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Article 6 minutes de lecture

KIKK 2023 : menu conférentiel en 42 services

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Deux journées. Quatre lieux. 42 talks. 52 intervenant·es venu·es du monde entier pour raconter, vulgariser, révéler, inspirer, retracer, émouvoir. Voire tout à la fois. Un public de professionnel·les s’est pressé au portillon, parfois jusqu’à faire salle comble. En incognito, kingkong a pris le pouls de ce cru 2023 de conférences made in KIKK.

On les voit, celleux qui posent le pied pour la première fois dans la capitale wallonne. À la gare, les regards rivés sur leur application GPS, toustes prennent la direction du bas de la ville. Iels bossent dans une large variété de secteurs au sein des industries créatives et numériques : datavisualisation, stratégie de marque, design, recherche, réalité virtuelle (RV) ou intelligence artificielle (IA)… Certain·es (comme nous) pressent le pas en descendant la Rue de Fer. Iels ne voudraient surtout pas manquer la conférence d’ouverture de cette douzième édition du KIKK Festival.

Il est à peine 10h au Théâtre de Namur et lae grande Nelly Ben Hayoun-Stépanian – dont nous vous parlions dans l’article d’annonce du festival – arrive sur scène dans sa robe rose bonbon et ses santiags en imitation peau de vache. Accompagné·e du japonais Nobumichi Tosa, vice-président de la société artistique Maywa Denki, iels mettent en jambe l’assemblée avec une danse matinale. Les deux artistes performeureuses se connaissent d’ailleurs depuis bien longtemps. “Durant l’été 2008, j’ai eu la chance de faire un stage chez Maywa Denki, se souvient Nelly. J’ai été initiée à la philosophie de leur entreprise : “complete nonsense“. La vie est un non-sens et le design ou l’art doivent le refléter.”

Après ces quelques mouvements de bassin, Nelly nous embarque à la conquête d’une imagination radicale comme elle aime à le dire. Lae designeur·euse enseigne cette manière de penser à la University of the underground. Un établissement unique en son genre qu’iel a créé en 2017. Première université au monde installée dans des sous-sols de boîtes de nuit. “La façon dont on a construit la pensée humaine est si limitée”, lance-t-elle. C’est vrai que lorsque l’on pense comme Ben Hayoun, on élargit forcément nos perspectives. Iel collabore notamment avec le SETI Institute et explique que chaque collaborateurice doit pouvoir répondre à une inconnue de la fameuse équation de Drake. Cette célèbre hypothèse mathématique qui tente d’estimer le nombre de civilisations extraterrestres potentielles dans notre galaxie.

Légèrement en retard sur le planning, elle accélère le rythme de ses plus de 200 slides pop-kitsch, mais avant de laisser la place aux autres intervenant·es, Nelly Ben Hayoun-Stépanian revêt sa casquette de réalisateurice afin de présenter pour la toute première fois la bande-annonce de sa dernière œuvre : “Doppelgänger“, un terme allemand qui signifie littéralement “sosie d’une personne vivante”. Dans ce documentaire aux airs futuristes, Nelly et ses deux “doppelgängers” remettent en question les notions d’espace, de temps, de design, mais aussi la politique et l’économie de la performance. À découvrir tout prochainement.

 @ Antonin Weber
@ Antonin Weber

Après cet amuse-bouche inspirant, les professionnel·les sont lâché·es et s’éparpillent dans les différents lieux de conférences. Changement d’ambiance à la Bourse avec l’australien Jack Isles, architecte, chercheur, cartographe et surtout membre de l’agence d’investigation suisse Border Forensics. Son exposé documente les intersections entre climatologie, migration et droits de l’homme à la lumière des violences frontalières soutenues par les États européens. Dans la Friends Room du Théâtre de Namur, toute nouvelle salle pour le KIKK Festival, des talks pour la plupart en français se donnent en petit comité et sont surtout accessibles gratuitement. Un format et un espace qui permettent (enfin) un peu d’échange entre intervenant·es et public. Au menu : opportunités de financement pour les industries culturelles et créatives (ICC) en collaboration avec ST’ART, ludification et innovations en matière de technologies de réalité étendue (XR), déconstruction du mythe de l’artiste affamé·e…

Au Delta, ancienne Maison de la culture namuroise, un élixir d’amour avec Valentina Peri. L’artiste, autrice et commissaire d’exposition indépendante explore les enjeux de la rencontre amoureuse à l’ère du numérique. “Le phénomène contemporain de la rencontre en ligne et l’utilisation des nouvelles technologies pour faire correspondre les célibataires entre elleux a une histoire beaucoup plus longue qu’on ne le pense, révèle-t-elle. Au cours du siècle dernier, l’histoire des pratiques amoureuses a montré que l’acquisition de nouvelles libertés s’accompagne souvent de suspicions et de stéréotypes. Ce qui semble dérangeant pour une génération finit souvent par être accepté pour la suivante.” Elle poursuit en déballant un tas d’autres datas : “Un couple sur cinq s’est rencontré par l’intermédiaire d’un site de rencontre. L’ampleur de ce phénomène est une preuve suffisante de son potentiel de profit et de collecte de données sur les utilisateurices. Les sites de rencontre et les applications de drague se classent aujourd’hui au troisième rang des sites de contenu payant en ligne, devançant même la pornographie.” Ses recherches sur le sujet lui ont permis d’assembler une exposition itinérante intitulée “Data Dating Desire” qui tourne en Europe depuis 2018 et s’était notamment arrêtée au centre d’arts numériques iMal à Bruxelles fin octobre 2021.

