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Sortir la conservation-restauration d’art de l’ombre

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Méconnue du grand public, à la croisée des sciences, de l’histoire et de l’art, toujours à l’avant-garde du calendrier muséal, la discipline repose sur une large palette de technologies, loin de l’image d’Épinal de la restauration au pinceau fin. Et comme pour de nombreux corps de métier, l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) inquiète et fascine.

En plein cœur d’Ixelles se cache un atelier de conservation-restauration d’art partagé. Actuellement, deux des trois ateliers individuels sont occupés par deux restauratrices. L’une spécialisée en arts premiers et archéologie et l’autre en peinture. Plus précisément en art moderne et contemporain, bien que Marine Dandoy restaure aussi des peintures anciennes. “C’est assez commun que des restaurateurices travaillent en collectif. Je connais très peu de collègues qui travaillent seul·es, c’est un métier déjà si solitaire. Et puis lorsqu’on travaille à plusieurs, on peut mettre en commun nos expertises, demander l’avis des autres sur une restauration en cours, avoir un autre regard sur son travail.”

Mon premier client, c’était Beaubourg.

Marine dandoy

Diplômée de La Cambre à Bruxelles, une des trois écoles d’art qui forment au métier en Belgique avec l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers et Saint-Luc à Liège, Marine Dandoy part à Paris en 2020, au sortir de la pandémie. Elle y a décroché un stage de trois mois dans une des plus grandes institutions culturelles de la Ville Lumière. “Suite à ce stage, j’ai pu poursuivre ma collaboration en tant que conservatrice-restauratrice au Centre Pompidou. C’est un peu fou, mais mon premier client, c’était Beaubourg.”

©Marie-Flore Pirmez

Plusieurs fois par an, Marine fait l’aller-retour entre son atelier ixellois et Paris, souvent lorsque ce pilier de l’art moderne a besoin de renforcer son équipe de conservateurices-restaurateurices pour préparer de plus grandes expositions. “On peut donc aussi être amené·e à voyager avec ce métier”, ajoute-t-elle. Des faces cachées, mais aussi des raccourcis simplistes, la profession en connaît un tas. Au fil de notre échange, la restauratrice bruxelloise s’attache à les déconstruire : “Il faut savoir qu’il existe bien d’autres spécialisations que la peinture en restauration : céramique, photographie, textile… On pense à tort que toustes les restaurateurices sont de facto de bon·nes dessinateurices. On me demande très souvent si je sais peindre, mais jamais si je suis bonne en chimie ou en physique. Pourtant, dans ce métier, on doit savoir comment chaque matériau qui intervient dans la conception d’une œuvre va réagir aux traitements de conservation et de restauration qu’on compte utiliser. Les supports peuvent être en bois, en toile, en métal, en papier. Chaque type de peinture, huile, aquarelle, gouache, voire un mélange de ces techniques, a ses propres propriétés chimiques. Lors du concours d’entrée à La Cambre, je me souviens de la dose de questions en la matière. Un peu naïvement, je pensais m’en sortir avec un bon bagage en histoire de l’art et en techniques picturales.”

Dans son atelier, on ne croise que quelques rares pinceaux. Parmi ses outils, scalpels, loupes, microscopes, cotons, vernis, brosses, spatules, éprouvettes… On se croirait presque dans l’antre d’un·e laborantin·e. Et autre grand paradoxe que la méconnaissance du métier de conservateurice-restaurateurice vient nourrir : le rapport au statut d’artiste. “Notre mission, c’est en quelque sorte d’être invisible. On se place donc en deçà de l’artiste tout en donnant une seconde vie à son œuvre. Mais sans les restaurateurices, on aurait du mal à encore pouvoir voir des œuvres dans les salles des musées.”

Mais à côté de celui de son/sa géniteurice, avez-vous déjà croisé le nom de la dernière personne à avoir restauré l’œuvre d’art sur laquelle vous posez les yeux dans un musée ? Bien que le métier soit invisibilisé, toutes les œuvres sont continuellement restaurées. Il ne faut pas attendre un éclat dans une céramique ou une déchirure sur une toile pour qu’iels se mettent à l’œuvre. C’est en cela que les conservateurices d’œuvres d’art sont les gardien·nes du patrimoine culturel et tentent de préserver l’intégrité esthétique et historique de chaque pièce qui leur est confiée.

