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Les oubliées de l’informatique #1 : Annie Easley

Auteurice de l’article :

Charline Cauchie

Charline Cauchie est journaliste indépendante. Elle collabore aux pages Culture du journal L'Echo et pour Médor. Elle a réalisé un podcast sur l'hypnose médicale pour la RTBF : "Ma voix t'accompagnera".

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L’étasunienne Annie Easley (1933-2011) est la première des trois femmes dont kingkong tire le portrait pour parler des oubliées de l’Histoire de l’informatique. Aline Pesesse, mémorante en sciences du travail, nous la présente et nous parle de l’invisibilisation des femmes dans le secteur.

Aline, tu es mémorante en sciences du travail lorsque tu commences à t’intéresser aux oubliées de l’Histoire de l’informatique et notamment à Annie Easley, née en 1933, ingénieure et mathématicienne afro-américaine qui arrive un peu dans l’informatique par hasard….

Aline Pesesse : En effet. Originaire de Birmingham (Alabama), elle commence des études de pharmacie dans les années 1950 avant de les arrêter pour se marier et déménager à Cleveland. Là-bas, il n’y a pas d’école qui enseigne la pharmacie. Elle décide donc de chercher un emploi et décroche un poste au Comité consultatif national de l’aéronautique, NACA, agence qui devient la NASA en 1958.

Elle est employée comme “ordinateur humain”, qu’est-ce que ça veut dire ?

Elle faisait ce que fait un ordinateur aujourd’hui : analyser les problèmes et les résoudre par des calculs à la main. Elle va notamment travailler sur l’exécution des simulations pour un nouveau réacteur, le réacteur de Plum Brook, appelé aujourd’hui le Neil Armstrong Test Facility. Cette station que Plum Brook possédait accueillait des tests au sol effectués pour la communauté spatiale internationale.

©NASA

Par la suite, des machines vont remplacer les ordinateurs humains comme Annie Easley. Elle a alors l’intelligence d’évoluer avec la technologie en devenant programmeuse informatique. Elle prend part au développement du code qui servira notamment au développement de la technologie de batteries, une technologie utilisée pour l’élaboration des premiers véhicules hybrides. Ce qui signifie que le fruit de son travail est encore utilisé aujourd’hui.

Tu expliques que lorsqu’elle commence à travailler à la NASA, il n’y a que trois autres employé·es afro-américain·es…

Oui, c’est pour cela qu’à côté de son métier, elle s’engage dans la sensibilisation des étudiant·es issu·es des minorités à considérer une carrière dans les STEM (acronyme de science, technology, engineering, and mathematics). Elle assumera également un rôle de conseillère pour l’égalité des chances au sein de la NASA. Ce rôle consiste à coopérer avec les superviseurs dans la gestion des plaintes pour discriminations de sexe, de race et d’âge. Elle va notamment réussir à conclure un accord permettant aux femmes de porter le pantalon. Tout ça va rester sous le radar de l’Histoire. D’ailleurs, dans son essai “Les oubliées du numérique”, l’autrice Isabelle Collet évoque principalement Mary Shelley, Ada Lovelace, Hedy Lamarr, Grace Hopper, les programmeuses de l’Eniac, les calculatrices humaines, mais j’ai galéré pour trouver de l’info sur Annie Easley. En tant que femme noire, elle subit indéniablement une couche d’invisibilisation supplémentaire, ce qui fait qu’au final on sait peu de choses à son sujet.

En entendant tout ça, on ne peut s’empêcher de penser au film “Les figures de l’ombre”

Ce que montre très bien ce film, c’est que l’on tolère les Afro-Américain·es à la NASA, mais qu’iels restent ségrégué·es avec la cafetière ou les toilettes “for colored people”. Les trois héroïnes du film sont trois autres oubliées de l’Histoire des tech : Katherine Johnson, Mary Jackson et Dorothy Vaughan.

