1
Article 4 minutes de lecture

OKUS LAB : mouvement, illusion & hyper esthétisme

Auteurice de l’article :

Adrien Cornelissen

Through his experience, Adrien Cornelissen has developed an expertise in issues relating to innovation and digital creation. He has worked with a dozen French magazines, including Fisheye Immersive, XRMust, Usbek & Rica, Nectart and Revue AS. He coordinates HACNUMedia, which explores the changes brought about by technology in contemporary creation. Adrien Cornelissen teaches at higher education establishments and in the creative sector.

en savoir plus

Dans le paysage de la création belge, Manu Di Martino – fondateur d’OKUS Lab – fait figure d’OVNI. Celui qui préfère le terme “créatif” à celui d’artiste, invente depuis plus de dix ans des méthodologies de recherche autour du mouvement. Reconnaissables par leur style hyper esthétique et leurs couleurs saturées, ses chorégraphies intègrent des dispositifs numériques (photos, vidéos ou VR) volontairement dépouillés de tout superflu technologique. Présentation…

Il y a des rencontres qui changent une vie. En 2000, le Liégeois Manu Di Martino commence sa carrière de chercheur en génétique et biochimie à l’université de Liège quand il découvre la danse. “A ce moment-là, je me rends compte que l’art existe. C’est une révolution, mon esprit vacille : je découvre les danses hip-hop, le ballet, la vidéo, la photographie, l’art contemporain…” explique t-il. Un monde artistique qu’il ne quittera plus “Face au miroir, la combinaison de mouvement et leur symbiose m’ont profondément touché. Avec mon corps, j’ai compris que je pouvais créer un enchaînement de gestes. Cet amour de la composition m’a poussé à me consacrer uniquement à cette aventure.” En 2004, il crée donc OKUS Lab – contraction de “OKUlar Synergie” dévoilant à demi-mot la philosophie du projet : “J’aime les créations qui flattent l’œil et qui sont intrigantes. Elles permettent d’accéder à des états modifiés de conscience. Avec OKUS Lab j’essaie d’explorer ces possibilités à travers le mouvement et l’hyper esthétisme.” poursuit le danseur. Pourtant, à aucun moment OKUS Lab ne se positionne comme une compagnie de danse. Mieux vaut le considérer comme une structure imaginant des méthodologies qui permettent de concevoir une multitude d’expériences créatives.

Les méthodes OKUS Lab

“On a souvent voulu savoir ce que je créais, ce que j’allais faire. Pour moi, ce qui compte c’est la recherche. Donnez-moi une carte blanche, on verra ce qui en ressortira.” s’amuse Manu Di Martino. OKUS Fokus (formalisé en 2019) est une des méthodes permettant à des danseur·euses d’exulter et d’exprimer une narration personnelle. “A partir d’exercices, j’essaye de mettre les danseur·euses autant dans le confort que l’inconfort. Je jongle avec ces aspects psychologiques pour faire sortir ce qu’ils ont en eux”. Manu Di Martino démarre également sa recherche à partir d’éléments simples. Avec OKUS Papyrus (à partir de 2011), il exploite le support de la feuille A4. En les compilant, il forme un nuage de papiers sur lequel sont projetées des vidéos.

© OKUS Lab

Avec OKUS Corpus Luminis (2011), il travaille spécifiquement à la décomposition poétique du corps et du mouvement par des jeux d’ombres et de lumière créés par des lampes de poche. OKUS Luminis (2011), une autre formule, se concentre sur la captation de ces mouvements lumineux à travers la technique du light painting. Les mouvements des lumières sont photographiés via une longue pose permettant de visualiser leur trace et la signature du danseur·euse. La vidéo est au centre d’une autre méthodologie, OKUS Fantasma (à partir de 2004). Elle permet de filmer les gestes du danseur·euse avant de les styliser de sorte à obtenir une sorte de double virtuel, une démultiplication du mouvement. Le mouvement est décomposé, retouché en vidéo, transmis aux différents vidéoprojecteurs, pour être incorporé dans l’œuvre finale. Ce résultat est synchronisé avec la performance chorégraphique et donne un effet de sublimation de la réalité.

Illusionniste du numérique

Bien qu’au premier coup d’œil, ces créations semblent à la pointe de la technologie, il est intéressant de noter que Manu Di Martino s’appuie sur des dispositifs relativement simples et astucieux. Quitte à devoir assumer une posture d’illusionniste. “Le public pense que mes créations sont interactives. Qu’elles intègrent des capteurs et d’autres technologies. En réalité, je réalise simplement des vidéos que je projette. La suite ? Je connais la chorégraphie par cœur. En fait je donne l’illusion de… Je m’amuse un peu de ce surplus technologique.” En réalité, Manu Di Martino manipule la technologie mapping de manière très simplifiée : sur son banc de montage, il ajoute des effets de spirographes ou de duplications à une première vidéo qu’il projette ensuite dans ses éléments scénographiques. Artefacts, accidents optiques, light painting et réflexions sur des surfaces réfléchissantes, tout est fait pour émerveiller les spectateur·rices. De la même manière, deux vidéoprojecteurs disposés à la perpendiculaire peuvent créer une illusion d’effet de vidéo 3D. “Ce n’est pas de la vraie 3D, mais c’est exactement ce côté tricky que j’aime”. Ce peu de technologies permet au danseur·euse de contrôler tous les éléments techniques de ses performances : “Une fois sur scène, je fais tout, j’ai besoin de cette simplicité technique. Je me sens obligé de maîtriser tous les éléments de la composition. Et puis en connaissant la structure musicale et visuelle, le reste du temps je suis libre d’improviser. ”

Un projet VR en développement

OKUS Focus Immersive (2023), son dernier projet en cours de développement, intègre de la VR. Une entorse à la règle du dépouillement technologique ? Pas si sûr : “En 2022, j’ai commencé une formation sur Blender. Mais finalement j’utilise très peu de fonctionnalités. Ma spécialité, c’est l’animation chorégraphique et la spatialisation de la lumière.” Manu Di Martino intègre dans le logiciel 3D des fichiers contenant l’enregistrement en motion capture de ces mouvements. A partir de là, toutes les combinaisons deviennent possibles. “Je me suis demandé pourquoi ne pas mettre 4 bras à un·e danseur·euse. Comment fusionner deux danseur·euses ? C’est peut être un clin d’œil à mon ancien métier de généticien. C’est une pensée fantasmagorique qui m’amuse. J’ai voulu créer un danseur hybride, mélangeant des mouvements de danseur·euses de ballet avec des breakdancers. Il n’y a que le numérique qui permet ça.”

Cette prochaine expérience a déjà suscité l’intérêt de la biennale de Venise (Venice Immersive 2023) et pourrait y être présentée en 2024-2025. Et à la question de savoir si la VR est une voie qu’empruntera le danseur dans les prochaines années, la réponse est sans ambiguïté : “La VR et l’immersif ne sont pas des voies uniques. J’aime le mouvement, l’idée de le décupler, de l’exacerber. Je m’amuserai très certainement à projeter ces chorégraphies VR sur scène et de faire danser en réel des danseur·euses. Ou bien je partirai sur d’autres projets encore inconnus.”

Appel à projet

Une histoire, des projets ou une idée à partager ?

Proposez votre contenu sur kingkong.

Partager cet article sur

à découvrir aussi