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Portrait 5 minutes de lecture

Vivien Roubaud, résister, assembler, encapsuler

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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S’amusant avec les matériaux et les objets domestiques, Vivien Roubaud aime en extraire des propriétés inexplorées. Ses assemblages nous font (re)vivre des instants simples mais fragiles et confinent des microphénomènes sublimés d’une critique anticapitaliste. Rencontre avec ce résistant des matières actuellement exposé à Capture #2, au Pavillon de Namur.

Lorsqu’on lui demande comment il se définit, Vivien Roubaud confie que l’étiquette de bricoleur généraliste lui a trop longtemps collé à la peau. “Je reconnais m’être décrit de la sorte, mais j’enlève ce que j’ai dit. Je trouve cela trop réducteur. Je ne suis pas non plus un artiste sculpteur, je n’ai ni marteau, ni burin, je n’explose pas la matière. En réalité, j’ai l’impression de faire beaucoup d’assemblages, et intuitivement, je me définirais plutôt comme un résistant des objets et de cette société de services qu’on nous impose sans arrêt.” Double-diplômé des Beaux-Arts de Marseille ainsi que de l’École nationale supérieure d’art de la Villa Arson à Nice, le Bruxellois d’adoption tente de court-circuiter le système dans lequel il évolue à travers ses œuvres. Un peu comme dans cette référence cinématographique des années 1980 à laquelle il s’identifie beaucoup : Brazil, de Terry Gilliam. Un film de science-fiction dystopique qui explore une société totalitaire, sorte de satire politique et d’humour noir offrant déjà une vision cauchemardesque de la crise climatique.

Pour les faire parler autrement, Vivien tourne beaucoup autour des objets avec lesquels il travaille. Quand il se lance dans un nouveau processus de création, il entre alors dans un jeu d’allers-retours avec l’objet. Sa curiosité lui permet de comprendre de mieux en mieux la systémique de son sujet, ce qu’il nomme les effets secondaires de l’objet. “J’essaie de capter un potentiel et de le faire surgir simplement grâce à une intervention manuelle qui propose directement un regard neuf sur l’objet.” Lustres, éviers, tondeuses à gazon… Et au-delà de leur aspect purement technique, les prospections de Vivien Roubaud ramènent toujours la mécanique du côté du vivant. Comme avec ses “Salsifis douteux“, actuellement visibles dans l’exposition Capture #2.

Tragopogon dubius de son doux nom latin, une plante herbacée qui ressemble au pissenlit. Cette œuvre participative, paramètre plutôt rare chez l’artiste, sollicite les visiteur·euses à se munir d’un bouton de salsifis douteux encore fermé pour le placer sur une espèce de soliflore qui coiffe un des trois socles électroniques de l’installation. “Lorsqu’on appuie sur l’interrupteur présent sur le haut du socle, un vase transparent descend sur le bouton de salsifis, décrit Vivien. Grâce au système de déshydratation, le bouton s’ouvre fluidement jusqu’à former une boule de soie, le tout dans une géométrie et une rapidité étonnantes.” La séquence d’ouverture de la plante ne dure pas plus de deux minutes, alors que dans la nature, ce processus peut prendre entre deux et trois jours. Devant cette scène, les regards sont pour la plupart ébahis. Pas de stupeur, mais les yeux brillent comme ceux de l’enfant qui réside en nous toustes. Car on se souvient très bien des cueillettes de pissenlits dans les champs pour ensuite souffler sur leurs fins pétales soyeux. Mais, à l’échelle humaine, jamais n’avons-nous pu observer pareille éclosion en accéléré.

C’est extrêmement agressif de voir ce bout de plante morte dans son frigo et de le forcer à s’ouvrir à vitesse grand V. C’est presque comme un chant du cygne.

