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Le clip en 2023 : atout, pertinence et évolution

Auteurice de l’article :

Diane Theunissen

With a Master's degree in Arts and Lifestyle Journalism from the London College of Communication (UAL), Diane has been working in the cultural sector for several years. A big fan of indie rock and particularly sensitive to equality issues, she is a journalist, radio commentator, festival programmer and musician in her spare time, and writes her lunar thoughts almost every day in A6 notebooks, neither lined nor squa

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Quelle est la place, le rôle et la pertinence de l’audiovisuel au sein d’un projet musical ? De quelles façons les artistes, les réalisateurices et leurs équipes s’adaptent-iels aux nouveaux outils et formats mis à leur disposition ? Quelles sont les initiatives mises en place pour favoriser la création et la diffusion des clips belges ?

Le clip, vitrine d’un univers musical et artistique

Le 9 juin dernier, l’autrice-compositrice-interprète ML dévoilait son deuxième EP, le sublime Ailleurs n’existe pas. Un projet de sept titres à la croisée entre alt-pop et rock indé, porté par des mélodies entêtantes et un lyrisme à la fois honnête, poétique et aiguisé. Une musique sincère, donc, renforcée d’une esthétique qui fait mouche : couleurs pétantes, look nineties, frange rideau et logo écrit à la main, une image humaine qui rappelle à la fois Maggie Rogers, Angèle et Lou Doillon. Cette identité visuelle, on la retrouve dans chaque recoin du projet ML, et notamment dans ses clips : tandis que le film de “Ressaisis-toi” la met en scène dans différents décors – tantôt vêtue d’un t-shirt de baseball, Walkman en main, le corps virevoltant au rythme de la musique dans un appartement parisien, tantôt déambulant dans les vestiaires d’un club de sport parée d’une magnifique Fender Stratocaster – celui de “Crève d’ennui” nous envoie tout droit sur les plages de galets, dans les champs ou encore au bord d’un ruisseau, rappelant, sans filtre ni artifices, la fraîcheur et la spontanéité de cette artiste en pleine ébullition.

Le clip, c’est comme une carte de visite. On dit souvent que la bouffe se mange avec les yeux, c’est la même chose pour la musique. En tant qu’artiste, tu as besoin d’un artwork, de photos, et d’un clip pour partager ton identité visuelle et te positionner.

Benoît Do Quang

“Le rôle du clip, c’est surtout de poser un décor. Il s’agit de donner une lumière, un mood à ta musique”, nous glisse ML. Elle a vu juste : les clips, tout comme les pochettes de disques, les t-shirts vendus après les concerts ou encore les réels Instagram, font partie d’une démarche artistique globale, et permettent de créer un univers autour d’un projet musical. C’est également l’avis de Benoît Do Quang, réalisateur de clips, documentaires et spots publicitaires. “Le clip, c’est comme une carte de visite. On dit souvent que la bouffe se mange avec les yeux, c’est la même chose pour la musique. En tant qu’artiste, tu as besoin d’un artwork, de photos, et d’un clip pour partager ton identité visuelle et te positionner”, explique-t-il. Situé à l’intersection parfaite entre l’œuvre d’art et l’outil promotionnel, le clip permet donc aux artistes de créer un narratif, et d’aller à la rencontre de leur public. Une démarche nécessaire — voire essentielle — dans une industrie de plus en plus compétitive, où les projets musicaux se multiplient à la vitesse de l’éclair. “Les clips sont devenus indispensables. Si on n’en fait pas, on peut avoir l’impression que notre chanson passe à la trappe”, ajoute ML.

Le clip, un art débridé ?

“Il y a une dizaine d’années, j’ai fait mon premier clip pour mes potes de Kennedy’s Bridge. À la base, j’avais juste un truc qui filmait. Et comme dit Orelsan, si tu veux faire des films, t’as juste besoin d’un truc qui filme, ajoute Benoît. Sans avoir aucune connaissance, on a bricolé ça avec les moyens du bord : on a construit un truc pour faire des travellings avec une échelle en bois de chez IKEA et des roues de roller parce qu’on trouvait que ça faisait pro.” Bien que bidouillé avec très peu de moyens, ce clip a joué un rôle essentiel dans la carrière du groupe, ainsi que dans celle du réalisateur : “C’était le début du succès YouTube, et le truc a fait 10.000 vues en une semaine. Il y avait des articles dans la presse locale, etc. Ça a permis à mes potes de jouer aux Ardentes alors qu’ils n’avaient jamais fait que des caves à bières. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte de la puissance du clip : avec peu de moyens, de la créativité et de la débrouillardise, on peut faire des choses qui ont un impact et de la valeur.”

