Sandra Van de Kamp et Vakah Profana : des drags-queens uniques en leur genre
Auteurice de l’article :
Célébrer la différence et briser le silence à travers la littérature, la poésie, les mots et les couleurs… C’est l’objectif du projet “Unique en son genre” auquel appartiennent Vakah et Sandra. Ces deux personnages, doux mélange de sublime et de burlesque, sont les alter-egos des artistes Guillaume et André, qui, à la terrasse du café queer Le Fontainas, à Bruxelles, m’ont conté leur histoire. Tendez bien vos yeux…
D’un côté, Sandra van de Kamp. Speakerine de formation, Sandra est une mère au foyer drôle et déjantée, éloquente et engagée, accoutrée telle une pop star kitsch des années 80. De l’autre, Vakah Profana. Cette créature mystérieuse à la voix ensorcelante viendrait du nord-ouest du Brésil mais les théories sur ses débuts sont nombreuses : actrice de telenovelas, chanteuse amazone, sorcière ou vache réincarnée en humain·e. Depuis plus d’un an, Sandra et Vakah sillonnent la Belgique francophone pour offrir des lectures, aux côtés de six autres artistes drag, dans les écoles, les maisons de jeunes et les lieux culturels. Et ce, dans le cadre du projet “Unique en son genre“, qui se décrit comme tel : “Une drag-queen, un drag-king, un livre, un enfant à l’écoute et un adulte à ses côtés. Ensemble”.
Le texte est toujours le déclencheur pour ensuite échanger. On veut que les jeunes réagissent, posent des questions entre elleux pour voir ce qui ressort des thèmes abordés.
Vakah
Lire pour ouvrir les esprits
Porté et soutenu par la Maison Arc-en-ciel de Liège, le concept est inspiré de la Drag Queen Story Hour apparue à San Francisco en 2015 et des “Heures du Conte” organisées au Québec, depuis 2016, par la drag-queen Barbaba. Contes inclusifs, lettres, témoignages, poèmes ou tribunes… les récits s’adaptent aux âges (de 3 à 12 ans), questionnent les stéréotypes de genre, évoquent les relations parentales, traitent des différentes formes de discrimination dont celles envers les personnes LGBTQIA+, laissent libre court à l’imagination et à la curiosité, le tout au sein d’un espace bienveillant, dépourvu de tout jugement. “Le texte est toujours le déclencheur pour ensuite échanger. On veut que les jeunes réagissent, posent des questions entre elleux pour voir ce qui ressort des thèmes abordés”, explique Vakah. Ces lectures donnent à chaque fois naissance à des instants uniques, parfois très mignons, comme cette fois où, “à la fin d’une séance, les enfants décident de faire un câlin collectif”. Ou à des confessions plus intimes ou à des réactions inattendues, à l’instar de cette question posée un jour par un ado : “Mais vous voulez nous convaincre de quoi ?”. “De rien”, assure Vakah, si ce n’est de partager un moment “d’attention, de bienveillance et de plaisir”.
Des personnages imprégné·es de réel
Sandra et Vakah sont deux personnages de scène, elles sont le fruit de l’imagination et d’une histoire : celles de Guillaume et André. “Sandra n’est pas quelqu’un·e de totalement opposé à moi. Globalement, c’est Guillaume qui a revêtu ses habits de superhéroïnes”. Idem pour André : “Vakah est une version exagérée de moi. J’ai pris des éléments de ma propre biographie que j’ai interprétée sous une forme plus mythologique et mystique”.
Né au Brésil, André déménage en Italie à l’âge de 10 ans, où il grandit au sein d’une famille aimante, dans un environnement pieux et traditionnel. À 16 ans, il prend conscience de son orientation sexuelle et de sa “différence” dans un milieu normé par l’hétérosexualité. “J’avais besoin de me réinscrire dans une tradition, une ligne et une culture”. C’est là qu’il commence à regarder des films et des séries queer, dont Priscilla, folle du Désert qui le marque particulièrement. Entre-temps, il se lance dans le théâtre et part faire ses études en France. Théâtre de texte, danse, piano bar… André multiplie les activités, en quête de sa vocation mais… “ça ne colle pas totalement”. Il découvre alors l’univers du clown, qui lui procure une sensation de libération. “Avec le clown, il y a tout un travail d’alter ego qui consiste à extraire de soi toutes les conventions”. Par le clown, André retrouve le courage de s’initier au drag pendant le confinement. Il construit son personnage via internet, devant des tutos, et s’enregistre en studio avec d’autres musicien·nes. Lors d’un stage au Théâtre de Liège, il rencontre Sébastien Hanesse, qui porte le projet “Unique en son genre” avec Edith Bertholet. Ce dernier lui propose de chanter à une soirée cabaret. Vakah Profana est née.
