1
Article 3 minutes de lecture

Marche ou rêve

Auteurice de l’article :

Michi-Hiro Tamaï

en savoir plus

Des paysages psychédéliques de Proteus aux idées philosophiques d’Everything, les Walking Simulators hissent le territoire au rang d’acteur principal. Ou comment le jeu vidéo prend l’air et sort de sa zone de confort.

Oublier le bruit et la fureur. Se noyer dans le spleen d’un coucher de soleil californien sur Grand Theft Auto V. S’attarder sur les motifs floraux médiévaux de cahutes polonaises sur Witcher 3. Parfois, le gamer délaisse les missions pétaradantes de ces mondes ouverts (également baptisé open world, leur topographie tente de simuler la vie d’une ville voire d’une région entière dans ses moindres détails (passant, circulation, etc.) Sans temps de chargement, ils autorisent une exploration non linéaire de leurs territoires) au budget hollywoodien. On pose son épée, on range le shotgun. Activités triviales sur des blockbusters comme Fallout 4 ou Horizon : Zero Dawn, la contemplation et la marche contaminent le cœur des joueurs ces dernières années. Si bien qu’il a donné naissance à un nouveau genre ludique : les Walking Simulators.

Au chômage, les boss de fin de niveau. Effacée, la barre de vie. Et si le territoire qu’explore le joueur devenait le protagoniste principal ? Nominé à l’Independant Games Festival de San Francisco il y a quelques années, Dear Esther posait cette simple question. Pas de saut ni de courses. Le jeu vu à la première personne limite les interactions spatiales et gestuelles des First Person Shooter (FPS). Le tout pour enluminer la topographie hantée d’une île écossaise sans vie. Mère des Walking Simulators, cette production de The Chinese Room ne fascine pas qu’une niche d’enthousiastes puisqu’elle s’est vendue à 750.000 copies.

Dear Esther © The Chinese Room
Dear Esther © The Chinese Room

Parfois décrits comme des empathy games ou des alt games, les Simulateurs de Marche abandonnent souvent le gamer face à lui-même. D’aucuns évoquent d’ailleurs un gameplay proche de la robinsonnade, genre littéraire et cinématographique né du Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Membre de club, Proteus (2013) enferme ainsi le joueur sur une île générée de façon procédurale, pour dessiner aléatoirement un écosystème différent à chaque partie. Ce jardin extraordinaire vu à la première personne lâche toute narration. Place à des interactions sonores avec des plantes et des animaux. Gorgée de paysages psychédéliques, la création d’Ed Key et David Kavana suscite un dialogue permanent entre l’île et son explorateur. À force de time-lapse émouvant où les arbres dansent, on y modifie la nature en place, et inversement.

Balade vers le Big Bang

Depuis plus de dix ans, le jeu vidéo vit une mutation créative sans précédent. Le médium s’engage socialement (Dys4ia, Cart Life, etc.) et politiquement (This War of Mine, North, etc.). Si la menace du chrono anime encore de nombreux blockbusters, les Walking Simulators louent la lenteur. Slow Food et Slow Gaming, même combat ? Brin d’herbe, zèbre, arbre, continent, galaxie, bactérie… Everything propose en tout cas de diriger tous les êtres vivants et les objets de ses mondes en poupées russes. Obsédé par notre place dans le cosmos, Alan Watts, penseur clef de la contre-culture des années 50 et 60, habite cet open world à force de témoignages audio. Le jeu de David OReilly (derrière l’animation du Her de Spike Jonze) rayonne d’une portée universelle. Si bien que son trailer a été nominé aux Oscars.

Everything © David OReilly

Les explorations expérimentales des territoires de Proteus et Everything ont élargi la définition du jeu vidéo. Mais une foule de Walking Simulators s’inspire de l’âge d’or des point-and-click (doués d’une narration élaborée et de protagonistes mémorables, ces jeux d’aventure en 2D populaires dans les années 80 ont progressivement disparu suite à l’avènement de la 3D) pour mener une enquête plus classique, à la recherche d’objets et de témoignages. The Vanishing of Ethan Carter (2014) caste ainsi un écrivain pistant un de ses fans au milieu de plateaux alpins et de lacs de haute montagne. Brossant des cartes postales que Stephen King aurait pu composer, le FPS déchire parfois son paysage et laisse apparaître des bribes d’un autre espace-temps. Également vu à la première personne, Firewatch (2016) se dévore, de son côté, comme une nouvelle interactive à l’écriture ciselée. L’isolement volontaire d’un garde forestier qui vient de perdre son épouse s’y noie dans des teintes jaune, orange, rose et ocre. Difficile d’en revenir indemne. Lâcher prise avec l’idée de score et performance ? Un bienfait rare dans le monde du jeu vidéo.

Appel à projet

Une histoire, des projets ou une idée à partager ?

Proposez votre contenu sur kingkong.

Partager cet article sur

à découvrir aussi