Cet art de la débrouillardise, Benoît l’a défendu corps et âme pendant plusieurs années. “Grâce à la technologie, les outils se sont démocratisés. Cette démocratisation a permis à des gens comme moi, qui n’ont ni formation ni matériel, de pouvoir faire des clips. À ce moment-là, il y avait une place pour la créativité et les trucs un peu plus bricolés”, confesse-t-il. Cependant, au fur et à mesure des expériences et des rencontres, le réalisateur est parvenu à professionnaliser son approche. “Maintenant, on entre dans une autre ère, et ça se voit aussi bien dans les clips que dans la production YouTube : les choses sont de plus en plus produites. Je pense qu’on commence à avoir fait le tour du DIY : tout le monde surenchérit à chaque fois, et maintenant, quand tu regardes les clips de rap français, ce sont presque tous des court-métrages”, ajoute-t-il.

Je pense que tous ces gens qui font du DIY ne rêvent que d’une chose, c’est d’avoir un budget.

Maxime Pistorio

Selon Maxime Pistorio, réalisateur et co-fondateur du festival du clip belge VKRS, le DIY est intrinsèque à l’environnement du clip. “Il y a 25 ans, un clip, c’était une usine à gaz : ça coûtait très cher, il fallait des lumières, un studio, etc. Maintenant, on n’a plus besoin de rien. On peut filmer avec son iPhone et faire le montage sur la table de la cuisine (…) Cela dit, je pense que tous ces gens qui font du DIY ne rêvent que d’une chose, c’est d’avoir un budget”, souligne-t-il.

L’argent, pièce manquante de l’industrie du clip belge

Maxime a vu juste, lui aussi : des financements, c’est ce qui manque le plus à l’industrie du clip belge. “En Belgique, personne ne vit du clip”, confesse Yoann Stehr, réalisateur et fondateur de la société de production Super.Tchip. “C’est une économie très bancale : la plupart des boîtes de prod qui font du clip font aussi de la pub, c’est d’ailleurs souvent leur revenu principal. Moi je pars avec quasiment rien, j’ai zéro balle de base. Super.Tchip, ça ne s’appelle pas comme ça pour rien”. Il y a trois ans, les réalisateurices ont enfin aperçu une lueur au bout du tunnel : la Fédération Wallonie-Bruxelles a mis en place une aide financière en faveur des professionnel·les de l’audiovisuel. Le principe est simple : chaque année, un appel à projet est lancé. Les projets présentés passent par une commission, qui attribue alors une bourse allant jusqu’à 20.000€ aux projets acceptés. “C’est une super initiative, je suis hyper content que ça existe. On la réclamait depuis longtemps, cette aide-là”, ajoute Yoann.

Ce qui a déclenché le fait que je fasse des plus gros projets, c’est que j’ai remporté des appels à projets auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Alice Khol

Tout comme Yoann, la réalisatrice Alice Khol a également eu la chance de bénéficier de cette fameuse bourse. “Ce qui a déclenché le fait que je fasse des plus gros projets, c’est que j’ai remporté des appels à projets auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles. J’ai vu ça comme une opportunité de pratiquer la réalisation : créer des images, créer une narration sur de la musique, etc. Cette bourse a beaucoup changé la donne en Belgique. Mais c’est extrêmement rare d’avoir un tel budget pour un clip”, précise-t-elle. En plus de donner aux réalisateurices l’occasion de travailler dans de meilleures conditions, de louer du matériel de qualité et de rémunérer leurs équipes, l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles permet également de diversifier l’offre de clips en Belgique. Grâce à cette enveloppe, Alice a notamment pu réaliser une série de sept clips pour l’artiste Pierres. Un travail d’envergure d’une créativité sans limites, qui traduit à la perfection l’univers décalé de l’artiste bruxellois. “Pierres avait trois EPs de maquettes. Je me suis dit que ça faisait beaucoup de morceaux (rires).” Qu’à cela ne tienne, la paire a décidé de se lancer dans la confection d’un mini-documentaire qui présente une journée dans la vie de l’artiste façon Strip-Tease. “Les chansons de Pierres parlent de poésie du quotidien, de moments de la journée et de sensations par rapport à des choses assez simples. Je me suis dit qu’il pourrait y avoir toute une journée de sa vie qui soit rythmée de chansons, comme une comédie musicale inversée. J’ai remis ce dossier, on a eu la commission et on a réécrit ensemble toutes les étapes de l’histoire. J’avais envie que ce soit un peu décalé, un peu drôle, et que ça corresponde à l’univers de Pierres.”

