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Leur objectif pointé sur Bruxelles, des femmes photographes récompensées

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Depuis son ouverture en 2017, le Centre Géopolis dédié au photojournalisme s’attache à décrypter l’actualité internationale au grand public. En honneur à la carrière de la première femme photographe de presse belge Germaine Van Parys, le Prix éponyme a récemment dévoilé ses lauréates. La récompense souhaitait poursuivre l’engagement de la preneuse d’images en célébrant le talent des femmes au cœur de cette discipline.

Les créatif·ves qui se consacrent à cette forme artistique en sont bien conscient·es : les femmes photographes représentent encore moins d’un quart des membres au sein des grandes agences mondiales de photographie. “Ce prix n’émane donc pas simplement d’une volonté symbolique de visibiliser la création photographique et artistique de femmes, il est également politique”, soutient Ulrich Huygevelde. Le coordinateur chez Géopolis poursuit : “On avait pour projet d’organiser un prix photo depuis plusieurs années, sauf qu’à l’échelle d’une petite association, en dehors de nos expositions et des activités pédagogiques que nous animons, notre budget ne nous en donnait pas l’opportunité. Lorsque Delphine Houba (ndlr, l’Échevine de la Culture à la Ville de Bruxelles) nous a contactés début 2023, nous lui avons emboîté le pas dans son idée de consacrer un prix au travail de femmes photographes. Car même si ça tend à changer, l’image du métier de photojournaliste reste entachée par celle d’un homme photographe sur un front de guerre.”

Des regards de femmes sur Bruxelles

Pallier au manque de représentation des regards de femmes portés sur le monde mais aussi au peu de diversité du genre d’images que le photojournalisme recouvre pour monsieur ou madame tout-le-monde. Si Germaine Van Parys considérait la photographie comme le développement de fragments de pensée, ce sont les regards de deux femmes que le prix portant son nom est venu récompenser. Parmi la centaine de candidatures reçues dans les deux catégories – Grand Prix et Prix étudiante – les organisateurs ont quadrillé le concours avec une thématique évidente : regards sur Bruxelles. “Nous avons reçu des propositions très intéressantes, notamment par les photographes étudiantes, note Ulrich Huygevelde. Plusieurs se sont largement investies sur le deal de drogue, la vieillesse, ou encore sur un Bruxelles du quotidien. Avec une forte utilisation du noir et blanc.”

Première femme photographe de presse belge

Née à Saint-Gilles en 1893, Germaine Van Parys est dépeinte comme une personnalité indépendante, curieuse et engagée. Après un passage à l’École des Arts et métiers de Bruxelles, la jeune femme épouse le photographe de presse Félix Van Parys et ne tarde pas à s’essayer, elle aussi, à la photographie. C’est un reportage sur la liesse qui accompagne le retour du Roi Albert Ier à Bruxelles en 1918 qui lui ouvre les portes du quotidien Le Soir. Germaine Van Parys devient ainsi la première femme en Belgique a obtenir le statut de photojournaliste et poursuit ses collaborations avec d’autres grands médias.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Germaine refuse catégoriquement de travailler pour les Allemands. Elle se positionne aux côtés de la résistance en collaborant à la réalisation de faux documents d’identité et devient même correspondante de guerre pour les forces alliées en 1945. En 1956, elle enfile une casquette de plus et devient une des rares femmes d’entreprise de son époque en fondant l’agence de presse Van Parys, active jusque dans les eighties. Germaine et sa nièce, Odette Dereze, continuent ainsi à documenter l’actualité, mais la Saint-Gilloise se spécialise également dans un tout autre registre. Elle doit son surnom de “reine du portrait” pour ses nombreux clichés de la famille royale belge, Winston Churchill, Joséphine Baker ou encore d’Albert Einstein. En miroir à la thématique de cette première édition du Prix Germaine Van Parys, ses photos d’un Bruxelles d’autrefois, qu’elles soient prises dans les Marolles ou des lieux anonymes, restent universelles.

