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Portrait 5 minutes de lecture

Karim Douieb, data-affamé

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Lorsqu’il n’est pas en train d’analyser des paquets de données pour ses client·es, Karim Douieb s’attache à leur donner vie visuellement. Le Bruxellois noue également des liens avec le datajournalisme, toujours pour faire parler ces données.

Lors de notre rencontre dans son bureau etterbeekois, c’est naturellement avec un graphique qu’il se présente. Plus qu’une déformation professionnelle, Karim est aussi dyslexique. “J’ai une grande difficulté à m’exprimer par les mots. Le visuel a toujours été plus intuitif pour moi.” Son parcours a pourtant débuté à l’opposé du spectre visuel. Après l’obtention d’une Licence en sciences informatiques à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) il y a une vingtaine d’années, le Bruxellois poursuit dans l’académique avec un doctorat, suivi d’un post-doc qu’il mène au Canada. Pendant des années, il ne se définit pas en tant que créatif et n’écrit pas une seule ligne de code. “Je faisais de l’informatique conceptuelle. C’était très abstrait, mais ces algorithmes me servent toujours aujourd’hui.”

Ce n’est que lorsqu’il quitte la recherche et pose ses valises à Londres qu’il met les mains dans la data pour la première fois. “Je bossais pour une entreprise qui collectait une diversité de données ahurissante pour des publicitaires, histoire de vérifier que le nombre de vues d’une campagne soit respecté de manière contractuelle par exemple. J’ai très vite été frustré de ne pas pouvoir faire grand-chose du traitement de ces grands volumes de données et des tendances que j’y découvrais. L’aspect marketing de mon travail ne me plaisait pas du tout, mais c’est là-bas que j’ai été mordu par l’aspect analytique de la data et, un peu plus tard, la dataviz.”

La dataviz accroche l’œil et permet souvent, pour une audience moins avertie, de saisir des enjeux
qui seraient bien plus complexes
à approcher par les mots.

Karim Douieb

Entendez la datavisualisation. Discipline qui consiste à représenter de manière graphique des données statistiques qualitatives mais surtout quantitatives. “L’objectif est toujours d’extraire les tendances de ces paquets de données que nous épluchons et de les vulgariser visuellement. La dataviz accroche l’œil et permet souvent, pour une audience moins avertie, de saisir des enjeux qui seraient bien plus complexes à approcher par les mots.”

© Karim Douieb

S’il regrette le peu de cours à option en design ou en visualisation de données dans les cursus informatiques – encore moins nombreux lorsqu’il était étudiant, précise-t-il – la datavisualisation reste un à-côté de son quotidien. Revenu sur sa terre natale, il développe son expertise, s’entoure de quatre amis fous de data comme lui et en 2017, ils fondent Jetpack.AI. Une boîte d’analyse de données qui rassemble aujourd’hui 17 collaborateurices. “La majeure partie de notre travail porte sur de l’analytique pour des organismes très variés comme le gouvernement flamand, la Chancellerie du Premier Ministre ou encore Brussels Airport. Il est très rare de vendre un projet de dataviz pure. L’aspect visuel est toujours la cerise sur le gâteau de l’analyse de données pour laquelle nos clients nous commissionnent.” Une seule exception : le journalisme.

Data X journalisme

Son esprit cartésien n’imaginait pas se rapprocher de la sphère journalistique, mais peu à peu, le data scientist se fait repérer grâce à ses infographies interactives. Un soir d’octobre 2019, Karim voit passer un tweet de Lara Trump, belle-fille du 45ème président des États-Unis. “Essayez de mettre ceci en doute”, proteste-t-elle, accompagnant son tweet d’une carte électorale faussée. “L’infographie représentait des milliers de kilomètres carrés de terres vides d’habitants soi-disant en faveur de Trump. J’étais outré de voir ces fausses cartes pulluler sur les réseaux sociaux. Je ne suis pas impliqué en politique, mais j’ai voulu corriger cette erreur visuelle.”

