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Portrait 5 minutes de lecture

La parole pour briser les tabous

Auteurice de l’article :

Juliette Maes

Diplômée d’un Master en Presse et Informations à l’IHECS en 2020, Juliette a fait ses premiers pas en journalisme au ELLE Belgique, pour qui elle écrit toujours aujourd’hui. Touchée par les sujets féministes et sociaux, elle s’intéresse entre autres à l’entrepreneuriat féminin, à l’inclusivité et à la transition écologique. Professionnellement, Juliette a la bougeotte. À côté du journalisme, elle est photographe et vidéaste, notamment pour Badger Production, une boîte bruxelloise experte en storytelling d’entreprise.

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Né de la rencontre de deux Françaises passionnées de podcast qui aiment parler de tout, 100 Tabou aborde les sujets dont on ne parle pas en société. Salaire, violences gynécologiques, sexualité, parentalité, religion ou encore addiction, s’il est difficile d’en parler ouvertement, elles le font.

Manon grandit dans une famille modeste typique, mais dans laquelle il y a beaucoup de sujets dont on ne parle pas. À 18 ans, elle quitte le domicile familial pour commencer des études dans un monde très masculin et misogyne, avec très peu de filles. C’est seulement lorsqu’elle commence à travailler qu’elle peut côtoyer plus de femmes et s’ouvre à de nombreux sujets comme le féminisme, qu’elle n’abordait pas avant.

De son côté, Jo passe son enfance dans des quartiers très mixtes de la région parisienne. Elle n’a pas l’impression de vivre ces tabous et c’est seulement récemment, lorsqu’elle en parle avec Manon, qu’elle se rend compte des choses qui ne sont pas abordées en société. “Dans ma famille on parlait de tout, donc c’était frustrant d’entendre autour de moi que ce n’était pas le cas, raconte-t-elle. Parfois, on me disait même de ne pas aborder certains sujets.” 

C’est dans l’esprit de Jo qu’est née l’idée au printemps 2021. Manon ayant déjà créé un podcast, elles ont pu mettre le projet en place très rapidement. Avant de commencer, elles avaient imaginé toute une série de thématiques qu’elles voulaient aborder. “Évidemment, il y a plein de sujets que nous ne connaissions pas ou que n’avions pas vécus, puisque nous sommes deux femmes sans enfants dans des couples hétérosexuels.” Donc, la plupart du temps, elles s’adaptent aux personnes qui veulent partager leurs expériences, notamment via des appels à témoin sur leur page Instagram.

Un effet libérateur et guérisseur

Les sujets abordés dans le podcast peuvent parfois être difficiles à entendre, surtout pour un·e auditeurice qui vivrait une situation similaire. Les filles font donc particulièrement attention à sélectionner des interlocuteurices qui ont un recul sur leur vécu et peuvent ainsi apporter des solutions ou des conseils. “C’est là-dedans que je me retrouve, explique Manon. Ce que j’aime dans ses épisodes, c’est que les auditeurices se rendent compte qu’iels ne sont pas seul·es dans ce qu’iels vivent et qu’iels puissent recevoir des pistes de solutions, de clés de la part des interviewé·es. C’est comme ça que je vois le podcast.”

Pour Jo s’ajoute aussi le côté libérateur de pouvoir raconter des choses qu’iels n’ont jamais partagées. Certaines personnes viennent s’exprimer alors qu’ils n’en ont jamais parlé autour d’elleux, parce qu’iels espèrent que cela leur fera du bien. “J’aime bien apporter ça à l’auditeurice, mais aussi à l’interviewé·e”, confie-t-elle. 

Je pense qu’on ne peut pas être
une seule personne à vouloir briser
un tabou, il faut que cela aille
dans les deux sens.

Manon

L’objectif de 100 Tabou est de délier les langues et de libérer les esprits, mais il n’a pas pu inciter la conversation au sein de la famille de Manon qui raconte qu’elle ne leur parle jamais des sujets abordés dans les épisodes du podcast. “Je pense qu’on ne peut pas être une seule personne à vouloir briser un tabou, il faut que cela aille dans les deux sens, avoue-t-elle. Mais pas contre, cela m’a personnellement ouverte sur plein de sujets, donc si quelqu’un·e vient vers moi pour en discuter, c’est toujours un plaisir.” 

