1
Portrait 6 minutes de lecture

Charlotte Chauvin, d’illustration et d’eau fraîche

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

en savoir plus

Derrière son trait minimaliste dont on dit qu’il rappelle celui de Jean Cocteau, l’illustratrice Charlotte Chauvin, alias @chaa_coco pour les Instagrams, déploie un univers graphique infusé de ses humeurs, ses songes, mais aussi d’un érotisme subtil. De la mélancolie à la rage, en passant par le désir, un large spectre d’émotions s’exprime sous ses lignes. Mais dans la vie, la trentenaire se dit d’abord libraire.

On se souvient du moment où on a découvert les illustrations de Charlotte Chauvin. C’était pendant le confinement. Une période où nos temps d’écran ont explosé tous les scores. Comme beaucoup, on avait besoin de s’évader dans les pensées des autres. On a directement accroché à ses états d’âme imagés et universels qu’on montre finalement trop peu. Et on n’est clairement pas lae seul·e. Son compte Instagram rassemble aujourd’hui plus de 78.000 followers. Une communauté qui a commencé à s’établir via Tumblr. Si vous êtes de la Gen Z (né·es après 2000), on vous fait une rapide mise à niveau.

Tumblr est une plateforme de microblogage créée en 2007 et sur laquelle on peut poster du texte, des images, des vidéos, des liens, des sons… Chaque utilisateurice a son propre tumblelog et peut partager le contenu d’autres blogs en faisant un reblogage. Ce qui rend Tumblr unique en comparaison aux autres réseaux sociaux, c’est le fait qu’il rassemble des communautés autour d’intérêts bien spécifiques. “J’ai d’abord utilisé Tumblr pour publier ce que je créais pendant mes études en graphisme, se souvient l’illustratrice. C’était un très bon exercice ! Mais j’ai rapidement cédé à la mode d’Instagram et ma communauté Tumblr m’a par chance suivie sur cette autre plateforme.”

Son premier post Tumblr remonte à 2011. À l’époque, Charlotte vient d’arriver à Bruxelles. Originaire de la Drôme, un département du sud-est de la France, elle étudie d’abord la communication et le graphisme à Marseille avant de déménager dans la capitale belge pour suivre un master en Pratiques Artistiques et en Complexité Scientifique à l’École de recherche graphique (ERG). “Je n’ai pas étudié l’illustration, mais le dessin a toujours été une sorte de thérapie. Ça m’aide à verbaliser, à gérer mes émotions et ce qui m’habite au jour le jour. Parce que j’avoue ne pas toujours être à l’aise dans la vie.”

J’ai préféré ne pas monétiser ma passion et travailler dans un autre domaine qui m’épanouit tout autant.

Charlotte Chauvin

L’illustration est littéralement encrée en elle. Assise un latte à la main lors de notre rencontre, les bras de Charlotte dévoilent de nombreux tatouages. Mais alors qu’on aurait même tendance à l’appeler par son pseudonyme d’illustratrice – son prénom serait alors  Cha, son nom, Coco – notre conversation s’oriente très rapidement autour de son occupation principale. “On pourrait croire qu’avec une telle communauté, je vis de mon travail d’illustratrice, mais non. Je suis avant tout libraire.”

Charlotte s’amuse à dire que l’ERG, son ancienne école de graphisme, est certainement un des plus grands fournisseurs de personnel pour le secteur Horeca, mais c’est aussi parce que la profession d’illustrateurice est précaire. “Je connais peu d’artistes illustrateurices qui vivent confortablement. On est toujours payé·es au lance-pierre. Et beaucoup choisissent la précarité. Moi, j’ai préféré ne pas monétiser ma passion et travailler dans un autre domaine qui m’épanouit tout autant.” Par besoin de sécurité, mais aussi par “flemmophobie”. Un néologisme formulé par la libraire pour l’occasion. “Je ressens à la fois une flemme monstrueuse et une phobie envers la chose administrative. Je déteste négocier mes prix. C’est toujours trop pour les client·es, pas assez pour les artistes. Je hais rédiger des contrats, éditer des factures ou des notes de frais. Et au-delà de ça, je n’ai vraiment pas envie de dénaturer ce que je crée à cause de commandes extérieures. Après, je sais que c’est un privilège et qu’un tas d’illustrateurices rêveraient de jouir d’une large communauté comme la mienne pour diffuser leur travail.”