Autre sujet d’exploration de Valentina Peri : l’arnaque romantique sur le web. Dans son livre “The New Romance Scammer’s Instructor“, Valentina est partie à la rencontre d’arnaqueurs ghanéens qui entretiennent des relations amoureuses en ligne pour finalement soutirer de l’argent à ces personnes, souvent basées à l’autre bout du monde. “Le nombre de victimes est très certainement sous-estimé car elles ne déclarent pas toujours ces escroqueries”, déclare Valentina. Au Ghana, ce phénomène d’escroquerie est appelé “Sakawa” et définit à la fois des pratiques illégales de fraude sur Internet ainsi que des rituels spirituels africains. Un travail de recherche et d’édition faramineux pour remettre l’église au milieu du village quant aux raisons qui poussent ces arnaqueurs vers ce type de cybercriminalité et qui les réhumanise. Mais certains scammers ont réussi à faire fructifier leur business jusqu’à devenir de véritables stars sur les réseaux sociaux, comme Raimi Abdoulaye, aka @commissaire.5500, qui accumule plus de 364 000 abonnés sur Instagram.

Chez plusieurs spectateurices interrogé·es en sortie de conférence, un sentiment commun se dégage : “La programmation est dense et on ne sait pas trop où donner de la tête”, admet une jeune femme. “On voudrait assister à tous les talks, mais il faut aussi faire quelques pauses pour assimiler et échanger sur ce qu’on vient d’entendre car on n’a pas l’occasion de poser nos questions aux conférencier·ères”, réplique son ami. À Namur, le temps est mi-clément, mi-pluvieux, mais le centre-ville regorge d’établissements accueillants pour reposer son esprit et reprendre des forces entre deux conférences.

@ Antonin Weber

Une petite heure de break, et on remet la sauce. Dès 14h, une nouvelle fournée d’invité·es foule les scènes du KIKK Festival. Nous avons du mal à trouver une place dans la salle de la Bourse pour la conférence d’Antoine Bertin venu parler d’écoute biomimétique. “L’histoire des technologies est intimement liée au biomimétisme qui consiste à s’inspirer des propriétés essentielles du vivant pour en transposer les principes et les processus en matière d’ingénierie humaine, avance-t-il. La musique ne serait pas née si nous n’avions jamais écouté les sons de la nature ou si nous n’avions pas pris conscience du bruit produit par la gravité.” S’il se révèle être un très bon orateur et provoque plusieurs éclats de rire dans le public, l’artiste acousticien nous invite également à nous questionner sur la déforestation mondiale à travers son installation 333Hz et nous demande d’observer une minute de silence en hommage au dernier pic à bec ivoire, une espèce d’oiseau qui se serait éteinte l’an dernier.

La frustration nous gagne à l’écriture de ce retour d’expérience car nombre d’autres humain·es nous touchent en plein cœur lors de leurs conférences ces jeudi 26 et vendredi 27 octobre. Comme la belle Gemma O’Brien, venue tout droit de Sydney pour faire un flashback sur les dix dernières années de sa carrière en tant qu’artiste visuelle. Son mental d’acier lui a valu de pouvoir réaliser les plus grandes fresques murales qui lui sont bien caractéristiques, tout comme de participer à des ultratrails. Via le grand écran de la scène du Théâtre de Namur, nous tournons avec elle les pages de son “visual diary“. Une compilation en mode analogique des différentes phases de travail qu’elle traverse avant de pondre de véritables œuvres d’art. Ou encore Kirsty Jennings, productrice exécutive chez Anagram, un studio créatif anglais calé en narration immersive et primé à la Mostra de Venise 2021 (rien que ça). “Ce que nous cherchons à chaque fois que nous travaillons sur un nouveau projet de narration, c’est de créer une histoire à impact dont les spectateurices se souviendront car elle sera marquée au fer dans leur peau, appuie la productrice. La réalité virtuelle doit non seulement être une machine à créer de l’empathie, mais plus que ça, elle se doit de provoquer de la perplexité, une sorte de confusion.”

@ Antonin Weber

Bien sûr, on réalise qu’en comparaison à l’intelligibilité de ces profils inspirants, certaines conférences sont bien plus niches et réservées aux connaisseur·euses. On s’est par exemple demandé de quoi il était question durant cet échange modéré par Valentin Ducros pour Fisheye Immersive (entité du magazine éponyme) avec autour de la table plusieurs acteurices des arts numériques et immersifs basé à Québec. Mais c’est aussi ça la beauté de l’offre du KIKK : permettre aux plus féru·es d’entre nous de trouver quoi se mettre sous la dent, pendant que d’autres s’immergent dans des parcours auxquels iels peuvent s’identifier. Sans aucun doute, avec un programme si alléchant, le pari est encore une fois réussi.

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