1
Cover 10 minutes de lecture

wake! Tour, quand l’industrie créative digitale wallonne et bruxelloise rayonne

Auteurice de l’article :

François Genette

Accro à l’actu, fan de la culture geek, aficionado de tech digitale et gamer acharné, François Genette est passionné par tout ce qui touche au numérique. Journaliste pendant près de 15 ans dans les grands médias nationaux et locaux, il utilise aujourd’hui sa plume pour partager ses découvertes venant des univers qu’il affectionne.

en savoir plus

Le 23 octobre dernier, dans le cadre du Kikk Festival, plusieurs délégations de visiteur·euses belges et étranger·ères se rendaient au même moment aux quatre coins de la Wallonie. Leur objectif commun : découvrir les talents de l’industrie créative digitale wallonne et bruxelloise. Une opportunité offerte par un programme particulièrement ambitieux, wake! by Digital Wallonia.

“Quand je suis arrivé ici et que j’ai vu autant de personnes dans la salle, je me suis dit, waouh, là, il se passe quelque chose.” Devant nous, Thierry Dutoit arbore un grand sourire. Il est un peu plus de 13h30, et le directeur scientifique du hub créatif montois Le CLICK peine à contenir son enthousiasme lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de cette première édition du wake! Tour : “C’est incroyable parce que tout ça, on n’aurait pas pu le montrer il y a 5 ou 10 ans. Et là, on en est à un point où on est capables, quand des visiteur·euses étranger·ères viennent, de vraiment mettre en avant la force de frappe de la Communauté Wallonie-Bruxelles dans le domaine des industries culturelles. C’est vraiment impressionnant”.

Effectivement, il y a de quoi être satisfait, car une heure plus tôt, c’est un car complet de curieux·euses venu·es de toute la Belgique mais aussi de l’étranger – on compte des Espagnol·es, des Polonais·es et des Anglais·es – qui s’est arrêté devant le hub créatif montois. Des entrepreneur·euses, des investisseur·euses mais aussi des représentant·es des services publics venu·es découvrir les exposant·es wallon·nes présent·es sur place.

Du lourd pour démontrer le savoir-faire wallon

Parmi elleux, une figure renommée de la tech digitale wallonne : Nicolas d’Alessandro, l’un des fondateurs de l’agence digitale Hovertone, spécialisée dans le design d’interaction phygitale. “Aujourd’hui, je suis invité pour un panel sur le rôle de l’immersion, de l’interactivité et des nouvelles technologies dans les expositions et les espaces publics. Le but est de montrer comment on peut embarquer les gens, comment les toucher émotionnellement avec ces nouvelles technologies pour faire passer des messages. Dans ce cadre, je les emmène au MUMONS, où iels pourront voir l’une de nos réalisations.”

Cette réalisation, c’est une vidéo-projection sur les murs mêmes des caves du musée de l’université de Mons, qui fut autrefois un couvent. L’expérience donne la parole à deux nonnes fantomatiques qui reviennent à la vie le temps de raconter aux visiteur·euses leur histoire et celle des lieux.

Pouvoir montrer directement à autant de personnes l’une de ses expériences phares est une chance inestimable pour le fondateur d’Hovertone : “Oui, c’est important. Il fallait un truc comme ça pour permettre de rassembler autant de gens ici, en Wallonie. Et ce que je trouve vraiment intéressant avec le wake! Tour, c’est qu’il permet de montrer directement les métiers et le savoir-faire. Il y a bien sûr plein de choses théoriques à savoir, mais notre industrie, c’est aussi et surtout du know-how, et ce dernier se transmet grâce à des événements comme celui-ci, par contagion, comme j’aime le dire”.

© Inmersiva

Un peu plus loin, c’est un autre entrepreneur actif dans l’industrie créative digitale qui suscite l’intérêt des visiteur·euses. Chadi Abou Sariya est le fondateur de MiamMiam Creative Lab, une startup bruxelloise dont la proposition a tapé dans l’œil (ou plutôt dans l’oreille) de beaucoup de monde ici : “Ma création se nomme Spherix 360. Elle a vocation à repenser et à donner une nouvelle dynamique au son spatialisé 360. Pour résumer, cela permet de supprimer les automatisations numériques qu’on a aujourd’hui sur les sons des jeux vidéo et des films, par exemple. Ce sont elles qui décident normalement de comment est distribué le son sur ces supports : de quel côté il vient, selon quelle intensité, etc. Et ce que moi, je fais ici, c’est que je code, je recode tout. Je recrée un moteur de rendu audio, contrôlable, je décide de tout. C’est comme ça qu’on fonctionne”.