Quant à Guillaume, c’est à Liège qu’il passe son enfance, entouré d’une famille qui “lui apporte un amour inconditionnel”. Si, pendant l’adolescence, son coming-out ne change rien à sa relation avec ses parents, à l’école, c’est plus compliqué. “J’ai toujours été perçu comme efféminé, ce qui vaut d’être pris pour un pédé. C’est difficile de s’identifier à une insulte, d’où l’importance de réinventer des mots comme queer, pour le dire avec fierté et sans stigmates”. C’est lors de ses années passées à Lisbonne qu’il découvre, dans un bar queer, la célèbre émission “RuPaul’s Drag Race“, diffusée au milieu d’un drag show local. “En termes de communauté, d’approche et de médias, c’était génial.” Une fois rentré à Bruxelles, Guillaume décide de recréer ces soirées, et entreprend une tournée “en mode startuper”. Un endroit lui fait confiance : le bar lesbien queer The Crazy Circle. “Il fallait quelqu’un·e pour présenter, j’ai donc créé un personnage à cet effet. Petit, j’ai fait du théâtre et j’ai toujours bien aimé prendre la parole mais je ne voyais pas l’intérêt que ce soit Guillaume avec une belle chemise et un micro. Je me suis dit : Vivons l’expérience jusqu’au bout”. En février 2020, Sandra Van de Kamp monte sur scène pour la première fois.
Le drag mainstream, c’est du spectaculaire grandiloquent avec de la musique pop et une incroyable mise en scène. Moi, je voulais apporter le côté pédagogique et littéraire et “Unique en son genre” était le projet parfait pour ça.
Guillaume
Comme disait Winston Einstein Gandhi : “La joie est un acte de résistance”
“Être drag aujourd’hui, c’est comme être dj au début des années 2000”, lance André entre deux spéculoos. Les deux lecteurices appartiennent à la nouvelle génération de drag. Celle qui, influencée par la télé, internet et ses réseaux mais aussi par des mouvements comme la culture Ballroom, se réinvente, en sortant aussi parfois du monde de la nuit, explore de nouvelles expressions créatives et revendique des messages politiques. “Le drag mainstream, c’est du spectaculaire grandiloquent avec de la musique pop et une incroyable mise en scène. Moi, je voulais apporter le côté pédagogique et littéraire et “Unique en son genre” était le projet parfait pour ça”, déclare Guillaume. De son côté, André confie qu’il aurait bien voulu, lui aussi, accéder à ce type de lecture étant plus jeune, pour “voir des gens bien dans leurs bottes qui lui montrent d’autres chemins possibles”.
Pour l’un comme pour l’autre, le drag demeure, avant toute chose, une pratique artistique. “Je ne fais pas du drag parce que je me sens mal dans ma peau mais parce que je trouve que la scène a besoin de créatures spectaculaires !”, recadre André avec une pointe de désinvolture. “Je suis un mec gay cisgenre qui fait du spectacle. Parfois, le drag permet à des personnes de faire leur transition. Ça a aussi cette utilité, de tenter un voyage, d’être bousculé·e et d’éclore à un moment. Perso, ça n’a pas changé mon identité”, affirme Guillaume. Pour lui, le drag est aussi une manière de “se réapproprier et de célébrer la féminité en dehors du prisme masculin hétérosexuel”, car, “comme disait Winston Einstein Gandhi, la joie est un acte de résistance”.
Après un passage cet été au Festival d’Avignon, Vakah Profana et Sandra Van de Kamp reprendront les lectures en septembre. Auprès notamment d’un nouveau public : les personnes âgées. Pourquoi iels ? “Dans l’imaginaire collectif, on les perçoit comme hétérosexuel·les et old school. Mais allons les voir, iels doivent avoir tellement d’expériences à partager !”, entonne Vakah. Sandra plaide quant à elle pour des drag shows dans les maisons de repos.
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