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Vidéo : quand les meufs s’emparent de la caméra

Auteurice de l’article :

Diane Theunissen

With a Master's degree in Arts and Lifestyle Journalism from the London College of Communication (UAL), Diane has been working in the cultural sector for several years. A big fan of indie rock and particularly sensitive to equality issues, she is a journalist, radio commentator, festival programmer and musician in her spare time, and writes her lunar thoughts almost every day in A6 notebooks, neither lined nor squa

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Ces dernières années, de plus en plus de femmes et personnes issues de minorités de genre démarrent des carrières de vidéastes. Cependant, iels restent une minorité par rapport à leurs collègues masculins, dont le travail est davantage valorisé. Légitimité, sécurité, entraide et force collective, la réalisatrice et vidéaste Diana Vos fait le point sur la situation.

Diana a toujours adoré la vidéo. Tout a commencé dans sa chambre d’ado avec un ordi, Lost et Grey’s Anatomy : “Je téléchargeais la série puis je recoupais des passages et je refaisais un montage avec ce que j’avais regardé. Après, je faisais la même chose avec des films. J’avais une chaîne YouTube avec des abonné·es et tout”, dit-elle en se marrant. Bien décidée à faire carrière dans le milieu, elle entame un bachelier en technique de l’image à la HELB : “À la base, je voulais faire du montage avant de rentrer en école de cinéma. Mais j’ai oublié de me pointer à l’examen d’entrée, du coup j’ai fait un cursus qui combinait image et montage en première année”, explique-t-elle, toujours sur ce ton rieur. Diplôme en poche, elle s’est rapidement mise à bosser et a enchaîné les tournages et les shootings : “Ce qui m’a vraiment lancée, c’est quand j’ai couvert les Nuits Botanique en photo. C’était en 2018, j’ai photographié Angèle pendant son concert et j’ai récupéré beaucoup de droits artiste. À partir de là, on m’a appelée pour des photos de concerts, et pour de la vidéo”. Au fil des années, la Bruxelloise d’adoption s’est frayé un chemin dans le secteur musical local et vit désormais essentiellement de la vidéo : clips, live sessions, aftermovies de tournées et concerts, interviews et documentaires, Diana croule sous les propositions. 

Diana Vs © Joséphine Devillers
Diana Vos © Joséphine Devillers

Cependant, les choses ne sont pas si évidentes qu’elles en ont l’air : depuis le début de sa carrière, Diana remarque des inégalités de genre fracassantes au sein du secteur de la vidéo. “Dans les écoles de cinéma, il y a toujours plus ou moins une parité de genre, sauf que les meufs choisissent des spécialisations plus “féminines” comme la production, par exemple. En image, il y a beaucoup moins de femmes”, ajoute-t-elle. Sur le plateau, ces inégalités se traduisent de façon parfois violente : entre remarques sexistes, invisibilisation et manque crucial de considération, les femmes et personnes issues de minorités de genre ne sont pas toujours bien traitées. “L’une de mes potes est assistante caméra. Comme elle n’a pas un look de lesbienne butch*, tout le monde pense que c’est une maquilleuse ou une meuf de la déco, déclare-t-elle. Il y a aussi ce truc du boys club : les mecs sont tous ensemble, tout le temps (…) C’est très difficile de rentrer dans des prods gérées par des hommes : ils vont juste engager leurs potes et potes de potes, qui parfois sont moins bons que nous. Du coup, t’es obligé·e de créer ton truc sur le côté.” 

Entraide, réseau et légitimité

Donner la parole aux gens qu’on n’entend pas, c’est la mission première de Diana. “À Bruxelles, des collectifs de meufs qui font de la vidéo, ça n’existe pas. À part Kokoro Prod et Enfants Terribles Films, toutes les structures ou presque sont gérées par des mecs. Avec La Horde, j’ai envie d’inverser la tendance en prouvant qu’avec une team de meufs, ça fonctionne aussi”, déclare-t-elle. La Horde, c’est le projet de boîte de production 100% queer et féminine sur lequel bûchent Diana et son amie Aline Pauwels depuis plusieurs mois. Le concept ? Visibiliser le travail des artistes issu·es de minorités de genre tout en leur offrant un cadre sécurisant et accueillant. “Le but, c’est que les meufs et personnes queer puissent se dire “OK, il y a une boîte qui me ressemble, j’ai envie de travailler pour ces gens-là et je ne suis plus obligée de passer par des boîtes de prod de mecs où je ne me sens pas toujours à l’aise sur le plateau, j’ai des remarques, ou tout simplement on ne m’adresse même pas la parole””, ajoute-t-elle.