© Inmersiva

Et c’est peu dire que son concept attire l’attention, comme il le souligne avec le sourire : “Apparemment, il y a un engouement, et ça me plaît beaucoup. En plus, ici, je sens de la bienveillance, je sens de la rencontre. Si on regarde à l’échelle macro, pouvoir être présent·e dans un événement comme le wake! Tour, qui fait partie du KIKK, c’est un atout gigantesque. Moi, par exemple, cela me permet de ne plus être un ovni, isolé dans sa cave à travailler sur ses concepts. Cela me permet de partager mes créations et de trouver les bonnes personnes à qui les montrer et avec qui en discuter.”

Une bannière pour toustes les rassembler

Mais pour bien comprendre la dynamique du wake! Tour, il faut avant tout comprendre ce qu’est le concept wake!. Et pour en parler, qui de mieux que la coordinatrice du projet, Delphine Jenart : “wake! regroupe l’écosystème des acteurices de la créativité numérique en Wallonie. Il doit sa création au fait que le KIKK a été mandaté par le gouvernement wallon pour devenir l’acteurice référent·e des industries culturelles et créatives au coeur de la stratégie Digital Wallonia. Parmi les activités de ces dernières, on retrouve notamment la création et la diffusion d’animations en 3D, des expériences immersives dans les lieux culturels ou lors de grands événements, qu’elles soient en VR, XR ou AR, du videomapping ou encore des jeux vidéo”.

Grâce à son rayonnement et son rôle pivot en tant que faire-valoir du savoir-faire créatif et numérique en Wallonie, le KIKK va endosser pleinement ce rôle de “sherpa” en guidant les dirigeant·es politiques dans leur compréhension du secteur afin  qu’iels aident et accompagnent au mieux les porteur·euses de projets du secteur.

Mais peu à peu, une évidence va sauter aux yeux des différent·es acteurices impliqué·es dans ce projet. Parmi elleux, on retrouve Sébastien Nahon, fondateur et directeur du Media Innovation & Intelligibility Lab à l’UCLouvain et coordinateur du volet international de l’initiative stratégique HiTT (pour Human interactions technology transfer) dédiée aux technologies immersives. “Je vous prends l’exemple le plus classique qui revient entre nous. Lorsque arrive le moment de South by Southwest (on avait d’ailleurs eu la chance de le découvrir), le festival américain qui est LE rendez-vous à ne pas manquer pour notre secteur, nous, les Belges, on arrive complètement dispersé·es. Et ce, alors que tous les autres pays sont bien centralisés, qu’ils ont une image de marque bien claire. Nous, on n’a ni marque, ni logo, ni rien qui permette de mettre en avant cette Belgian Touch qui nous correspond.”

Cette absence de porte-étendard global, pour lui, ne permet pas d’attirer les regards : “On a ce côté créatif surréaliste, on est les petits poucets qui n’ont pas beaucoup de moyens mais qui parviennent malgré tout à faire jeu égal en matière de créativité avec d’autres pays bien plus grands. Et c’est pour cette raison que la création de wake!, qui a vocation à rassembler tous nos talents, est très importante”.

Un constat partagé par Thierry Dutoit : “C’est un petit peu comme des électrons dont les spins s’alignent pour aller dans une même direction. C’est important aussi pour nous parce qu’on sait bien que les industries culturelles et créatives n’ont pas été suffisamment soutenues par le gouvernement wallon. Elles sont considérées comme un secteur industriel qui est un petit peu en retrait par rapport aux cinq secteurs prioritaires wallons (de la stratégie de spécialisation intelligente S3). Donc c’est important qu’on se manifeste comme ça”.

