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Portrait 5 minutes de lecture

Rrrrrose Azerty, la révolution dans l’air

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Avec sa guitare électrique ou son clavier pour enfant, lae compositeurice de musique libre de droit Rrrrrose Azerty propose improvisations musicales, reprises de morceaux connus ou pas, avec une bonne dose de chaos. Entre ses performances scéniques et ludiques et derrière ses plus de 2.000 titres se dévoilent une certaine philosophie de la musique et un engagement révolutionnaire anarchiste.

Avant de débuter la lecture de ce portrait, on t’invite à te brancher sur les sons de Rrrrrose Azerty. Ouvre tes chakras, tes oreilles pourraient bien être surprises.

“Je ne me considère définitivement pas artiste”, lance Rrrrrose au début de notre entretien. Pour lae compositeurice française non-binaire, l’art est une manière de se sentir en vie à un instant T. Mais la musique n’est pas spécialement de l’ordre de l’art. “C’est un état de perception du temps qui permet de travailler un objet, en l’occurrence sonore ou numérique, grâce à de multiples outils. Je dis souvent que la musique, c’est de la sculpture du son dans un espace-temps.”

Rrrrrose défend que la chose artistique, qu’il s’agisse de tableaux ou de musique, est souvent fabriquée pour servir une esthétique et une utilité à un moment précis. Et l’art n’est pas art tant qu’il ne nous fait rien vivre. “Personnellement, je sais que des tableaux du Moyen Âge ou de la Renaissance ne provoquent rien en moi. Alors qu’un vieux tag sur un mur, une merde de pigeon sur un beau carrelage, ou un simple ensemble de couleurs peuvent parfois me sidérer.” Un émerveillement instantané qui lui fait donc perdre la notion du temps et coupe court au flux productiviste incessant.

La croyance de vivre de son propre art est une construction capitaliste, toxique et insoutenable à bien des égards dont seul·es quelques privilégié·es peuvent jouir.

Rrrrrose Azerty

Pourquoi se tourner vers la composition de musique libre de droit ? Certain·es la pensent communiste, mais Rrrrrose croit surtout que nous avons toustes besoin de ressources gratuites lorsque nous ne sommes pas en mesure de les créer par nous-mêmes. “Si vous pensez que je détruis le marché de la composition musicale, peut-être avez-vous raison !, balance lae trentenaire sur la foire aux questions de son site internet. Je pense que la croyance de vivre de son propre art est une construction capitaliste, toxique et insoutenable à bien des égards dont seul·es quelques privilégié·es peuvent jouir.” Et puis iel l’avoue, le marketing n’ayant jamais été son truc : “sans être libre de droit, personne n’écouterait ma musique. Au fil des années, j’ai quand même rencontré des dizaines de personnes intéressées par mes compositions. Des gens qui me contactent aujourd’hui pour me remercier, voire pour me soutenir en me donnant de l’argent parce qu’iels ont utilisé ma musique dans leur projet étudiant. Ça a même mené à des contrats pour des films ou dans le domaine du jeu vidéo où je suis également active en tant que créateurice. Des contrats avec parfois plusieurs zéro.”

Creative commons license spectrum

Acoustique, rock, hardcore, shoegaze, lo-fi (abréviation de low-fidelity, un style moins calibré que les grosses productions pop à base de mélodies jazzy et d’une rythmique hip-hop), Rrrrrose compose sous la licence Creative Commons Zero (CC0). La plus libérale de toutes qui n’implique aucune restriction. Il suffit de jeter un œil au schéma récapitulatif pour en comprendre les conditions. Cette licence CC0 permet en effet aux créateurices de renoncer à leurs droits sur une œuvre, la plaçant ainsi dans le domaine public. Lorsqu’une œuvre est publiée sous CC0, lae créateurice déclare renoncer à tous ses droits sur l’œuvre dans le monde entier. N’importe qui peut donc utiliser, modifier, distribuer et adapter l’œuvre sans avoir besoin de demander l’autorisation ou de fournir d’attribution à l’auteurice de l’œuvre qui peut aussi être utilisée à des fins commerciales. Rrrrrose Azerty va même jusqu’à encourager les utilisateurices à modifier ses compositions : “Piratez-les, détruisez-les, rendez-les plus belles, comme vous le voulez. Évidemment, c’est toujours agréable d’être créditée, mais ce n’est pas ça qui m’anime”.

