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Streaming et écologie : un cloud pas si léger

Auteurice de l’article :

Jil Theunissen

Évoluant entre droit, médias, culture et nouvelles technologies, Jil s’est récemment lancée dans la collection officielle de casquettes. À ses heures perdues et souvent pendant la nuit, elle rédige différents contenus allant de la chronique au texte de loi, et développe des projets un peu hybrides mixant les diverses disciplines mentionnées ci-dessus.

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De YouTube à Netflix, le streaming vidéo a révolutionné nos pratiques de consommation. L’offre est infinie, disponible instantanément ; les données sont dématérialisées, voyageant du cloud à nos écrans comme par magie. Illimité+virtuel : le combo parfait pour faire germer dans nos cerveaux l’idée selon laquelle une vidéo online n’aurait pas de valeur, et sa consommation peu d’impact. Mais le streaming est-il vraiment si vert ?

Selon une récente étude de l’Agence française pour la transition écologique (ademe) et de l’Autorité française de régulation des communications électroniques (arcep), le streaming vidéo captera bientôt 80% du trafic web mondial. Mais quel est l’impact environnemental d’un tel trafic ? Si beaucoup de recherches ont été réalisées sur le sujet, les méthodes de calcul diffèrent fortement d’un document à l’autre, produisant des données très disparates. Les quelques chiffres avancés donnent néanmoins le tournis:

Selon une étude de l’Université de Bristol, YouTube aurait émis, en un an, 11 millions de tonnes de CO2, soit plus que les émissions annuelles du Luxembourg. En 2019, le think thank français The Shift Project sortait son rapport “Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne“, déclarant que l’industrie de la vidéo en ligne émettait à elle seule 306 millions de tonnes de CO2 par an, près de l’équivalent des émissions de la France. Si certains chiffres de ce rapport ont été discutés, on peut avancer à la lumière des études disponibles qu’une heure de consommation sur Netflix émettrait, en fonction des méthodes utilisées, de 36 à 400 g d’émissions de CO2, soit l’équivalent d’un trajet de 200m à 2 km en voiture. Ce qui donne le vertige à l’échelle mondiale: en 2021, les dix séries les plus populaires sur Netflix avaient totalisé, en un mois, plus de 6 milliards d’heures de visionnage. L’université de Bristol a estimé que cette consommation équivalait aux émissions de 1,8 milliard de kilomètres parcourus en voiture. Le trajet pour aller de la Terre à… Saturne.

Les émissions liées au numérique représenteraient actuellement de 3 à 4% des émissions mondiales de CO2, et devraient monter à près de 6% en 2025. À titre de comparaison, la proportion des émissions de l’industrie automobile est estimée à 9%.

© Pixabay

Data centers : du charbon aux énergies vertes

Le vocabulaire était pourtant rassurant : nos séries sont virtuelles, stockées dans le cloud, ce petit nuage pur, léger et transparent. N’en déplaise aux rêveur·euses, les données ont besoin d’un support physique pour exister et pour circuler. Un support qui consomme, et qui pollue, surtout quand on sait qu’une partie des data centers, ces immenses usines à données disséminées partout sur la planète, fonctionnent encore au charbon. Selon l’ademe, les émissions des centres de données représenteraient 16% des émissions de CO2 du numérique. L’Agence internationale pour l’énergie les a estimées, avec celles des réseaux de transmission des données, à 300 millions de tonnes de CO2 par an.

Bonne nouvelle néanmoins : le développement des “hyperscales“, ces immenses groupements de data centers qui, en mutualisant leurs équipements et utilisant les dernières innovations en date, moins polluantes, réduisent drastiquement leurs émissions. Un développement qui pose d’autres soucis : s’ils sont proportionnellement plus verts, il reste que vu leur taille, ils consomment énormément, réquisitionnant parfois des parts importantes de l’énergie localement disponible. En Irlande par exemple, les centres de données ont consommé, en 2021, 14% de l’électricité du pays.

© Ananiti / Pixabay

Petit écran pour l’homme, grand désastre pour l’humanité

Si les estimations liées à l’impact du stockage et de la transmission des données diffèrent selon les études, les scientifiques s’accordent sur une chose : le principal de la pollution se trouve au niveau des supports sur lesquels on consomme nos vidéos. On estime à 70% de l’empreinte carbone du numérique la seule fabrication des terminaux.

