulier dans les quartiers de SoHo et East Village, qui abritaient leur cible initiale : des artistes et galeries commerciales. Un an après sa création, le groupe a élargi son champ d’action pour inclure le racisme dans le monde de l’art, attirant ainsi des artistes de couleur. Le collectif a pourtant été critiqué, notamment à cause du manque de diversité présent au sein de ses membres. Leur art était considéré comme exclusif au féminisme blanc. Zora Neale Hurston, une écrivaine, anthropologue et militante afro-américaine, déplorait que l’adhésion aux Guerrilla Girls était “surtout blanche” et reflétait largement la classe sociale du monde de l’art qu’elles critiquaient. 

Malgré le port du masque pour cacher l’identité des membres, certain·es attribuent l’intérêt des Guerrilla Girls au fait que les leaders connues sous leur nom d’emprunt, “Frida Kahlo” et “Käthe Kollwitz”, étaient toutes les deux blanches. “Frida Kahlo” ayant par ailleurs été critiquée pour son appropriation du nom d’une artiste latine. 

Interrogées sur leurs masques au début du mouvement, les membres ont répondu : “Nous étions des guérilleras avant d’être des gorilles. Dès le début, la presse voulait des photos de publicité. Nous avions besoin d’un déguisement. Personne ne se souvient, avec certitude, comment nous avons obtenu notre fourrure, mais une histoire raconte qu’au cours d’une réunion précoce, une des filles originales, qui était mauvaise en orthographe, a écrit ‘Gorilla’ au lieu de ‘Guerrilla’. C’était une erreur éclairée. Cela nous a donné notre ‘mask-ulinité’.”

Des oeuvres percutantes qui ont n’ont pas tardé d’attirer l’attention des musées qu’elles dénoncent

L’une des marques de fabrique de l’art de résistance utilisé par les Guerrilla Girls est leur sens de l’humour. “Nous avons vite découvert que l’humour impliquait les gens. C’est une arme efficace”, a déclaré l’une des membres dans une interview dans leur premier livre “Confessions of the Guerrilla Girls” sorti en 1995.

Le poster “Est-ce que les femmes doivent être nues pour entrer au Metropolitan Museum?” a été créé en 1989, après que les Guerrilla Girls aient visité le Metropolitan Museum en comptant le quota de femmes artistes par rapport aux femmes nues présentes au musée. Leur découverte : “Moins de 5 % des artistes exposé·es sont des femmes, mais 85 % des nus sont féminins.”

L’affiche montre La Grande Odalisque portant un masque de gorille. Pour atteindre leur audience, le collectif a loué un espace publicitaire sur des bus new yorkais. Mais la compagnie locative a rapidement annulé le contrat, stipulant que l’image était trop suggestive et que la jeune femme représentée semblait tenir autre chose qu’un éventail dans sa main.

Le rapport de 1986 des Guerrilla Girls répertorie 17 galeries en comparant le nombre d’artistes femmes exposées entre 1985-6 et 1986-7. L’affiche, comme d’autres dans leur portfolio Guerrilla Girls Talk Back, emprunte des éléments à la publicité et à la publication à la volée. Elles ont en grande partie été collées la nuit dans les rues de New York.

À la fin des années 1980, les Guerrilla Girls étaient très actives, diffusant leurs affiches dans tout le pays. Les réactions à leur art étaient mitigées, mais dans l’ensemble, elles avaient atteint une certaine popularité. Leur rôle dans le monde de l’art s’est concrétisé quand plusieurs organisations majeures ont soutenu leur cause. En 1986, la Cooper Union a organisé plusieurs tables rondes et panels de discussion avec des critiques d’art, des marchand·es et des conservateurices, pour discuter de suggestions pour réduire la fracture entre les sexes dans le milieu artistique. Un an plus tard, l’espace artistique indépendant The Clocktower a invité les Guerrilla Girls à organiser un événement de protestation contre la Biennale d’art contemporain américain du Whitney Museum, qu’elles ont intitulé Guerrilla Girls review the Whitney.

Un système dominé par l’homme blanc

La grande question reste : qui est responsable de la discrimination contre les femmes dans le monde de l’art ? Les Guerrilla Girls seraient d’avis qu’il s’agit principalement des hommes blancs riches : “les musées dépendent de plus en plus des dons d’argent et d’œuvres d’art de collectionneurs très riches – et ces collectionneurs sont généralement des hommes blancs, qui collectionnent principalement des œuvres d’art créées par des hommes blancs”. En conséquence, les musées ne documentent plus l’histoire de l’art, mais celle de la richesse et du pouvoir, selon les activistes. 

Tout le monde ne s’accorde pas sur l’amplitude de l’impact que les Guerrillas Girls ont eu sur le manque de diversité et les biais de genre explicites présents dans le monde de l’art. Le groupe est néanmoins crédité pour avoir suscité le dialogue et attiré l’attention sur ces problématiques. Ce qui est sûr c’est que défendre une cause juste, tout en portant un masque de gorille, chez kingkong, on valide.

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