De son côté, l’approche de Jo est plus directe, n’hésitant pas à ouvrir elle-même la conversation. “Ma famille s’ouvre petit à petit sur de nouveaux sujets sensibles, mais moi je fais beaucoup de rentre-dedans”, explique-t-elle, en ajoutant avec humour qu’elle aborde facilement des sujets à table lors de réunions de famille. Son frère et sa belle-sœur ont d’ailleurs fait l’objet d’un épisode sur le podcast. 

Après un an et demi seulement, les deux amies sont fières des retours qu’elles ont reçus de leurs interlocuteurices. Nombreux·ses sont celleux pour qui l’expérience a été libératrice. Certain·es ont même pu ensuite en parler avec leur famille ou leurs ami·es. Pour d’autres, c’est parfois aussi devenu une sorte de pièce à fournir pour dire : “Je n’ose pas te le dire à voix haute, mais écoute l’épisode et après, si tu veux, on peut en discuter”, ajoute Jo. 

Des sujets marquants et parfois durs à encaisser

Sur les 32 épisodes réalisés jusqu’ici, un de ceux qui a le plus marqué Jo est celui qu’elle a enregistré avec sa belle-sœur et son frère sur les violences gynécologiques. En plus d’être lié à la naissance de sa nièce, c’est un sujet qui l’a toujours travaillée et il était pour elle important d’en parler. Cet épisode a également l’avantage d’avoir deux interlocuteurices et donc d’entendre le point de vue du papa sur la question. 

Certaines histoires peuvent pourtant être très dures à encaisser, pour celleux qui écoutent, mais aussi pour les réalisatrices. Manon se souvient par exemple du deuxième épisode enregistré pour le podcast, durant lequel l’interlocutrice témoignait du suicide de sa sœur. “J’étais persuadée que j’allais pouvoir gérer ce sujet car le suicide est un drame que j’ai vécu de près dans ma famille, relate-t-elle. L’interview s’est très bien déroulée, c’était très positif. Mais après, j’en ai fait des cauchemars pendant deux semaines, je rêvais que ma sœur se suicidait. Je n’ai pas pu toucher à l’épisode pendant un mois après ça parce que c’était trop dur.” Les deux productrices ont donc appris de leurs erreurs et se partagent maintenant les sujets en fonction de leur sensibilité, pour s’assurer de ne pas revivre la même expérience. 

Ce dont Manon et Jo ne se doutaient pas, c’est que 100 Tabou révèle que les femmes restent plus nombreuses à se confier sur leurs expériences. Sur 32 épisodes, seulement deux interlocuteurs étaient des hommes, car elles ont du mal à trouver des témoins masculins pour s’exprimer. Pourtant, cela ne veut pas dire qu’ils sont moins nombreux ou vivent moins d’histoires qui valent la peine d’être relatées. Selon Manon, alors que les hommes s’expriment librement sur des sujets délicats quand ceux-ci ne les concernent pas, il est très difficile de les amener à se confier sur des sujets personnels, là où les femmes se libèrent plus facilement. 

Pour Manon, le fait d’entendre des femmes partager leur vécu encourage d’autres à le faire également et il en est de même pour les hommes, à condition qu’ils le fassent. “Dès qu’on arrivera à briser certains tabous chez les hommes, cela va se libérer, espère-t-elle, mais il faut faire ce premier pas.”

Loin d’être naïves, Jo et Manon espèrent que leur démarche sera une petite pièce dans l’édifice d’une société plus ouverte dans laquelle on pourra échanger sur des sujets tabous comme on le ferait avec n’importe quel épisode de série. “J’aimerais bien qu’on parle des épisodes de 100 Tabou pendant le repas avec nos collègues, sans gêne ou pratiquement pas”, avoue Jo. 


100 Tabou est le premier podcast réalisé par Manon et Jo en collaboration. Les podcasts Le Départ et Vers Do sont également à découvrir sur leur site Positiv’ Studio.

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