Lorsque Charlotte ne dessine pas, elle lit. Beaucoup. Parce qu’elle travaille dans une librairie, certes, mais aussi parce qu’à travers ses illustrations, elle a trouvé un moyen d’entretenir son amour des mots. Son travail de libraire n’est pas quelque chose qu’elle dissimule, elle en parle même régulièrement sur son compte Instagram. “Je pense que c’est une profession qu’on fantasme beaucoup. Mais la réalité du métier de libraire est tout autre. Dans une librairie, comme dans tout commerce, c’est la lutte des classes qui se joue. Lorsque tu es cellui qui sert, qui plus est quand tu es une jeune femme avec des tatouages et un piercing au nez, les gens ont tendance à se placer au-dessus de toi intellectuellement parlant, ou bien à faire des commentaires sur ton apparence, voire à oublier les notions de consentement.” De temps à autre, Charlotte Chauvin remet alors les choses à plat en usant de son trait et de sa verve.

En dehors de sa librairie, Cha Coco est soulagée de ne pas se heurter à de trop nombreux·euses haters, mais ça n’est pas sans s’en protéger. “Je n’ai jamais dévoilé mon image sur Internet, je trouve que je me dévoile déjà assez à travers les sujets que j’aborde. Sur Instagram, je fais toujours attention aux hashtags que j’emploie pour ne pas me retrouver sur des fils de discussion nourris par des haters. Personne ne peut me contacter par message ou répondre à mes stories. C’est aussi parce que j’angoisse à l’idée d’être sollicitée tout le temps.”

Même avec cette série de boucliers, ses publications sont régulièrement “shadow banned” par Instagram. Une technique de modération appliquée par la plateforme qui a pour conséquence une chute drastique du taux d’engagement de ses abonné·es mais dont les raisons restent floues. Certains hashtags seraient prohibés par Instagram, notamment lorsqu’ils peuvent contenir des contenus sensibles. “C’est vrai qu’une grande partie de mes illustrations montrent des scènes intimes qu’Instagram ne doit pas adorer.”

J’utilise très souvent mon propre vécu comme source d’inspiration, ainsi que de nombreux essais féministes. Ils me permettent d’acquérir une assise théorique sur une série de ressentis personnels, car on a tendance à penser que nos sentiments ne sont pas assez légitimes.

Charlotte chauvin

L’intime est politique. Une formule utilisée par beaucoup de féministes. En tant que féministe radicale, Charlotte a elle aussi toujours voulu poser une loupe sur l’intime. Son dessin ouvre un imaginaire sans fin sur la nudité des corps qu’elle illustre hors des normes de genre et d’esthétisme. “C’est ma manière de militer et de marquer mon engagement féministe. J’utilise très souvent mon propre vécu comme source d’inspiration, ainsi que de nombreux essais féministes. Ils me permettent d’acquérir une assise théorique sur une série de ressentis personnels, car on a tendance à penser que nos sentiments ne sont pas assez légitimes.”

L’été étant là, Charlotte se remet à explorer d’autres réalités qui l’animent aussi à travers ses illustrations, comme sa bicyclette chérie ou son éco-anxiété permanente. “Je fonctionne beaucoup par phase. Je viens de terminer une grosse période de posts ultra déprimants, alors avec le beau temps, j’ai aussi envie de refaire des blagues.” Son processus créatif est très spontané et plutôt rapide, ce qui lui permet vraiment de créer selon ses envies. Elle adore le minimalisme du noir et blanc, mais elle improvise de plus en plus avec la couleur. “À part lorsque je m’acharne, mes dessins ne me prennent souvent pas plus d’une trentaine de minutes. Je dessine tout à la plume ou au pinceau fin, et ensuite je fais un scan numérique.”

Un brin introvertie, Charlotte Chauvin ne met pas spécialement en vitrine les projets qui sortent des murs de son compte Instagram. Mais il lui arrive aussi de prêter son trait à des institutions culturelles de renom. Comme pour la saison 2019-2020 de La Monnaie de Bruxelles, ou pour la 37ème édition du Salon du livre de Montreuil. L’illustratrice a trouvé un style qui parle à toustes et qui lui est propre. Et si elle devait terminer par un conseil à adresser à celleux qui souhaitent se lancer dans l’illustration : “Je dirais qu’un univers graphique, ça se crée d’abord en apprenant à regarder les formes, les contreformes, les espaces que ces formes occupent. Ensuite, il faut trouver son médium. La peinture, l’encre, l’illustration sur tablette, que je suis bien incapable de pratiquer car ce n’est vraiment pas mon médium, par exemple. Les premiers dessins peuvent être frustrants car ils ne ressembleront pas en tout point à ce qu’on avait projeté, mais c’est parfois par surprise qu’on trouve son propre créneau artistique”.

Ce contenu vous est proposé dans le cadre de Propulsion by KIKK, un projet de sensibilisation au numérique pour et par les femmes.

Appel à projet

Une histoire, des projets ou une idée à partager ?

Proposez votre contenu sur kingkong.

Partager cet article sur

à découvrir aussi