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Mi-naturels mi-synthétiques, l’avènement des robots biologiques

Auteurice de l’article :

Laetitia Theunis

Chimiste et océanographe de formation, Laetitia a troqué son tablier de chercheur contre une plume de journaliste par passion pour la vulgarisation scientifique. Elle a fait ses armes au Soir, avant de rejoindre le Vif et de devenir rédactrice en chef du Daily Science. Adepte de la randonnée et de la cuisine sauvage, elle aime s'immerger dans la nature et sortir des sentiers battus.

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L’UNamur se lance dans BABots, un ambitieux projet européen mêlant biologie, génétique et robotique. Le but ? Modifier génétiquement le système nerveux de vers afin de leur conférer de nouveaux comportements. Ces robots biologiques pourraient protéger les cultures, éliminer des des contaminants du sol ou de l’eau ou accomplir des actes chirurgicaux.

Imaginez un être vivant à moitié naturel et à moitié robot. Vision de science-fiction ? Absolument pas, ce sera bientôt une réalité. Et cet être qui sera le fruit des techniques de biologie synthétique a même déjà un nom : BABot, pour Biological Animal roBot. Sa création requerra de reconfigurer génétiquement le système nerveux de petits animaux afin de leur faire produire de nouveaux comportements. Elle sera l’œuvre d’une équipe internationale de chercheur·euses (belges, allemand·es, italien·nes, finlandais·es et israélien·nes) en neurobiologie, biologie synthétique, comportement collectif, robotique et éthique, ainsi que d’une entreprise agrotechnique de pointe.

Coordonné par le professeur Elio Tuci de la Faculté d’Informatique et de l’institut de recherche naXys de l’Université de Namur, financé par le Conseil européen de l’innovation Horizon Europe – EIC PathFinder, le projet BABot débutera le 1er octobre 2023. Il promet une approche radicalement nouvelle de la bio-robotique. Et pourrait avoir un impact considérable sur l’agriculture de précision, la bio-industrie et la médecine.

Ver nématode sauvage adulte © libre de droit

D’abord un ver

Les BABots, ces êtres mi-vivants mi-robots, auront pour mission de servir l’humanité. “Nous imaginons, par exemple, des insectes agriculteurs produisant et distribuant des engrais et protégeant les cultures en luttant contre les parasites. Mais aussi des nématodes médecins pénétrant dans le corps, effectuant des procédures médicales spécifiques et repartant ensuite. Ou encore des cafards sanitaires nettoyant le système d’égouttage, mais restant en dehors de la maison, mentionnent les scientifiques du consortium international. Bien que certaines de ces tâches puissent également être accomplies par des moyens chimiques ou par des robots conventionnels, les BABots offriront un niveau d’agilité, de précision, d’efficacité et de biocompatibilité inégalé par toute autre technologie.”

Le tout premier système BABot sera un ver. Dénommé C. elegans, bien connu des biologistes, ce nématode ne dépasse pas un 1 mm de long. Sa petite taille est un atout pour le faire fonctionner dans des environnements complexes. Son système nerveux sera génétiquement reprogrammé afin qu’il agisse en collectif, avec d’autres nématodes de son espèce, de manière active et autonome. Leur tâche spécifique sera de détecter, localiser et attaquer les agents pathogènes envahissants dans un environnement agricole confiné.

Déplacement d’un ver nématode C. elegans sauvage, la tête étant à droite © Bob Goldstein

Modifications génétiques

Au cœur du projet BABot réside donc l’idée révolutionnaire d’adapter synthétiquement le système nerveux d’un petit animal pour produire de nouveaux comportements conçus par l’homme. “Nous avons déjà établi une technique pour insérer génétiquement de nouvelles connexions synaptiques électriques dans les circuits neuronaux du nématode C. elegans. Cette technique s’est avérée très efficace pour modifier ses comportements naturels. Le projet BABot poussera cette approche encore plus loin, en mettant en œuvre des éléments comportementaux synthétiques entièrement nouveaux”, précise Pr Elio Tuci.

Pour ce faire, les scientifiques vont devoir ouvrir et modifier le génome de vers. “La modification génétique des animaux est une pratique courante en recherche fondamentale et est de plus en plus utilisée dans diverses applications. Par exemple, des vers tels que C. elegans ont été génétiquement reprogrammés pour servir de biocapteurs de composés toxiques ou de métabolites liés à des maladies. Des poissons ont été conçus pour devenir fluorescents lorsqu’ils rencontrent des polluants ; des vers à soie pour produire de la soie d’araignée. La nouveauté essentielle qui distingue les BABots des simples animaux transgéniques est qu’ils seront actifs et autonomes et qu’ils produiront des réponses complexes souhaitées dans des situations particulières. Au lieu de se contenter de signaler la présence d’une substance cible, ils agiront pour l’éliminer de manière efficace et ciblée.”

Les BABots seront une toute nouvelle forme animale de biologie synthétique fonctionnant à plus grande vitesse, sur de plus grandes surfaces, et présentant des comportements plus complexes que leurs cousin·es naturel·les.

Du labo à la ferme

Si, à terme, les scientifiques imaginent que les BABots pourraient intégrer la nature, cela ne sera pas le cas dans le cadre du projet européen. En effet, les tous premiers robots biologiques seront créés en laboratoire, dans des boîtes de pétri, dans le respect de règles de sécurité strictes. 

Dans un second temps, des essais seront menés dans une ferme italienne spécialisée en agriculture verticale, ZERO Farm. “Au sein de cet environnement agricole contrôlé et confiné, comprenant des systèmes de culture de plantes en cycle fermé et hors sol, les tests auront lieu dans des récipients confinés et isolés. De quoi nous permettre d’évaluer les interactions des BABots avec les machines de la ferme (pompes, sondes, tuyauterie) et avec les cultures cibles, notamment les laitues et les fraisiers. Il s’agira de leur offrir une protection contre divers agents pathogènes généralement insensibles aux attaques des nématodes. Mais aussi de leur distribuer des bactéries bénéfiques au niveau racinaire”, poursuit le scientifique.

Des risques qui semblent maîtrisés

Mais ensuite, si les essais sont concluants, si la législation le permet, si l’intérêt commercial s’affirme et si l’acceptation sociétale est favorable (oui, ça fait beaucoup de “si”), les nématodes transgéniques pourraient se retrouver dans un environnement ouvert. Notamment en vue de contribuer à recycler le plastique ou à restaurer les sols tellement dégradés par les activités humaines. 

Avec comme risque une hybridation avec les souches naturelles, voire une supplantation de ces dernières ? Les scientifiques ne le pensent pas. “Les BABots ne surpasseront pas les souches sauvages naturelles, car leurs comportements modifiés entraîneront des coûts énergétiques substantiels et les exposeront à des dangers, ce qui réduira considérablement leur capacité d’adaptation. Néanmoins, à l’avenir, la dissémination des BABots dans l’environnement ne sera envisagée qu’après l’élaboration rigoureuse d’une stratégie de confinement biologique solide et d’un cadre réglementaire rigoureux”, précisent les scientifiques du projet européen. 

Ces derniers vont également doter leurs nématodes transgéniques de sortes d’interrupteurs génétiques garantissant leur stérilité, afin d’éviter toute reproduction entre eux ou avec des souches sauvages naturelles. Ils vont aussi les rendre totalement dépendants de certaines substances non naturelles pour leur existence, de sorte qu’ils soient incapables de survivre sans cela.

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