Un an pour réfléchir et agir

Les constats étant faits, un groupe de travail se met en place début janvier 2024. Son rôle : lancer un travail de coordination et de regroupement de l’écosystème autour de ce mandat. Première mission : réunir autour de la table les acteurices et institutions les plus concerné·es et les plus à même de dégager des solutions, comme l’explique Delphine Jenart : “On a rassemblé à la fois des fonds d’investissement comme NOSHAQ, Start-invest, Wallimage, des universités comme l’UCL, l’UNAMUR, l’UMONS, des centres de recherche, ainsi que des lieux de la créativité numérique. On a ici le TRAKK, la Grand Poste, le CLICK. On a aussi essayé d’assurer une certaine représentativité des territoires et des opérateurices qui animent et boostent l’écosystème, un peu comme des événements tels que le KIKK, le Meet and Build (on y était aussi) mais aussi des initiatives qui s’organisent à Bruxelles comme Stereopsia”.

Beaucoup d’acteurs publics, donc, auxquels viennent se joindre des acteurices privé·es comme Dreamwall, Motion Sense, Davanac ou Amplo pour tout le secteur de la HR des ICC. Celleux-ci partagent leurs observations, leurs retours, mais aussi leurs solutions pour faire davantage rayonner l’industrie créative digitale wallonne. Ensemble ils créent un étendard, un label hébergé par l’environnement Digital Wallonia.

Ces discussions et réflexions aboutissent, en juillet de la même année, à la création d’un livre blanc d’une grosse centaine de pages à destination des dirigeant·es politiques. De quoi asseoir la base théorique de l’écosystème wake!.

Une vitrine pour briller

Mais si la théorie, c’est bien, rien de tel que de mettre le concept en pratique. C’est là qu’intervient le wake Tour. Et parce qu’il n’y a pas un seul pôle wallon spécifique mais plusieurs, ce dernier est pensé comme un roadshow à travers la région.

Trois routes s’offrent aux visiteur·euses :

  • La première les dirige vers Namur et le TRAKK, pour une session dédiée à la communication digitale, animée notamment par des acteur·rices de renom tel·les que Digizik, Poum Tchak, MR81 et Alex GD.
  • La deuxième route propose une immersion à Liège dans le monde de la musique et de la Music Tech, et une visite des trois pôles d’innovation musicale les plus emblématiques de la ville organisée par Wallifornia Music Tech de Leansquare.
  • Enfin, Mons et le CLICK, où nous nous sommes retrouvés avec King Kong, offre un parcours sur le thème de la Culture & Entertainment Tech, passant notamment par plusieurs musées de la cité montoise.

“Avec ces parcours, on a établi le design de cette vitrine. Et là, maintenant, grâce au KIKK festival, on a pu donner vie à cette dernière. Ce qui est génial, c’est que tout cela existait déjà. Mais avant, chacun·e faisait un peu son truc, parce qu’il n’y avait pas cet élément fédérateur. Le wake! Tour permet de valoriser notre savoir-faire comme il le mérite”, se félicite Bérengère Fally, Innovation Manager chez Technocité.

Delphine Jenart, qui est décidément partout, nous rejoint et ajoute : “Tous les opérateurices sont là : les connaissances, le know-how, le potentiel. Et on est hyper bien situé·es. La Belgique, ne l’oublions pas, c’est le cœur de l’Europe. On est tout près des grandes capitales, et donc, avec ce genre d’événement, cela nous permet de rayonner”

Rayonner, donc, en mettant en avant, en une journée, une belle partie de l’écosystème wallon. Et pouvoir montrer ce que pourrait être une Creative Tech Valley wallonne à la fois dynamique et attractive, tant à l’intérieur de la Belgique qu’au niveau international.

Crédibilité et capacité de convaincre

Mais pour cela, il faut de l’investissement, de la visibilité et, surtout, le soutien des dirigeant·es politiques. Or, comme l’a dit Thierry Dutoit un peu plus tôt, cette dernière variable n’est pas forcément la plus simple à activer : “Ce n’est pas seulement en Belgique, mais dans tous les pays d’Europe, où on sent que les décideur·euses politiques restent un peu de marbre face à notre secteur. On peut leur concéder, à juste titre, que ce n’est pas leur métier et qu’il est donc normal qu’iels aient du mal à suivre la progression technologique et créative. Cela veut dire aussi que nous devons leur montrer en permanence le potentiel des acteurices présent·es et du secteur en lui-même pour les sensibiliser. Qu’iels ne voient plus cela comme un monde obscur de doux rêveur·euses et d’artistes, mais comme un vivier d’acteurices hyper pragmatiques, hyper rationnel·les, prêt·es à prendre d’assaut les marchés belges et mondiaux”, précise ainsi Sébastien Nahon.