Aloïse Sauvage à l’Olympia © Diana Vos

On ne vous apprend rien : le premier pouvoir du collectif, c’est la force du groupe. Parce que d’autres personnes qui nous ressemblent font le même boulot, parce qu’on se soutient les unes les autres, parce qu’on fait partie d’une structure professionnelle et professionnalisante qui renforce notre sentiment de légitimité. “T’as le droit d’essayer, t’as le droit de te planter. L’idée avec La Horde, c’est aussi de créer un espace d’expérimentation où on peut se tromper ensemble sans en faire un drame”.

Les femmes à l’écoute des femmes 

En 2020, la vidéaste et réalisatrice belge Elisa VDK dévoilait son premier documentaire, Les Nouvelles Guerrières. Un film qui met en lumière un tas d’initiatives féministes à Bruxelles, tout en soulignant l’importance de l’inclusivité et de la collectivité. Avec ce documentaire, la réalisatrice a tapé dans le mille : tout le long du film, on retrouve des images poignantes qui racontent avec profondeur, humanité et subtilité les différentes actions de chaque collectif. En même temps, qui de mieux placé qu’une femme pour mettre en lumière d’autres femmes, leur force et leur engagement ? Pas grand monde. Selon Diana, la question ne devrait même pas se poser : “Certains sujets doivent obligatoirement être traités par des meufs. Et malheureusement, ce n’est pas toujours le cas”, déclare-t-elle. Pendant notre entretien, elle fait notamment référence à certaines campagnes de sensibilisation au harcèlement sexiste et sexuel, trop souvent confiées aux mauvaises personnes. “Tu ne files pas la réalisation d’un truc pareil à des mecs cis qui, évidemment, vont se planter puisqu’ils ne connaissent pas la situation.” Elle est formelle : travailler avec des personnes avec lesquelles on partage certaines valeurs et qui nous ressemblent, c’est primordial. 

Aloïse Sauvage à l’Olympia © Diana Vos

Cette année, Diana a eu l’occasion de filmer la tournée de la rappeuse et danseuse française Aloïse Sauvage, véritable icône queer de sa génération. “C’est le genre d’artiste que j’adore suivre sur scène : filmer des gens qui te donnent de la force, te donnent espoir mais aussi te ressemblent, c’est ouf. C’est un des projets les plus chouettes que j’ai en ce moment”, souligne-t-elle. Et pour cause : avec Aloïse, Diana se sent respectée, valorisée, en phase avec ses valeurs et ses combats. Une proximité qui se reflète de façon presque automatique à l’image : “Quand j’ai filmé Aloïse au Palais 12 et que je lui ai montré les rushs, elle m’a dit qu’elle se sentait belle”. La justesse du propos ne vient pas de nulle part : quand elle filme des femmes, Diana se met à leur place. “Tu te dis : c’est une meuf, comme moi. Comment est-ce que je me sentirais si on me filmait de telle ou telle manière ?”. 

Il y a quelques jours, Diana et Aline allaient rejoindre Aloïse Sauvage au festival des Solidarités pour réaliser son portrait vidéo. “On a passé 1h30 avec une personne qui avait tellement de choses à dire sur sa queerness, sur sa vie d’artiste, son parcours, etc. On a eu l’occasion de lui poser des questions assez intimes, et je me suis rendu compte que c’était vraiment ça que j’avais envie de faire”. Avec ce genre de projet, la réalisatrice bruxelloise souhaite proposer un angle nouveau. “En tant que meuf, on va aller chercher autre chose que de la technique. On va aller dans l’intime et parler d’émotions”. 

*Qui, selon le compte instagram @amicalement_gouine, “s’approprient les codes masculins”. 

Ce contenu vous est proposé dans le cadre de Propulsion by KIKK, un projet de sensibilisation au numérique pour et par les femmes.

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