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Portrait 5 minutes de lecture

Marion Demeulenaere, l’illustratrice qui collectionne les souvenirs 

Auteurice de l’article :

Diane Theunissen

With a Master's degree in Arts and Lifestyle Journalism from the London College of Communication (UAL), Diane has been working in the cultural sector for several years. A big fan of indie rock and particularly sensitive to equality issues, she is a journalist, radio commentator, festival programmer and musician in her spare time, and writes her lunar thoughts almost every day in A6 notebooks, neither lined nor squa

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Passionnée d’affiches et de design graphique, Marion Demeulenaere joue avec les mots, les textures et les couleurs pour cristalliser les souvenirs, aussi futiles soient-ils.

“Je suis illustratrice, mais je ne sais pas dessiner,” me glisse Marion Demeulenaere, l’air mi-blasé mi-rieur, confortablement installée dans son canapé. Basée à Bruxelles depuis bientôt 15 ans, elle a quitté sa France natale sur un coup de tête fin de l’été 2008 pour se lancer dans des études de Communication Graphique à La Cambre. “C’était un coup de chance. Je travaillais comme photographe de plage à Lacanau Océan, et j’ai une pote qui m’a appelée en me disant qu’elle allait passer le concours pour intégrer La Cambre en comm graphique, se remémore-t-elle. Je lui ai dit “Je vais venir avec toi”. J’ai pris le train la veille du concours depuis Lacanau et je suis arrivée toute bronzée, en bermuda et les cheveux longs.” Après une première année désastreuse, Marion décide de changer de direction et passe en Typographie, cursus qu’elle suivra pendant cinq ans. “Les cours théoriques sont hyper développés et t’ouvrent l’esprit sur toute la culture artistique, mais t’offrent aussi une culture générale très vaste”, ajoute l’artiste. Une culture qui se retrouve dans chacun de ses travaux : entre identité locale, bouffe et belgitude, ses illustrations sont truffées de métaphores douces-amères et douces tout court. Un délice de nostalgie qui réchauffe les cœurs et fait briller les yeux.

Bruxelles, terre de rencontres 

“J’ai grandi dans un village au Nord de la France, à deux pas de la frontière belge. Mon grand-père était professeur de français et adorait dessiner. Quand j’allais chez mes grands-parents, je dessinais avec lui. On faisait des jeux, aussi : je devais épeler “gyrophare”, par exemple”, nous raconte Marion. Il est 15h et nous sommes assises dans le salon de l’Atelier Ton Piquant, bicoque d’artistes perchée au troisième étage du 10 rue de la Tulipe, en plein cœur d’Ixelles. Un lieu unique déniché par Marion et ses potes au sortir des études, dans l’espoir d’y fonder un studio de graphisme. “Dès notre premier contrat, ça a pété. Du coup, c’est finalement devenu un espace de coworking”, explique l’artiste. Après quelques histoires hautes en couleur, Marion s’est finalement retrouvée seule à gérer l’atelier. De fil en aiguille, elle a été rejointe par deux autres illustratrices, Nina et Camille. “Ensuite, le COVID a ramené d’autres gens. Ça s’est succédé, comme des bonnes petites étoiles. Ça sonnait juste.” Aujourd’hui, le collectif compte sept illustratrices, dont les œuvres trônent dans l’atelier, entre les tables sur tréteaux, les presses, les encres, les bleus de travail et autres pots de peintures. “On est devenu un collectif, par la force des choses”, déclare-t-elle. Un collectif de meufs bien implantées dans le secteur de l’illustration bruxellois, un domaine qui voit de plus en plus de femmes prendre leur place et imposer leur style. “Il y a de plus en plus d’illustratrices, et il y en avait déjà beaucoup. Et toutes ces meufs font des choses très différentes, leur travail n’est pas que gentillet, enfantin. Il y a souvent des messages cachés, ajoute Marion. Plus ça avance, plus on voit de meufs qui utilisent l’illustration pour pouvoir communiquer sur le féminisme.”