Prenons l’exemple d’un smartphone. Un smartphone est constitué d’une quarantaine de matériaux différents. Parmi ceux-ci, on trouve ce que l’on appelle des terres rares qui, contrairement à ce que leur nom indique, sont disponibles partout, mais en très faible densité. Il faut donc extraire d’énormes quantités de matières pour y avoir accès (on estime qu’un smartphone nécessite entre 500 et 1000 fois son poids en matières premières pour être produit), et séparer ces terres rares des métaux auxquels elles sont associées dans la croûte terrestre, comme l’uranium ou le thorium, minerais… radioactifs. Les procédés de traitement et d’extraction sont toxiques et polluants, et impliquent une importante production de déchets, dévastateurs pour l’environnement et les habitant·es des régions concernées. Selon un rapport du Bureau de la protection environnementale de Baotou (Mongolie), où se situe le plus grand site de production de terres-rares chinois (Bayan Obo, fournissant près de la moitié de terres rares du globe et considéré comme un des lieux les plus pollués du monde), les échantillons de sol prélevés près des décharges présenteraient un niveau de thorium, radioactif, 36 fois plus élevé que la normale. Les déchets contaminent notamment le fleuve jaune, alimentant en eau 155 millions de personnes. Réjouissant. Pas étonnant que quasiment tous les pays du monde aient pris soin d’exporter ces procédés loin de chez eux (la Chine détient actuellement 90% de la production de terres rares au monde, en faisant au passage une véritable arme économique).

Outre la fabrication, la durée de vie de nos appareils pose évidemment question. La moyenne parisienne de conservation d’un smartphone est de 18 mois. Selon le chercheur Gauthier Roussilhe, interviewé par Arte fin 2022, elle devrait être de 10 ans. Vous vous imaginez regarder une série sur votre téléphone de… 2013 ? Le problème est là : on remplace, souvent non pas parce que c’est cassé, mais pour pouvoir suivre le rythme effréné des évolutions technologiques et la consommation toujours plus importante qu’elles permettent. À chaque innovation majeure (arrivée de la 3, 4, bientôt 5G), c’est tout le parc de téléphones qui devient obsolète et qu’il faut remplacer. Sachant qu’à ce stade, aucun recyclage, ou quasi, n’existe, cette course à la data sur des appareils toujours plus performants donne quelque peu mal au crâne.

© Wilfried Pohnke / Pixabay

Mais alors, on fait quoi ?

Comment adapter nos comportements pour diminuer l’impact de notre utilisation du numérique, sans pour autant jeter téléphone et télévision et disparaître à tout jamais dans un tourbillon d’éco-anxiété ?

Déjà, en étant conscient·es de notre impact. À ce sujet, l’ademe a mis en ligne un calculateur d’impact de l’usage du numérique. Toujours utile pour situer ses pratiques.

Ensuite, surtout, en tentant de conserver nos appareils plus longtemps. En en prenant soin, en les faisant réparer. En investissant dans des télévisions moins grandes aussi, ou en leur préférant l’utilisation d’un projecteur, dont la fabrication est beaucoup moins gourmande en matières premières. Bref, de manière générale, en tentant de résister aux injonctions du toujours plus grand, neuf et performant.

Concernant l’usage du streaming, il est recommandé de préférer le wifi aux réseaux mobiles, deux à trois fois plus énergivores. Dans le même esprit, on essayera de télécharger nos vidéos en amont, durant les heures creuses, plutôt que de les consommer en direct en déplacement. On veillera aussi à désactiver, quand c’est possible, la vidéo sur les contenus musicaux. Il est également conseillé de désactiver l’auto-play sur les vidéos, et d’adapter la résolution de l’image à l’équipement sur lequel on la visionne.

Il est évident que le changement ne doit pas venir uniquement des citoyen·nes. Les études présentent également des recommandations à destination des pouvoirs publics, appelant à réguler davantage tant les constructeurs (augmentation de la garantie, encadrement des mises à jour, etc) que les opérateurs télécom (régulation des offres de forfaits de données notamment). Enfin, notons que plusieurs plateformes de VOD semblent s’être engagées dans des démarches éco-responsables. Que ce soit par nécessité marketing ou par réel engagement, le résultat a le mérite d’exister !

Donc non, tout n’est pas perdu ! Pour aller plus loin, on vous conseille:

Cette série de documentaires (Arte) (en streaming, oui, l’être humain est paradoxal) ; cet article très technique mais très fouillé de Gauthier Roussilhe, chercheur spécialiste des enjeux environnementaux du numérique, et les ressources qu’il propose sur son site ; le podcast “Comment dresser son smartphone” (Arte radio) ; l’étude de l’Ademe et de l’Arcep ; celle de Carbon Trust ; le rapport de The Shift Project, les critiques à son propos et les réponses à ces critiques ; ou encore cette étude de Green IT sur l’empreinte environnementale du numérique mondial ainsi que les différentes ressources que le site met à disposition pour une utilisation responsable du numérique.

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