En une soirée, il s’attelle à coder une nouvelle carte, plus proche de la réalité électorale. Une transition mélodramatique entre l’ancienne et la nouvelle version plus tard, Karim poste sa carte sur le réseau social à l’oiseau bleu et se met au lit. “Le matin, en ouvrant Twitter, j’ai reçu des centaines de notifications, mon compte était passé de 300 à plus de 10.000 followers. Je n’avais pas anticipé l’impact que ma carte pourrait avoir.” Depuis, à chaque temps fort des élections américaines, cette même carte du data designer belge ressort dans les médias américains et internationaux. “Même sur Fox News, alors que, de base, le média pro-républicain est plutôt preneur des approximations.”

Une autre de ses cartes rencontre un fort retentissement au sein de la communauté bruxelloise cette fois et est d’ailleurs exposée au musée de la Migration. “Avec ‘Brussels, a lovely melting-pot’, le but était de montrer comment notre capitale est hors norme en termes de multiculturalité, mais aussi de casser les a priori d’extrême-droite sur l’immigration à Bruxelles. 60% des Bruxellois·es sont né·es non-belges, mais 70% d’entre elleux sont Européen·nes, pour la plupart issu·es de l’Europe des 15.” Ce projet de dataviz tape dans l’œil des journalistes du média d’investigation Médor qui, dans la foulée, contacte Karim pour ses services.

https://brussels-diversity.jetpack.ai/ © Karim Douieb

Aujourd’hui, via Wilfried, Médor, la RTBF mais aussi le média américain CBS News et en-dehors de son activité plus “corporate”, Karim collabore avec de multiples journalistes. La plupart novices en analyse de données. “La relation que j’entretiens avec les journalistes vient toujours me challenger car iels veulent souvent investiguer des bases de données que je ne pensais même pas être porteuses de tendances à dégager, de fraudes aussi.” Les rédactions sont de plus en plus nombreuses à se doter de profils expérimentés en datajournalisme car la rencontre entre ces deux mondes est riche et permet, parfois, de lancer l’alerte ou de mettre le doigt sur des problématiques sociétales. Cependant, Karim n’omet pas de noter qu’économiquement parlant, il serait difficile de vivre uniquement sur base des collaborations avec les médias. Les budgets alloués étant très précaires.

Comment les présidents de partis belges utilisent-ils Twitter ?

Je me dois toujours d’expliquer
ma démarche, de rendre mes sources disponibles. En cela, la dataviz
et le journalisme sont finalement
très proches.

Karim Douieb

Que ce soit lorsqu’il accompagne des journalistes ou lorsqu’il présente les résultats d’une analyse de données à un comité de direction, Karim insiste sur la politique en dataviz. “Il y a un fort besoin de transparence. Je me dois toujours d’expliquer ma démarche, de rendre mes sources disponibles. Tout un chacun doit pouvoir répliquer le même projet de datavisualisation. En cela, la dataviz et le journalisme sont finalement très proches.”

Transparence, rigueur dans la méthodologie appliquée aux données, le dataguy insiste aussi sur la nécessité de rester dans une approche de formation continue lorsqu’on se lance en datavisualisation. “En dataviz, on peut tout apprendre en faisant. Encore aujourd’hui, pour chaque nouveau projet, j’essaie d’acquérir de nouvelles compétences, des manières de visualiser les données que je ne gère pas encore. C’est un domaine qui évolue tellement vite. Mais heureusement, les fervent·es de dataviz sur le web sont ultra bienveillant·es. On trouve toujours de l’aide lorsqu’on est coincé avec une idée que l’on ne sait pas comment implémenter.”

Et des idées, son cerveau créatif n’en manque pas. Sa dernière lubie ? La data appliquée à la céramique. “J’ai commencé une formation en école d’art il y a de ça un an. J’avais envie de faire quelque chose de mes mains. Pour le moment, on apprivoise encore la matière, l’aspect technique. Mais à moyen terme, j’aimerais faire se rencontrer le monde des données dans mon travail de la terre avec des pièces dites de ‘data physicalization‘ qui rendent les données tangibles.”

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