Comment as-tu toi-même découvert ces femmes ?

Je voulais travailler sur les parois de verre qui rendent certains métiers inaccessibles aux femmes. Mais ce que j’ai découvert, c’est qu’elles étaient présentes aux débuts de l’informatique, c’est juste qu’au fur et à mesure des décennies, elles disparaissent ! Si je demande aux gens dans la rue : “Nommez moi une femme pionnière de l’informatique”, personne ne pourra me citer de noms.

Qu’est-ce qui a fait que, historiquement, les femmes comme Annie Easley ont disparu des métiers de l’informatique ?

Au milieu du XXe siècle, l’Informatique et la programmation n’existaient pas en tant que tel. Comme je te l’expliquais à propos d’Annie Easley, il faut plutôt parler de “machines” humaines à calculer. C’est un travail de fourmi, de subordonnée, qui est donc peu valorisé et c’est ce qui le rend accessible et dévolu à des femmes : on le perçoit dans la continuité du travail de secrétariat qui était quasi exclusivement féminin à l’époque. Par après, seulement, la programmation devient l’enjeu économique que l’on connaît et c’est à partir de là que l’on considère que c’est trop compliqué pour les femmes de l’exercer et que les hommes y arrivent de plus en plus nombreux.

Et ton mémoire parle surtout des initiatives d’aujourd’hui qui encouragent les femmes à reconquérir l’informatique. Quelles sont-elles ?

Je me suis focalisée sur les politiques publiques ou sur le travail associatif. Je parle notamment d’Interface 3 à Namur et à Bruxelles. Ces ASBL existent depuis respectivement 19 et 35 ans et ont toujours été non-mixtes. Elles sensibilisent et initient aux STEM en faisant découvrir les métiers et en organisant des formations certifiantes. Il y a différentes cibles : les jeunes et les femmes adultes en reprise d’activités, c’est-à-dire soit au chômage, soit sans bagage académique. Et cette dernière catégorie est importante parce qu’elle va à l’encontre d’un autre cliché de ces métiers : il faudrait être ultra diplômé·e en sciences pour les exercer.

Qu’est-ce que tu retiens de tes entretiens avec ces informaticiennes contemporaines ?

L’importance de démystifier ces métiers et de les présenter moins comme des professions techniques et plus comme des métiers du lien. En fait, la majorité des professionnelles que j’ai rencontrées, que ce soit dans le secteur public, bancaire, non-marchand ou dans les transports, ont une même manière d’envisager leur travail : un métier qui sert à aider les gens en trouvant des solutions à leurs problèmes. Trop souvent, les métiers de l’informatique restent abstraits alors que, derrière les outils, il y a des personnes qui vont les créer et, de l’autre côté, des gens qui vont les utiliser. C’est très concret, ça améliore la vie et, pour ces professionnelles, l’idée qui domine, c’est d’être au service des utilisateur·ices.

On en revient un peu à cette notion du care qui décrit les métiers du soin comme étant l’apanage des femmes…

Oui, il faut faire gaffe à ne pas essentialiser. Mais je pense que si l’on veut diversifier les profils dans ces métiers, il faut les présenter autrement. D’ailleurs, dans l’autre sens, les métiers habituellement décrits comme étant ceux du care devraient eux aussi être présentés différemment. Geneviève Fraisse expliquait qu’être infirmière, c’est tenir la main, mais c’est aussi gérer la saleté, faire des horaires décalés, porter des charges lourdes et que, finalement, dans un métier, on voit ce qu’on veut voir. Il faut mettre l’accent sur les compétences liées à une profession plutôt que de se contenter de les nommer. Et donc, on devrait dire que l’informatique, c’est de l’écoute, c’est apporter de l’aide et c’est solutionner des problèmes d’humain·es.


Ce contenu vous est proposé dans le cadre de Propulsion by KIKK, un projet de sensibilisation au numérique pour et par les femmes.

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