Pour Nicolas d’Alessandro, une autre difficulté réside dans la capacité à correctement montrer le fonctionnement de cette industrie créative digitale : “Au niveau politique, je pense qu’il y a encore un pas à franchir. En revanche, au niveau de la motivation des décideur·euses à considérer que la créativité est un muscle économique, il y a déjà pas mal de progrès. Mais personnellement, ce que j’apprécie beaucoup dans cette initiative, que ce soit le wake! Tour ou tout ce qui tourne autour, c’est la volonté de permettre à tout le monde de comprendre notre industrie. On est dans un secteur de savoir-faire, et ce n’est pas forcément facile à expliquer. Il faut parvenir à évoluer sur ce point, vis-à-vis des politiques, des industries et des grands groupes. C’est en créant cette contagion, afin que tout le monde comprenne les enjeux, qu’on parviendra à faire exploser ce domaine d’activité, que ce soit en Wallonie ou ailleurs. Mais il se fait qu’on essaie de le faire ici, et c’est très bien”.

Le début d’un grand mouvement

Si cette première édition du Wake Tour est, à n’en pas douter, une belle réussite, pas question de s’arrêter pour les différent·es acteurices qui en sont à l’origine. “La suite risque d’être bien chargée. Celle qui vient de se terminer, c’était l’édition zéro. Maintenant, on va se voir, faire un débriefing le plus transparent possible. La volonté, clairement, est de faire un wake! Tour 1, 2, 3, et de continuer. Voir ce qui a fonctionné, ce qui a moins fonctionné. Et ce qu’on discute déjà en interne, c’est qu’il faut s’y mettre dès demain, après le KIKK festival, pour commencer à créer la prochaine édition. Ce qui est super intéressant, c’est qu’avec l’implication notamment du WBI, on est vraiment dans un partenariat. On discute ensemble pour rayonner à l’international. Et ça, c’est quelque chose qu’il n’y avait pas avant : co-construire ensemble, entre les différentes parties prenantes, une vision, une mission claire, et des programmes clairs. Pour moi, on a déjà gagné pas mal de choses”, déclare Sébastien Nahon.

Un constat sur le rayonnement au-delà des frontières qui est partagé et prolongé par Bérengère Fally : “Je reviens ce matin du Canada (mission Digitale Canada organisée par AWEX et WBI sur Montréal – l’événement Hub Montréal organisé chaque année au mois d’octobre – et Toronto ndlr), où j’ai rencontré beaucoup d’entreprises des secteurs créatif et digital. Et jusqu’à présent, on s’est beaucoup inspiré ici de ce qui se faisait au Canada. Or, je le dis franchement, on a des entreprises wallonnes et bruxelloises qui sont aujourd’hui au même niveau, si même pas meilleures. Donc,je pense qu’il faut qu’on ait une vision encore plus axée sur l’international aujourd’hui pour valoriser ces entreprises. Et surtout s’assurer qu’elles trouvent sur notre territoire les compétences nécessaires pour soutenir leur croissance et leur innovation, en développant des programmes de formation adaptés et en favorisant la rétention des talents locaux”.

Delphine Jenart, elle, se prépare déjà aux futurs défis : “Le mandat du gouvernement wallon précédent, c’était 2019-2024. Nous, on a eu ce mandat sur la fin de la législature. L’idée est donc de pouvoir être pérennisés par la nouvelle équipe gouvernementale qui va être mise en place. Et bien sûr, ce que nous désirons, c’est pouvoir poursuivre avec les mêmes libertés et les mêmes prérogatives que durant cette première année”.

Un fameux programme, auquel s’ajoute un autre tout aussi ambitieux : “Il y a un travail de fond à mener sur la cartographie du secteur mais aussi de l’offre de formation, pour voir si celle-ci correspond aux besoins du marché. Parce que là, même si l’offre a bien évolué ces 10 dernières années, il y a encore beaucoup de trous dans la raquette: encore un chantier où la dynamique wake! peut aider.”

Du pain sur la planche pour les années à venir, donc. Mais aussi et surtout de très nombreuses sources de motivation, au vu du vivier extrêmement riche et créatif que notre – pourtant si petite – région abrite en son sein.

Appel à projet

Une histoire, des projets ou une idée à partager ?

Proposez votre contenu sur kingkong.

Partager cet article sur

à découvrir aussi