Passion Belgique, bouffe et jeux de mots

Entre sérigraphie, risographie, peinture, travail digital et impression textile, Marion collectionne les techniques et les formats. “Je fais exactement ce que j’ai envie de faire. Dès que je peux faire quelque chose avec mon style, je le fais, nous glisse-t-elle en allant chercher un avion en papier sublime, conçu en exclusivité pour un projet de fanzine. J’ai des copains à Lille qui ont demandé à plusieurs artistes de faire un avion en papier, sur un thème au choix. J’ai choisi de faire un pliage sur le thème du cirque. À chaque fois que tu as un pli, tu as un personnage différent qui apparaît. C’est rigolo. Dès qu’il y a un truc qui peut me faire marrer, je le fais”, ajoute l’artiste. Entre l’acrobate, l’éléphant, la voyante, le dompteur, le tigre et le présentateur moustachu, c’est vrai qu’il y a de quoi bien se fendre la poire.

L’humour est d’ailleurs l’un des éléments phares du travail de Marion Demeulenaere : jeux de mots, métaphores, blagues et charades, tout y passe, et c’est tant mieux. “L’humour, ça permet de dialoguer. Quand j’étais petite, mon père faisait des charades et il essayait de les compliquer à fond, pour qu’on puisse avoir des blagues. Je faisais beaucoup de puzzles aussi, à la maison. Le puzzle des mots, c’est encore plus rigolo (…) Malgré mon côté français, j’ai réussi à avoir l’humour belge, c’est-à-dire de ne jamais faire quelque chose d’agressif, ou qui puisse heurter quelqu’un. C’est fun, tout le monde s’y retrouve”, explique-t-elle en pointant du doigt l’un de ses travaux, malicieusement intitulé l’amour de la moule. “Ce qui m’a vraiment fait rigoler c’est qu’il y avait des parents qui se marraient trop, et des enfants qui trouvaient ça génial parce qu’ils adoraient le look de la petite moule, explique l’artiste. Les jeux de mots, ça permet aussi de rapprocher les gens, de faire rigoler, et d’en discuter. Et quand t’as les enfants et les parents qui rigolent, ça rend le truc hyper familial, hyper chouette.”

Patrimoine, identité et petits détails à croquer 

Bruxelloise d’adoption, Marion Demeulenaere se sent aujourd’hui plus belge que jamais. Un attachement culturel qu’elle ne se prive pas de mettre en avant dans ses créations, par le biais de clins d’œils au patrimoine historique et culinaire belge : entre le fidèle paquet de frite, le poulycroc et la fameuse croquette de crevette, il y en a vraiment pour tous les goûts. “Je n’ai encore rien fait sur le waterzooi, mais il est sur ma liste”, dit-elle en se marrant. Dans le même style, on retrouve son travail Lambic et belle dentelle, mettant en scène une vieille dame qui boit une gueuze en mangeant du saucisson. “Quand j’étais petite et qu’on allait en Belgique, il y avait la tartine de fromage blanc et radis, le morceau de fromage avec le sel de céleri, etc. Il n’y a qu’en Belgique que tu vois ça, s’exclame Marion. Ou alors l’ice tea pétillant ! En France, si tu commandes un ice tea, tu te retrouves avec un ice-tea pêche. Tu vois, ce ne sont que des petites choses, des souvenirs d’enfance.” Les souvenirs fantasques, les récits de mémoire et les traditions loufoques qui perdurent, c’est tout ce que veut montrer Marion. “Mon amie Gaby, qui elle est belgo-belge, m’expliquait le truc des fleurs en papier crépon à la plage, que les enfants s’échangent contre des petits coquillages. C’est génial ! C’est que sur ce genre de choses-là que je travaille, sur la collection des petits souvenirs.”

“Je pense que c’est très important de se souvenir d’où on vient et de ce qu’on a vécu. Dans mon travail, il y a un côté très nostalgique. C’est pas pour rien que je fais du vintage”, conclut l’artiste. Une chose est sûre, pour une illustratrice qui ne sait pas dessiner, elle s’en sort plutôt bien. 

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