Des toiles d’artistes issues de collections personnelles jusqu’aux plus grands chefs-d’œuvre, Marine Dandoy se penche avec autant d’intérêt sur chaque œuvre. Bien que certaines ont fait parler d’elles plus que d’autres. “Lorsque j’ai travaillé sur Le Printemps de Pablo Picasso, j’ai vraiment été honorée de pouvoir apporter ma pierre à l’édifice. Il faut savoir que chaque restauration présente un intérêt patrimonial. Notre but est aussi de faire avancer les connaissances sur l’artiste, son style, ses techniques, l’histoire matérielle de l’œuvre, ou bien sur les méthodes de restauration en elles-mêmes.”

Impossible de se lancer dans la restauration d’une peinture sans savoir ce qui se trouve couche après couche. “Souvent, des client·es nous demandent si nous ne pouvons pas simplement repeindre une petite tache apparente, s’amuse la restauratrice, mais on ne peut pas travailler qu’en surface.” Il faut alors faire appel à des historien·nes et des spécialistes externes pour analyser l’œuvre, voire déchiffrer ses précédents travaux de restauration. Des photographies infrarouges ou ultraviolettes permettront aussi de comprendre ce qui se passe là-dessous. “À la différence des ateliers des grandes institutions muséales comme Pompidou, je n’ai bien sûr pas accès à ces technologies coûteuses en espace et économiquement dans mon atelier.”

©Marie-Flore Pirmez
©Marie-Flore Pirmez

Pendant leurs études, pour se familiariser avec ces technologies de pointe, les conservateurices-restaurateurices en herbe belges se rendent régulièrement à l’Institut royal du Patrimoine artistique (IRPA), à Bruxelles. Un haut lieu de la conservation-restauration d’art qui s’attache aussi à visibiliser le métier, comme de plus en plus de musées. La National Gallery de Londres, le Rijksmuseum d’Amsterdam ou encore le Metropolitan Museum of Art à New York proposent aux visiteur·euses de partir à la rencontre des conservateurices en plein travail au sein de leur atelier. Le Louvre Lens, lui, a pris le contre-pied. Depuis sa création en 2012, son atelier de restauration et ses vastes réserves y sont visibles en permanence. Une manière, peut-être, d’éveiller la curiosité des plus jeunes en recherche d’une orientation.

Les algos à l’œuvre

Le métier évolue aussi rapidement que les technologies qu’il utilise, mais dernièrement, l’IA questionne car elle pourrait venir bousculer la profession. En 2022, la start-up britannique Oxia Palus, qui s’attache à recréer des chefs-d’œuvre disparus en utilisant l’IA, a permis aux visiteur·euses de la Focus Art Fair de Paris de découvrir une toile inédite de Vincent Van Gogh. Intitulée “Two Wrestlers”, deux hommes torse nu y sont représentés en plein combat de boxe. Le peintre néerlandais l’aurait réalisée vers 1886 – il la mentionne dans une lettre adressée à son frère – mais il l’a ensuite recouverte d’une nature morte florale actuellement conservée au musée Kröller-Müller, aux Pays-Bas.

Une démarche qui questionne certain·es quant à l’ingérence de ces algorithmes dans l’art, même si ces derniers pourraient tout autant être des assistants utiles aux restaurateurices. Jusqu’à présent, Marine ne considère pas que l’IA puisse mettre en danger sa profession et tente plutôt de prospecter. “L’IA pourrait accélérer les analyses historiques des œuvres que l’on restaure, une phase essentielle du travail mais assez chronophage. Elle pourrait aussi nous assister dans les processus de nettoyage pour connaître les limites de l’œuvre. Avec des images de projection, on pourrait aussi s’appuyer sur l’IA pour reconstituer une partie manquante par exemple.” Ce qui s’est déjà produit au Rijksmuseum en 2021, lorsqu’une IA a aidé à la restauration de “La Ronde de Nuit” de Rembrandt. Une toile immense dont des pans entiers avaient été coupés pour faciliter son transfert. Alors, se substituer à la profession ? La restauratrice n’y croit pas. Le métier demande une dose de sensibilité et d’inventivité que n’importe quelle technologie ne pourrait pas égaler.

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