Désigné comme l’un des membres de la commission, Maxime le confirme : “La bourse a fait apparaître des types de clips que je ne connaissais pas. Je vois apparaître des regards d’auteurices qui ont été plus travaillés (…) Peut-être que le fait d’être passé par un dossier, d’avoir dû séduire une commission, d’avoir dû faire des plans de financement un peu complexes, les poussent aussi à faire des recherches esthétiques plus poussées. Iels ne peuvent pas se contenter d’une promesse, iels doivent convaincre.” Cette année, les clips subventionnés par la Fédération Wallonie-Bruxelles étaient projetés au festival VKRS, unique festival du clip en Belgique francophone. Organisé au Théâtre des Riches Claires, le festival présente chaque année une compétition nationale de clips. “On en reçoit en moyenne 300 par an et on en choisit une trentaine”, note Maxime. VKRS, c’est également un concours de speed clipping : un défi lancé à des équipes de vidéastes qui reçoivent une chanson tirée au sort d’un groupe présent au festival, et qui ont trois jours pour réaliser un clip. “Tout d’abord, le festival permet la rencontre de ces deux milieux : celui de l’audiovisuel et celui de la musique, qui n’avaient pas l’habitude de se mélanger.”

Réseaux sociaux, tendances et adaptation aux nouveaux médias

Le 2 décembre 1983, la chaîne de télévision américaine MTV explosait ses chiffres d’audience en diffusant le célèbre clip du morceau “Thriller” de Michael Jackson. Un véritable court-métrage qui a permis à l’artiste de promouvoir son univers musical tout en offrant à son public une expérience audiovisuelle inoubliable. Depuis, les canaux de diffusion ont évolué, tout comme nos modes de consommation : on ne regarde plus les clips en grand sur MTV — ni sur MCM, d’ailleurs —, mais à la demande sur YouTube, Spotify, TikTok et Instagram.

Sur TikTok et Instagram, les gens ne veulent pas voir des images trop clean, trop produites. Ils veulent voir quelque chose de vrai, ou faussement vrai.

Benoît Do Quang

Cette évolution médiatique a évidemment un impact colossal sur la façon dont les clips sont pensés, créés et diffusés, et donne naissance à d’autres types de contenus intermédiaires. En parallèle de ses clips, ML a pris l’habitude de publier du contenu audiovisuel sur les réseaux sociaux. Son truc ? Les réels Instagram, ces vidéos verticales par le biais desquelles elle met en lumière son travail de création, ses ami·es ou encore ses balades à vélo nocturnes dans Bruxelles. “Il y a une chose que je trouve très positive avec les réseaux sociaux, c’est de pouvoir faire ce genre de contenu intermédiaire. Moi, j’aime bien faire des réels Instagram sur la vie quotidienne, filmer des choses avec mon téléphone pour finalement les utiliser comme outils promotionnels, tout en racontant ma façon de vivre”, explique l’artiste. Selon Benoît, c’est sur les réseaux sociaux qu’il faut privilégier le bricolage, l’authentique, le DIY. “Sur TikTok et Instagram, les gens ne veulent pas voir des images trop clean, trop produites. Ils veulent voir quelque chose de vrai, ou faussement vrai. Mais clairement, ils ont envie d’avoir la sensation que tu as posé ton téléphone sur le bord de ton bureau et que tu t’es filmé en train de jouer”, souligne le réalisateur.

