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Le Laboratoire : la culture et les médias au service de l’inclusion

Auteurice de l’article :

Jil Theunissen

Évoluant entre droit, médias, culture et nouvelles technologies, Jil s’est récemment lancée dans la collection officielle de casquettes. À ses heures perdues et souvent pendant la nuit, elle rédige différents contenus allant de la chronique au texte de loi, et développe des projets un peu hybrides mixant les diverses disciplines mentionnées ci-dessus.

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Provoquer la rencontre entre des adolescent·es et des personnes âgées autour d’une oeuvre de street art, les faire discuter du rôle des médias et de la culture, concevoir ensemble une fresque collaborative et créer une vidéo et un podcast, voilà le « petit » défi que s’est fixé Emilie Vervust, avec son projet 1 km2.

1km2, c’est l’expérience phare du Laboratoire, jeune asbl bruxelloise créée début 2023, qui vise à encourager l’inclusion de tous et toutes dans les médias. Retour sur ce projet hors du commun, où smartphones et filtres FaceApp côtoient lunettes et blocs notes, où l’expérience circule à 75 ans d’intervalle et où Telegram(me) est à la fois ceci et cela.

©Emilie Vervust / le Laboratoire

Egalité et diversité dans les médias, des stéréotypes qui collent à la peau

Le projet est né d’un constat: le manque de représentation de certains publics dans les médias, et les inégalités, stéréotypes et discriminations qui peuvent en découler.

Différentes études le prouvent, d’importants déséquilibres existent encore entre la place qu’occupent certains groupes dans la société et leur représentation dans les médias. Selon le récent Baromètre de l’égalité et de la diversité du CSA, les femmes, par exemple, si elles constituent 51,7% de la population belge, ne représentent que 39,3% des intervenant·es à l’écran. Même constat pour les personnes issues de la diversité (32,7% de la société contre 11,3% dans les médias), ou encore les publics en situation de handicap (6% contre …0,47%). Outre une sous-représentation numérique, les rôles médiatiques associés à ces groupes posent question: les femmes sont par exemple présentées davantage dans des rôles de témoins que d’expertes, les personnes en situation de handicap ne sont sollicitées quasiment que pour s’exprimer sur leur condition, etc.

Répétées, ces pratiques aboutissent non seulement à invisibiliser des franges entières de la population, mais contribuent également, dans l’imaginaire collectif, à leur assigner certains rôles, enfermant des personnes déjà discriminées dans des stéréotypes qui leur collent à la peau.

1 km2, une expérience culturelle ancrée dans un quartier

C’est pour répondre à cette problématique et contribuer à des médias plus égalitaires qu’Emilie Vervust a créé le Laboratoire. La mission de l’asbl tient en quelques mots: valoriser la parole des personnes invisibilisées dans les médias, par l’expérience et l’échange, via des “expériences média”.

On vous l’accorde, cette description peut sembler quelque peu théorique pour qui n’est pas expert·e en la matière. La première de ces expériences, 1km2, s’ancre pourtant résolument dans le concret. Elle a débuté il y a quelques semaines à Bruxelles, et vaut le détour.

Le projet se déploie à l’échelle d’un quartier, ici à Woluwé-Saint-Pierre, pendant 6 mois. Des élèves d’une classe de 2e secondaire rencontrent une quinzaine de résident·es d’une maison de retraite toute proche. Ensemble ils découvrent un projet culturel situé dans les environs: ici la fresque de street art de la station SNCB Mérode, du collectif Propaganza.

©Emilie Vervust / le Laboratoire

Les publics de cette première édition n’ont pas été choisis par hasard: les plus de 65 ans et moins de 19 ans constituent en effet les personnes les moins représentées dans les médias. En termes numériques, ces deux groupes ne composent que 20% des intervenant·es, alors qu’ils représentent plus de 40% de la population.

“J’ai pu observer que beaucoup d’ados et de résident·es partent du principe que leur parole ne compte pas, qu’iels n’ont aucun rôle à jouer dans la société, souligne Emilie. Le but du projet est de valoriser leur avis, en les replaçant au cœur de l’action et de la pratique.”

La pratique justement, la voilà. A raison d’une rencontre tous les 15 jours, les participant·es développent un projet commun: la création d’une fresque collaborative au sein de l’école des élèves. Les deux groupes rencontrent dans ce cadre des artistes, journalistes, réalisatrices, qui les initient à différentes techniques, expérimentées ensemble. A la fin du projet, les élèves réaliseront également un “souvenir média” de l’expérience, sous forme d’un podcast et d’une vidéo. Des réalisations concrètes, donc, qui se révèlent un excellent vecteur d’échange, de découverte et d’apprentissage. Une manière aussi de réconcilier ces publics avec les médias, et de remettre leurs parole et expérience au centre des créations.

