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Giulia Vismara, l’électroacoustique comme espace son

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Genre musical inclassable, l’électroacoustique émerge dans les années 1950. Les tentatives de définition, tantôt trop génériques, tantôt trop nettes, ont suscité de vifs débats chez les universitaires et les praticien·nes. Pourtant, sans lui, nos films et nos pièces de théâtre n’auraient pas la même gueule. C’est ce que s’attache à défendre la compositrice et chercheuse Giulia Vismara à travers son travail artistique qui explore le son en tant qu’espace.

(Pour rendre la lecture immersive, nous vous invitons à brancher votre casque et à tendre l’oreille sur « Speaking Spaces 2: Surfaces from Graz » de Natasha Barrett, compositrice de musique électroacoustique britannique.)

Quand on pense musique classique, on mentionne Mozart, Chopin ou Bach. En pop, on entend directement les airs des Beatles. Mais en électroacoustique ? La colle. Selon Bernard Fort, compositeur et professeur de composition à l’École Nationale de Musique Villeurbanne qui vulgarise très bien le genre, l’électroacoustique – aussi dite musique concrète ou expérimentale – est « une musique qui débute un micro à la main et qui se termine en écoutant un haut-parleur ». Brièvement, enregistrement de sons, assemblage et composition sur ordinateur, pour parvenir à une production qu’on appelle « électroacoustique » car il ne s’agit pas de musique instrumentale.

Voix travaillées, bruits de synthèse, sons d’objets domestiques… Beaucoup de compositions électroacoustiques utilisent des sons inaccessibles à l’orchestre traditionnel. Et bien que le commun des mortel·les ne s’arrache pas des albums d’électroacoustique, on ne pourrait pourtant plus vivre sans. Spectacles vivants, 7ème art, films d’animation, un tas d’expressions artistiques nécessitent l’utilisation de musique électroacoustique. « Si elle reste niche et peu connue, c’est entre autres parce que l’électroacoustique est très jeune historiquement ! », lance Giulia Vismara. En effet, ce genre musical n’a qu’une bonne soixantaine d’années. Soit presque rien en comparaison à l’opéra ou même au jazz. « Il est aussi intimement lié au développement de technologies récentes : le micro, le haut-parleur, et entre les deux, l’ordinateur, poursuit-elle. La tech est la véritable source d’écriture de l’électroacoustique. »


Aux origines de l’électroacoustique, un Français

Dans l’après-guerre, l’ingénieur acoustique et homme de radio français Pierre Schaeffer « invente » accidentellement cette nouvelle technique de composition. L’idée lui vient alors qu’il écoute de manière obstinée le même fragment d’un 78 tours rayé. Il réalise que l’audition en boucle de ce morceau de réel, extrait de son contexte, provoque un effet sans commune mesure. Plus intéressé par la démarche que par la création d’un nouveau genre, Schaeffer se met à la recherche d’autres sons bruts et finit par composer sa première œuvre « Études de bruits » en 1948. S’en suivent la suite « Bidule en ut », et en 1950, en collaboration avec Pierre Henry (autre grand compositeur du genre), « Symphonie pour un homme seul ». Cette symphonie sera plus tard adaptée en ballet par Maurice Béjart et s’écoutera même en concert sur des orchestres de haut-parleurs appelés « acousmonium ». À l’époque, on parle de musique concrète, mais cette dernière est indissociable des progrès technologiques et évolue en parallèle à la musique électronique. Au milieu des années 50, le tandem de genres s’unit plus formellement et celleux qui s’y intéressent utiliseront plus largement l’appellation d’électroacoustique.


Architecte du son

Originaire de Venise et postée entre la Belgique et la Botte, Giulia Vismara est titulaire d’un doctorat en design sonore de l’Université vénitienne IUAV. Ses recherches et ses œuvres oscillent de la musique électroacoustique à l’installation, en passant par la composition pour le théâtre, la performance et l’art vidéo. « La clé de voute de mon travail a toujours été l’exploration de la nature organique du son en tant qu’espace. Je crée des textures en combinant des éléments concrets et synthétiques. Mais l’électroacoustique reste difficile à définir selon moi car le terme générique essaie d’englober différents types de musique électronique. On peut dire qu’il s’agit d’une expression musicale qui nécessite une médiation électronique. »


L’électroacoustique sur grand écran

L’utilisation de la musique électroacoustique s’est étendue dans le cinéma grand public, un brin à la télévision, presque au point de se rendre totalement méconnaissable, notent certain·es. Mais quelques références du 7ème art sont plus exemplatives que d’autres en la matière. Comme le travail de composition du designer sonore Eugene Gearty dans « Eternal Sunshine of the Spotless Mind, ce drame de science-fiction signé Michel Gondry, avec le très drôle Jim Carrey et Kate Winslet, ou bien « Interstellar » de Christopher Nolan.


Sorte de constante chez les électroacousticien·nes : iels sont souvent actif·ves à la fois dans la composition et la recherche académique liée au sonore, s’intéressant bien plus à la matière du son qu’à la mélodie ou à la pulsation, comme le font très bien les compositeurices d’autres genres depuis des siècles. Mais l’Italienne n’a pas toujours fait jaillir des sons tapie derrière son ordinateur. Issue d’une formation en musique classique, Giulia pratique d’abord le violon au Conservatoire avant d’étudier la musicologie. L’artiste confie être tombée dans l’électroacoustique adolescente, en jouant naïvement avec un enregistreur. « Adulte, j’ai ensuite eu l’opportunité de travailler dans un centre artistique qui gérait notamment un festival de musique électroacoustique. Je m’occupais aussi de leurs archives sonores. C’est là que j’ai découvert l’essence de ce genre à la frontière entre art et musique. »

L’électroacoustique, et plus globalement le son, est un outil qui me permet de créer des espaces sans frontières.

Inspirée par les artistes avec qui elle a notamment étudié – Trevor Wishart, Alain Savouret ou encore Natasha Barrett, que vous écoutez peut-être en ce moment si vous avez suivi nos recommandations en début d’article – Giulia Vismara se penche aujourd’hui bien plus sur la spatialisation du son à l’aide de technologies 3D. Dans ses projets de recherche artistique, elle investigue, par exemple, le champ de l’auralisation. Un procédé technologique visant à recréer un environnement acoustique spécifique à partir de data mesurées ou simulées. « On peut ainsi imaginer recréer l’ambiance d’une cathédrale dans une pièce à bas plafonds. L’électroacoustique, et plus globalement le son, est un outil qui me permet de créer des espaces sans frontières. Une notion complètement différente de la considération commune d’espace prédéterminé ou à conquérir. »

Si elle souhaite se remettre à la composition électroacoustique pour les salles obscures, l’artiste sonore met aussi l’accent sur une démarche qui se veut accessible, notamment lorsqu’elle anime des ateliers à la découverte de l’électroacoustique, ou à travers des projets participatifs comme Tracks. « Avec Franziska Windisch, une collègue artiste, nous avons produit une balade sonore – les fameuses « soundwalks » dont nous vous parlions dans notre dossier sur l’écologie sonore – dans le quartier de Curreghem, à Anderlecht. » Disponible via l’app Tracks, chaque marcheur·euse peut brancher ses écouteurs et tendre l’oreille sur des compositions électroacoustiques conçues entre autres avec des enregistrements de sons natifs au quartier. Une manière de (re)découvrir son propre environnement sonore à la mode audioguide, où « point de vue » devient « point d’écoute ».

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