Cela dit, la présence des artistes sur les réseaux sociaux n’est rien sans leur musique, ni les clips qui l’accompagnent. “Il y a peu de canaux qui meurent. Si vous revenez 60 ans en arrière, il y avait de la radio, de la télé, de la presse et de l’affichage. À tout ça se sont ajoutés énormément de canaux, mais les médias de base sont encore là. C’est la même chose dans l’industrie musicale : la base reste le morceau de musique. Mais à ça, on a ajouté le clip, qui a été la première matérialisation après la présence sur scène. Ensuite, on a finalement ajouté une présence très orchestrée sur les réseaux sociaux”, explique Hugues Rey, directeur de l’agence publicitaire Havas. Et des clips, on en trouve à toutes les sauces : lyrics videos, visualizers, court-métrage ou mini-clip d’une minute, il y en a pour tous les goûts. L’important, c’est de proposer un contenu pertinent, qui puisse capter le regard du public. Expert en la matière, le rappeur américain Tyler, The Creator fait ça à la perfection, en proposant des clips plus courts que la normale. “Il prend sa chanson, il la découpe, il fait un couplet et un refrain, il fait un clip hyper cool mais très condensé. Il a un univers très visuel donc il ne veut pas renoncer à ça, mais par contre il s’adapte à la façon dont les gens consomment donc il fait quelque chose de plus court et plus intense”, note Benoît.

Motion capture, animation 3D et intelligence artificielle

Il y a quelques années, Yoann Stehr et Alice Khol co-réalisaient le clip “Balrog” du rappeur anversois Shaka Shams. Un clip osé, aux allures de film de science-fiction, qui mettait en lumière une technique bien particulière : le motion capture. “C’est un costume avec des capteurs à toutes les articulations, qui permet de récupérer les mouvements d’un·e acteurice dans un logiciel 3D pour ensuite avoir un personnage qui bouge sans devoir l’animer, explique Yoann. C’est une technique qui vient d’Hollywood et qui était encore très onéreuse il y a 10 ou 15 ans, mais qui est devenue très accessible. On a acheté un costume pour 1.000 balles, et tous les logiciels sont hyper faciles d’accès et d’apprentissage”, ajoute-t-il.

Avec Super.Tchip, Yoann puise toujours plus profondément dans les tiroirs de la technologie : dans chacune de ses productions, le réalisateur et ses comparses — tels que Simon Breeveld et Diogo Heinen – intègrent une multitude d’outils comme le collage ou encore l’animation 3D. Cette année, alors qu’il travaillait en collaboration avec Diogo sur le clip de “Cheesecake” pour le groupe instrumental ECHT!, Yoann a fait la connaissance d’un outil à la fois étonnant, merveilleux et effrayant, qui porte le joli nom d’intelligence artificielle. Le processus ? “On commence par faire de la récup de vidéos – dans des films, sur internet, etc. Là-dedans, on vient intégrer des images en collage, très vulgairement. Pour ce clip-ci, on a intégré une image d’un château construit avec des bonbons. Ensuite, on change la calorimétrie de l’ensemble, on traite un peu l’image qu’on a récupérée, sans pour autant faire attention à l’esthétique – on fait un truc très sauvage, uniquement pour donner des indications de volume et de couleurs. On balance le tout dans la machine d’intelligence artificielle, on prompte “ville avec un château” ; la machine fait son travail et nous ressort un truc nickel avec une sorte de château en forme de bonbon. Tout est lissé, tout est réintégré, tout fonctionne.” Malgré les plusieurs aller-retours à faire afin d’atteindre le résultat espéré, l’intelligence artificielle permet un gain de temps considérable, tout en offrant des possibilités créatives magistrales. Un outil qui se précise de plus en plus, et qui évolue à une vitesse folle : “Rien que lors de la réalisation du clip, les outils changeaient au fur et à mesure de notre travail (…) Ça va être très impressionnant, tout ce qu’on va avoir la possibilité de faire avec l’intelligence artificielle”. Comme quoi, utilisé à bon escient, l’intelligence artificielle peut faire des miracles. Et si vous en doutiez encore, il n’y a qu’à regarder le clip de “Cheesecake” pour vous en convaincre !

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