Hovertone : l’art (numérique) de la médiation !
Auteurice de l’article :
Installation interactive, mapping, écran tactile… Les établissements culturels et autres centres de culture scientifique ont de plus en plus recours à des dispositifs de médiation numérique. C’est justement la spécialité du studio Hovertone, situé à Mons, qui depuis 2015 imagine et conçoit des expériences numériques pour différents publics. Nicolas d’Alessandro, co-fondateur et directeur artistique du studio, partage sa vision du design interactif et livre quelques secrets pour impliquer les publics et faciliter la transmission de contenus.
“On aime investiguer les lieux où les gens se trouvent, où iels transitent. L’idée qu’iels puissent tomber, presque par hasard, sur un contenu culturel, sur une information dont iels n’avaient pas connaissance, est au centre de notre démarche”, lâche dès le début de l’entretien Nicolas d’Alessandro. Rien d’étonnant alors, de voir la diversité des terrains de jeu d’Hovertone : des musées (Musée de l’Homme, Beaux Arts de Mons, Musée du Doudou, Bozar…), des centres de culture scientifique (Quai des savoirs, Cité des Sciences et de l’Industrie, SPARKOH! …) ou des espaces publics (Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles)… Concrètement, quels types d’expériences immersives sont conçues pour ces espaces ? Très tôt, dans les années 2010, l’équipe – qui se revendique comme une “une agence créative qui aurait avalé une startup tech” – s’est appropriée la technologie du magic board et des murs vidéo interactifs permettant de multiples usages. Illustration avec Le Chant des Machines (2017) installé au Pass (Parc d’Aventures Scientifiques, en Belgique) : cette scénographie, présentée sur un ancien site minier, est composée de panneaux en bois monumentaux sur lesquels les visiteur·euses peuvent actionner sept machines imaginaires et un paysage sonore. “C’est une technologie qui implique les spectateurices. L’effet est garanti : à chaque fois, je vois de l’émerveillement sur le visage des publics” commente Nicolas d’Alessandro. On retrouve ce principe de surface interactive sur d’autres dispositifs de médiation imaginés et conçus par le studio : Traces (2021, KIKK Festival de Namur), Liens (2020, Mons) ou Des origines de l’Univers aux couches de l’atmosphère (2020, EuroSpace Center) dans lequel un mur de 11 mètres de long invite les publics à parcourir les processus complexes de création de l’Univers.
Expériences sensorielles
Le mapping est également un outil privilégié par le studio pour explorer la notion de sensorialité. Par exemple, comment se mettre dans la peau d’un·e artiste et comment découvrir autrement son travail ? L’expérience interactive Shooting by Niki (2018), présentée dans le cadre de l’exposition dédiée à Niki de Saint Phalle au BAM (Beaux-Arts Mons), permettait aux visiteur·euses de revivre, du point de vue de l’artiste, ses actions painting (tir à la carabine sur des oeuvres des poches de peinture). Les visiteur·ses pouvaient ainsi vivre par elleux-mêmes l’ensemble du rituel : saisir un fusil, charger, viser, tirer et voir la peinture éclater sur le canevas en vidéo-projection. L’expérience Facing van Eyck : The Miracle of Detail (2020) présentée à Bozar va encore plus loin et plonge les publics de façon inédite dans les tableaux du pionnier de la peinture flamande du XVe siècle, réputé pour la minutie de ses traits. Les détails à peine visibles à l’œil nu de l’œuvre originale prennent une autre dimension grâce à l’usage de scans haute définition des œuvres. Nicolas d’Alessandro explique : “Nous avons travaillé avec l’Institut Royal du Patrimoine Artistique (KIK-IRPA) qui avait réalisé les scans, radiographies et réflectographies de l’ensemble des tableaux originaux de Van Eyck et cherchait une manière engageante de les présenter au grand public . L’idée d’Hovertone fut donc d’inviter les publics à s’immerger dans tous les détails d’une toile et d’accéder à certains secrets du peintre, grâce aux mouvements du corps. Ils étaient au plus proche des coups de pinceaux et de l’énergie de l’artiste.”
Quelques clés de succès pour la médiation numérique
Quelle que soit la technologie utilisée, ces dispositifs ont un point commun : stimuler la participation du public et susciter des formes d’appropriation personnelles et collectives. “Capter l’attention est essentielle pour transmettre des informations, des notions clés de projets culturels ou scientifiques”, confie Nicolas d’Alessandro. Une clé importante dans le processus de médiation qui passe souvent par une gamification des dispositifs : “McLuhan disait “Le médium, c’est le message”. Ca veut dire que notre rôle est d’imaginer des manières de faire passer des messages, qui soient fidèles aux contenus et qui soient en cohérence avec la typologie des publics concernés.” Et pour cela, il faut pouvoir comprendre les idées d’un projet, en sortir la substance, l’éditorialiser, designer l’expérience. Hovertone a ainsi travaillé avec SPARKOH! sur un dispositif adressé à des enfants, autour du tableau périodique des éléments (L’Odyssée des éléments, 2019). Le directeur artistique d’Hovertone poursuit : “Notre volonté première était de proposer un apprentissage fun et non rébarbatif de la chimie. On a transformé le sol d’une salle en immense écran tactile. Les enfants étaient invité·es à marcher sur des formes et libèraient des atomes qui remplissaient le tableau de Mendeleïev projeté au mur, dans une traînée d’étincelles.” Les enfants pouvaient ici jouer contre la montre, seul·e ou en équipe, pour remplir ce tableau périodique. “Plus les technologies et l’immersivité sont présents dans les foyers, plus les publics cherchent une expérience hors normes lorsqu’iels sortent de chez eux. On a donc la nécessité d’écrire des narrations et de penser des expériences de qualité en espace public.”
Malgré cette tendance aux dispositifs numériques, Nicolas d’Alessandro n’a pas peur de plaider pour une forme de sobriété. “Le numérique est un savoir-faire parmi d’autres et parfois il faut réussir à ne pas l’utiliser. C’est la cohérence du projet qui importe et la complémentarité de ces dispositifs avec le personnel de médiation.” Une forme de déontologie d’autant plus importante que les institutions culturelles et les centres de culture scientifique sont souvent demandeurs de clés pour décoder la “tech”. “Les musées, aujourd’hui embarqués dans la digitalisation, ont besoin de se munir de grilles de lecture efficaces et fiables pour bien diriger leurs prochains investissements infrastructurels. Il y a un besoin criant d’accompagnement. De décrypter, de démystifier les termes immersif, XR, IA et de comprendre tous les enjeux à venir. Il ne faut pas se laisser aveugler par les tendances technologiques. Par exemple, sur la question de l’impact environnemental, on essaye de proportionner nos réponses aux besoins des client·es : peut-on réutiliser les équipements pour d’autres projets ? Comment les choix faits aujourd’hui peuvent être pertinents dans les 5 prochaines années.” Vastes (et indispensables) questionnements dans un monde en perpétuel mouvement… et que la médiation permet d’appréhender.
L’interview DONUT de Nicolas d’Alessandro :
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