Élevée par un père anarcho-syndicaliste, lae compositeurice remarque que dans le monde de la musique, peu de réflexions portent sur le potentiel révolutionnaire de la pratique musicale. Mais iel tient à faire de ses créations des œuvres engagées, militantes, en favorisant une approche collective. D’où son orientation vers la musique libre de droit et des compositions qu’iel envisage hors du cadre capitaliste et des aliénations du quotidien. L’engagement de Rrrrrose est par ailleurs fortement inspiré par l’apport du mouvement artistique Fluxus dont faisaient partie des compositeurices comme John Cage, admirateur d’un certain Erik Satie. Bien qu’antérieur à l’apparition de la mouvance Fluxus, Satie se battait également contre les conventions artistiques traditionnelles. Une caractéristique au cœur du mouvement. De la musique à la poésie, en passant par l’art conceptuel, Fluxus cherchait avant toute chose à abolir les frontières entre art et vie quotidienne, remettant en question les notions d’œuvre et d’auteur, encourageant la participation active du public.

La musique n’a besoin que d’un déclencheur temporel, pas
d’un·e artiste musicien·ne.

Rrrrrose Azerty

Un disciple de Fluxus retient particulièrement l’attention de Rrrrrose : La Monte Young. Un compositeur américain de musique contemporaine et minimaliste. “La Monte Young a imaginé des pièces musicales à suivre comme des recettes qui devenaient des performances, des happenings presque. Dans “Compositions 1960“, Young propose de se rendre dans une gare, de trouver un bottin téléphonique (on est en 1960), de sélectionner un numéro de téléphone au hasard et de composer une mélodie en utilisant les fréquences correspondant aux chiffres du numéro choisi. Quand on y pense, entre l’approche musicale de Satie, de Cage et de Young, la chose en commun, c’est bien le temps. La musique n’a besoin que d’un déclencheur temporel, pas d’un·e artiste musicien·ne.”

J’aime bien l’idée du ridicule,
de la performance foireuse,
des choses un peu à côté.

Rrrrrose Azerty

Si nous vous proposons le portrait de Rrrrrose Azerty, c’est aussi car iel sera de la partie dans le cadre de la prochaine exposition “Under Construction” qui ouvre ses portes ce 1er juillet au Pavillon du KIKK, à Namur. Rrrrrose y donnera un concert-performance le samedi 22 juillet. Lae compositeurice vient à peine de sortir la tête des concerts de fin d’année, assemblées générales et autres bilans comptables de l’école de musique dans laquelle iel travaille, à Paris, et se penche actuellement sur le set qu’iel proposera. Comme pour chacune de ses compositions, Rrrrrose explique que tout partira d’une idée. “La plupart du temps, l’inspiration me vient de l’envie de reproduire un morceau que j’ai adoré ou le timbre d’un instrument que j’ai envie d’investiguer. Je rassemble autour de moi tous mes outils, mes guitares, mes boites à rythmes, mon ukulélé, mon synthétiseur pour enfant, mes logiciels informatiques aussi, et je me mets à composer ou à improviser.”

Rrrrrose Azerty reste toujours très didactique et souhaite que sa philosophie de la musique soit accessible. Pour ce faire, iel donne également des ateliers de jeux musicaux où tout le monde est lae bienvenu·e, qu’on joue d’un instrument ou pas. Le but : décider des règles du jeu ensemble pour faire émerger des performances musicales ou sonores improvisées. “Ça donne lieu à de nombreux moments de flottement très gênants, mais aussi à beaucoup d’amusement. C’est vrai que c’est compliqué d’improviser, même si vous ne faites rien, votre présence altère déjà le comportement des autres. Dans mes performances, il y a de ça aussi. J’aime bien l’idée du ridicule, de la performance foireuse, des choses un peu à côté.”

Ce contenu vous est proposé dans le cadre de Propulsion by KIKK, un projet de sensibilisation au numérique pour et par les femmes.

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