Après les avoir cueillis non loin de Bruxelles, Vivien stocke ses salsifis douteux dans de petits sachets sous-vide qu’il place au frais. Il peut ainsi les conserver jusqu’à cinq mois dans un réfrigérateur qu’il a voulu vitré, comme dans les snacks, et présent dans l’espace d’exposition. “Même si les spectateurices restent libres de participer ou non, cet acte d’accélération d’un processus naturel comporte une dualité énorme. Je le trouve à la fois d’une beauté rare, on se trouve devant un objet nerveux, vivant, mais en même temps, c’est extrêmement agressif de voir ce bout de plante morte dans son frigo et de le forcer à s’ouvrir à vitesse grand V. C’est presque comme un chant du cygne.” L’artiste souhaitait de cette manière convoquer d’autres procédés que l’on fait subir au vivant, comme ces bains de gaz qu’on donne aux pommes afin de les conserver pendant des mois sans qu’elles ne s’abiment, ou encore les modifications génétiques menées sur certaines variétés de betteraves sucrières qui permettent de maximiser le nombre de récoltes à l’année. “À ce stade, ce ne sont plus des plantes mais des machines.”

Des microphénomènes encapsulés

Avec “Samare stationnaire“, autre installation de l’artiste assembleur exposée à Capture #2, Vivien Roubaud propose une nouvelle fois de circonscrire un bref espace-temps. En botanique, la samare est ce fruit sec (un akène, plus précisément, qui ne contient donc qu’une seule graine) dont la membrane a la forme d’une aile. Plusieurs arbres produisent des samares : érable, frêne, orme ou encore tulipier. Sur des socles qui produisent un courant d’air laminaire vertical, Vivien fait léviter une samare sur elle-même. “Ce flux fonctionne comme un mur d’air qui contient le samare en suspension rotative au-dessus de son socle, sans jamais qu’elle puisse retrouver l’immobilité ou chuter”, s’amuse-t-il.

Comme avec les pissenlits, on l’a toustes vu cet instant où l’aile végétale de la samarre virevolte innocemment dans les airs. Ce qui intéresse toujours Vivien Roubaud, c’est bien de reconditionner, d’encapsuler ces phénomènes physico-chimiques, souvent très fugaces ou pas assez importants pour qu’on pose l’œil dessus, afin de les visibiliser. Une de ses précédentes expositions au Creux de l’Enfer, un centre d’art contemporain situé en région Auvergne-Rhône-Alpes, était d’ailleurs intitulée “Les univers encapsulés“. “Le peintre Paul Klee disait que l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. C’est ce qui m’anime moi aussi. Proposer quelque chose qui n’a pas de matière pendant un instant et lui donner enfin de l’espace.”

L’assemblage est une pratique qui génère avant tout des prototypes. Au contraire du design, on ne produit pas d’objet sériel. On ne peut pas mettre mes installations en boite et les reproduire en kit montable.

Lorsqu’on le questionne, on découvre également que c’est une certaine crainte de la finitude qui l’encourage dans ses travaux. Souvent, il lui est d’ailleurs impossible de fixer réellement un travail dans le marbre et de le considérer comme terminé. “D’expo en expo, je trouve des failles à mes installations qui me permettent de les réinterpréter, voire de les amener ailleurs. L’assemblage est une pratique qui génère avant tout des prototypes. Au contraire du design, par exemple, on ne produit pas d’objet sériel. On ne peut pas mettre mes installations en boite et les reproduire en kit montable.”

Après avoir œuvré pendant de longs mois sur ces deux installations, Vivien Roubaud continue d’expérimenter avec l’assemblage. “En ce moment, je tente de figer des feux d’artifices dans du pétrole. Ça crée des vecteurs forces invisibles à l’œil nu très intéressants. Je mène aussi des recherches autour du bain d’huile pour voir quels objets je peux y plonger, soit pour les étouffer de manière sonore, soit pour les lubrifier à l’infini et les protéger de l’oxydation. Comme tout·e artiste, je veux aussi évidemment créer mon nuage. Le mien sera gras, pluvieux, très liquide et tiendra dans l’espace.”

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