© Germaine Van Parys

Chez les primées, ni orgueil ni préjugés

D’une façon surprenante, les deux lauréates affichent des parcours, des participations et un syndrome d’imposture assez similaires. Dans la catégorie “Grand Prix”, Marie Sordat s’est ainsi distinguée avec une série qui retrace ses traversées dans les rues de Bruxelles. “J’ai parcouru la ville de toute part, d’Auderghem à Anderlecht, du centre à ses périphéries, dans l’obscurité du métro ou en pleine lumière, à la rencontre de ce qui, à mes yeux, constitue profondément ma ville, raconte la photographe, professeure à l’INSAS et commissaire d’exposition indépendante. Même si j’ai longuement hésité à candidater car, à la base, je ne me sens pas du tout photojournaliste.”

Si l’organisation souhaitait surtout éviter les travaux plasticiens, le concours était bien ouvert à toutes celles qui pratiquent une photographie documentaire. Un genre qui requière non pas un statut mais un regard posé sur le monde. Pensez à Vivian Maier ou Joel Meyerowitz. Ces figures de la photographie de rue ne se sont jamais autoproclamées photojournalistes, mais loin d’être gratuites, leurs images se font les liens entre le quotidien et la société.

© Marie Sordat

Dans la catégorie étudiante, une autre traversée de Bruxelles a été épinglée. Dans sa série “Passages“, Cécili Matureli a exploré la vie des halls d’entrée d’immeubles bruxellois qui symbolisent pour elle la capitale. Et l’étudiante en troisième année de réalisation à l’INSAS a d’ailleurs pu compter sur le soutien de son ancienne professeure de photographie. “Marie Sordat m’a encouragée à déposer ma candidature car, un peu comme elle, je ne me sentais pas tout à fait légitime. De par mon jeune âge, mon statut d’étudiante en cinéma, et ma position de femme. Je fais de la photo depuis que je suis toute petite mais je n’ai jamais travaillé sur de gros projets comme pour ce concours. Le thème m’intéressait beaucoup car je pense que le plus gros de mon travail photo porte sur ma ville d’adoption.”

Originaire de Soignies, petite ville du Hainaut, Cécili a dépassé sa peur de l’inconnu en allant à sa rencontre. “Avec mon appareil, je suis littéralement partie dans Bruxelles photographier des inconnu·es. Pour moi, Bruxelles est à la fois hétéroclite, on peut marcher d’un quartier à l’autre et avoir l’impression de traverser deux univers totalement différents, mais c’est aussi une ville surréaliste. Dans ma série photo, je me suis rendue dans des halls d’immeubles typiques du passé, comme l’emblématique Tour Brusilia à Schaerbeek. J’ai vraiment ressenti le fort lien entre ces lieux et les personnes qui les habitent aujourd’hui. Des gens de passage.”

Travaillant au flash et à la lampe de poche en plein jour, première expérimentation réussie pour la photographe en herbe, ce côté surréaliste donne un aspect inquiétant à sa série, presque fantomatique. “Il est clair que dans ce travail, je souhaitais aussi faire transparaître mon angoisse pour la population bruxelloise. Lors de mes prises de vues, j’ai réalisé en discutant avec ces Bruxellois·es que je ne suis pas la seule à observer un manque de lien humain criant ou à souffrir de solitude. C’est peut-être exacerbé parce que je viens de la ruralité où la vie est bien plus communautaire qu’en ville. Mais c’est fou de se sentir seul·e dans de grands immeubles habités par des centaines d’âmes.”

© Cécili Matureli

Géopolis espère évidemment que ce premier chapitre du Prix Germaine Van Parys en ouvrira bien d’autres. “Pourquoi pas imaginer faire circuler l’appel en dehors de nos frontières afin de toucher des femmes photographes à l’international ?, envisage le coordinateur du centre de photojournalisme. La thématique du prix de cette année inhibait cette ouverture, mais on a déjà pensé à thématiser les prochains appels sur les luttes féministes à travers le monde.” Quant aux séries photographiques des deux lauréates, elles seront exposés au Centre Géopolis du 30 mai au 30 juin 2014 aux côtés d’une rétrospective du travail de Germaine Van Parys.

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