©Emilie Vervust / le Laboratoire

L’expérience et l’échange au coeur du projet

Pas question ici de cours ex cathedra sur l’art ou l’utilisation d’un smartphone: au Laboratoire, on crée, on teste, on manipule. On échange aussi, on observe, se confronte à d’autres visions. Un savant mélange permettant de s’approprier les outils médiatiques et artistiques, domaines de prédilection d’Emilie, mais également, voire surtout, de découvrir l’autre et de déconstruire les préjugés. “Le but du projet n’est pas que les élèves deviennent toustes journalistes ou que les résident·es soient expert·es en street art. L’essence d’1km2 est d’ouvrir les esprits, de créer des ponts, et de permettre aux personnes de faire entendre leur voix en sortant des cadres que la société leur impose.”

©Emilie Vervust / le Laboratoire

Des premiers retours enthousiastes

Le projet étant en cours, il est encore trop tôt pour en tirer un bilan complet, notamment en termes de création et appropriation des outils média, qui interviendront davantage en seconde partie de projet. On constate néanmoins que jusqu’ici la sauce prend, délivrant quelques résultats surprenants, touchants ou décalés. On retiendra, entre autres, une première manipulation croisée des outils numériques et les fous-rires provoqués par l’utilisation de filtres vieillissants ou rajeunissants de célèbres app, les binômes inédits qui se forment, l’humour décapant de certain·es ou encore d’intéressants avis à propos du rôle de l’art dans la ville, qui transcendent les générations.

Mention spéciale à Christiane L, charismatique résidente, qui ambitionne de tagguer un des murs de la maison de repos et, en fin de séance, salue les élèves d’un “Allez, à la prochaine, on se reverra Inch’Allah !”. Clin d’oeil à Inès, 14 ans, qui lui a expliqué la signification de l’expression quelques minutes plus tôt.

Plus largement, si bien sûr certains écarts de génération subsistent, le respect et la parole circulent, élément crucial pour des publics qui ne se sentent pas toujours entendus et par conséquent légitimes de s’exprimer. L’enthousiasme se ressent tant du côté des élèves, heureux·ses de sortir d’un cadre scolaire qui ne les épanouit pas toujours, que des résident·es, impliqué·es dans des projets inédits. “Certaines familles nous appellent après les ateliers pour nous remercier, précise Lisa Wilmot, ergothérapeute de la maison de repos. C’est le genre de réaction qui nous confirme que le projet à du sens.”

©Emilie Vervust / le Laboratoire

Et après ?

Si 1km2 est actuellement un projet pilote, l’objectif est que celui-ci essaime partout dans Bruxelles. Emilie prévoit de le démultiplier dès l’année prochaine, élargissant au passage le spectre des publics concernés : “On partirait sur 3 éditions en 2024, à l’échelle de 3 quartiers différents. Deux d’entre elles réuniraient à nouveau des ados et des personnes âgées, une troisième impliquerait de nouveaux publics, comme une école pour élèves sourd·es et malentendant·es ou un centre pour personnes en situation de migration”.

Outre les projets ponctuels, le but du Laboratoire est également, à terme, de fédérer autour de ceux-ci une communauté dédiée à la culture et aux médias inclusifs. Une plateforme d’expression citoyenne est notamment en cours de développement, ayant vocation à devenir un des projets centraux de l’asbl: “Il s’agira d’un site web qui prendra la forme d’une carte interactive de Bruxelles, sur laquelle seront diffusées les créations du Laboratoire, comme les vidéos et podcasts réalisés dans le cadre d’1km2, mais aussi des portraits, des témoignages, etc”. Cette plateforme, d’abord vitrine du projet, deviendrait un média en soi d’ici quelques années, véhiculant concrètement la parole des publics concernés.

L’idée germe également de développer un lieu physique dédié à la culture inclusive bruxelloise, qui comprendrait des espaces d’expérimentation, d’échanges et de diffusion, invitant encore plus à la rencontre et à l’expression des publics, déjà bien amorcées par les projets en cours.

Longue vie au Laboratoire

Ce qui nous a marqué dans ce projet, c’est son aspect incarné: dans un quartier, dans des personnes, dans de la pratique. Un projet aux résultats inédits, qui prouve à quel point l’expérimentation et la rencontre de mondes a priori éloignés permettent d’initier des réflexions, de créer des pépites, et d’insuffler petit à petit plus de confiance, en soi et en l’autre, en sa voix et son opinion.

On a hâte d’en découvrir la suite.

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