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Portrait 4 minutes de lecture

Guillaume Slizewicz : design éthique en circuit court

Auteurice de l’article :

Elsa Ferreira

Journaliste depuis une dizaine d'années, Elsa est spécialisée en technologie et culture. Adepte des contre-cultures, elle observe et décrypte l'impact des technologies sur la société. Elle collabore régulièrement à des magazines tels que Makery, Pour l’Éco ou L'ADN.

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Designer engagé, techno-critique nuancé, Guillaume Slizewicz interroge la concentration des pouvoirs de l’industrie de la technologie. Pour un numérique plus éthique, il imagine un design local et une poésie algorithmique. Rencontre.

Juin 2021. Dès leur arrivée au Pavillon de Namur, les visiteurs sont suivis à la trace. D’étranges créatures à roulettes, tantôt viking coiffé de cornes, tantôt vaisseau paré d’un pagne, les repèrent et les pistent. Dans son exposition Accept All, présentée l’année dernière, Guillaume Slizewicz, designer français basé à Bruxelles, donne corps aux cookies qui nous suivent partout sur Internet. Et si c’était dans la vraie vie ? Les cookies physiques de Guillaume Slizewicz sont aussi mignons que les cookies virtuels sont pratiques ; difficile alors de résister. “En leur donnant un côté mignon, on joue avec ce qu’on appelle les dark patterns : une façon dont les entreprises utilisent les biais cognitifs des êtres humains”, explique-t-il.

Loin d’être un coup bas, c’est la base du métier de designer et de l’approche d’artiste, défend-il. “On travaille avec la psychologie des gens, on cherche à savoir comment va être reçu notre travail, quelle réaction nous allons créer dans notre audience.” Trop d’attendrissement ne risque-t-il pas de rendre sympathiques ces technologies de surveillance, plutôt que de sensibiliser le public ? “C’est une vraie question : est-ce qu’en utilisant des technologies, on fait leur promotion ?”, s’interroge-t-il sans répondre.

C’est une vraie question :
est-ce qu’en utilisant des technologies,
on fait leur promotion ?

Guillaume Slizewicz

Des questions, Guillaume Slizewicz s’en pose beaucoup : l’art génératif par IA, les droits d’auteur des algorithmes, l’impact écologique du numérique, le Web3 et la confiance… en une heure de discussion, Guillaume s’interroge et disserte sur les enjeux contemporains posés par les nouvelles technologies, ouvre des problématiques sans en donner des réponses définitives – les débats sont complexes et méritent de la nuance. C’est dans la profondeur de ces réflexions que naissent ses projets. Accessibles – c’est après tout le rôle du designer -, mais aux différents degrés de lecture, pour qui voudra bien décrypter les couches successives de ses propos. “J’aime créer des œuvres qui permettent des discussions, avance-t-il. On peut voir Accept All comme des robots mignons, ou bien comme une œuvre critique de la technologie, mais on peut aussi parler de l’utilisation d’algorithmes locaux qui n’utilisent pas de serveurs de grandes compagnies.”

Pour fabriquer ses robots, Guillaume Slizewicz s’appuie en effet sur une technologie open source développée par Google – un hardware utilisant le edge computing, technique qui permet d’embarquer toute la puissance de calcul à bord des robots sans passer par des serveurs. Habituellement utilisée dans des environnements commerciaux et industriels (rayonnage, comptage…), la voici devenue vecteur d’art.

Revendiquer l’inefficacité

Détourner les technologies pour proposer de nouvelles esthétiques, voici la mission de ce designer engagé. “Le code est souvent représenté d’une façon neutre, mais il peut avoir une poésie”, défend-t-il. Avec le collectif AlgoLit, il invente et défriche une littérature algorithmique. “On travaille à rebours de ce qui est en train de se passer dans les grandes compagnies, présente-t-il. On utilise des small data, donc de petits jeux de données, et des algorithmes explicables, pour sortir de la boîte noire des réseaux neuronaux.” Par exemple, AlgoLit a développé un algorithme qui, à chaque étape, décrit explicitement son processus. Un modus operandi laborieux, mais qui permet de comprendre et se réapproprier les techniques. Une ôde à l’inefficacité, rare dans ce milieu. “Seul l’art peut faire en plusieurs heures ce qu’on pourrait faire en quelques secondes”, se félicite Slizewicz.

Le designer réhabilite aussi d’anciennes techniques devenues quasi-obsolètes, comme celle de la forêt aléatoire, un algorithme de classification dépassé par les plus puissants réseaux neuronaux. Selon cette méthode, plusieurs arbres de classification sont entraînés sur des ensembles de données légèrement différents. On pose ensuite une question – par exemple, est-ce un chat ou un chien ? – et chaque algorithme, correspondant à chaque arbre, vote. Comme en démocratie, la majorité l’emporte. “Il y a quelque chose de poétique et de politique dans ce fonctionnement”, estime-t-il. Poésie toujours, lorsqu’il met en rimes les mots clés les plus fréquemment retrouvés dans e-traces, une base de données d’articles autour de la surveillance, mise au point par l’artiste belge Michel Cleempoel.

“Rassurant ?

C’est facile, il suffit de faire bonne figure.

Les données biométriques, enjeu du futur ?

Jusqu’à quand ?”,

lit ce poème sur la reconnaissance faciale, où chaque ligne renvoie à une source d’information.

Pour une technologie sobre et locale

Au fil des œuvres se dessine une alternative à une industrie verrouillée et formatée. Une résistance à ce que Guillaume Slizewicz nomme “l’oligopolie américaine” des GAFAM. Pour combattre cette concentration du pouvoir, le designer préconise le retour au local. “Renforcer les communautés plutôt que leur enlever du pouvoir”, plaide-t-il. L’enjeu est au cœur de sa pratique. Ainsi, il a participé au collectif Urban Species, un projet de recherche sur la participation des citoyens autour de sujets complexes comme la 5G, le spectre électromagnétique, les élections, la politique, etc. Pour sortir des habituels formulaires, le groupe propose des installations dans l’espace public, pour déclencher les conversations.

Reprendre le contrôle, s’affranchir des grandes entreprises, créer ses propres outils – à commencer par lui-même. À Bruxelles, le collectif Open Source Publishing (OSP) s’interroge sur les logiciels de graphisme. “Il y a une dizaine d’années, on achetait les logiciels et on possédait donc nos outils de production. Il y a eu un retour de bâton capitalistique, et désormais on doit les louer, explique-t-il. Il y a quelque chose d’assez marxiste à se réapproprier son outil de production, c’est à la fois désuet et très actuel. On se rend compte que l’outil que l’on utilise a un impact énorme sur les œuvres qu’on produit. On ne fait pas les mêmes œuvres avec un outil open source qu’avec Adobe, par exemple.” Il précise tout de même qu’il n’est “pas un apôtre de l’open-source” et de son armée de bénévoles qui maintiennent les outils.

À la recherche d’une technique plus responsable voire durable, Guillaume Slizewicz ouvre un nouveau cycle, inspiré du design éthique du collectif BAM, des recherches du chercheur spécialisé sur les enjeux environnementaux de la numérisation Gauthier Roussilhe ou encore du mouvement de l’informatique de l’effondrement. “Comment faire des systèmes légers et frugaux ? On peut par exemple avoir un réseau local, au niveau d’un quartier, avec très peu de cookies et de technologies de surveillance, qui ont un impact énorme.” Un design éthique et en circuit court, à contre-courant dans un monde noyé sous les données.

Guillaume Slizewicz dans son studio © Sam Gilbert
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