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Portrait 5 minutes de lecture

Claire Williams, en liaison avec l’invisible

Auteurice de l’article :

Marie-Flore Pirmez

Véritable vorace de podcasts et de documentaires, Marie-Flore croit fermement en un renouveau du journalisme écrit grâce aux multiples opportunités du web et des magazines longs formats. Lorsqu'elle enlève sa casquette de journaliste, vous risquez de la croiser en train de randonner ou dans un studio de yoga.

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Son, textile, électronique. Avec ses médiums de prédilection, l’artiste Claire Williams matérialise les ondes électromagnétiques et explore notre relation aux univers imperceptibles. Oscillant du cosmos à notre magnétosphère, ses installations ou son apport en tant qu’artiste-chercheuse se font le lien entre sciences formelles, occultes et expérimentales.

Avant de la croiser en chair et en os lors du KIKK Festival où elle était de passage pour présenter son installation “Les Télépathes” – sur laquelle nous revenons quelques lignes plus bas – c’est avec le double électromagnétique de Claire Williams que nous entrons en connexion à travers notre écran. Diplômée d’un master en Design Textile à La Cambre, à Bruxelles, et du Fresnoy Studio national des arts contemporains de Tourcoing, l’artiste poursuit actuellement un projet de recherche sur les sciences expérimentales et occultes du 19ème siècle intitulé “Les Aethers”, en collaboration avec Dvora Levy. “C’est à partir de la seconde moitié du 19ème que l’invisible commence à se penser. Des chimistes, physicien·nes, médiums et autres savant·es s’immergent dans ce milieu que certain·es appellent “éther” et d’autres “fluide”. On parle d’énergies cosmiques, d’esprits, de flux vitaux des plantes… Ces scientifiques imaginent alors des appareils pour détecter et exploiter ces forces, du télégraphe au stéréomètre.

De chaque côté de la frontière que nous traçons entre sciences et non-sciences, les chercheur·euses de l’invisible sont animé·es par la même ambition : révéler un monde inconnu. Pour y parvenir, il fallait partager des concepts, échanger, beaucoup. Et, surprise, dans cet ensemble foisonnant de savoirs, on retrouve de nombreuses femmes. Elles se rassemblent en collectifs, mettent en lumière un autre rapport au corps, une approche plus qualitative que quantitative sur les théories explorées. Dans son travail de recherche, Claire Williams s’attache aussi à étudier et à recontextualiser l’apport de ces femmes.

Regarder l’histoire en face

En 2021, à la demande du curateur de l’exposition “La Page manquante” du Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, elle rédige une page insérée dans l’encyclopédie Instruments of Science: An Historical Encyclopedia. Sur son portfolio, l’artiste basée à Bruxelles écrit à ce propos : “En parcourant les encyclopédies scientifiques et plus particulièrement l’histoire des télécommunications, un simple ctrl+F suffit pour montrer les contributions des femmes dans ce domaine. Les “elle·s, Mme, femmes…” n’indiquent que deux ou trois occurrences sur les centaines de pages parcourues. Elles réfèrent généralement à l’épouse d’un éminent scientifique ou à une généreuse mécène. C’est parfois le nom de câbles transatlantiques nommés en hommage aux femmes des ingénieurs qui les installèrent. Bref, ces histoires-là ne parlent pas de celles qui ont contribué à façonner notre paysage électromagnétique actuel. J’ai donc rédigé une page qui leur est dédiée afin de les réinclure dans cette histoire. Au-delà de ce qu’elles nous lèguent dans l’histoire technologique occidentale, c’est peut-être une autre forme de science qu’elles nous proposent, une science qu’on pourrait qualifier de science queer*.”

Exposition La page manquante, Centre Wallonie Bruxelles, Paris 2021

Jamais très loin du textile, recourant à l’artisanat mais aussi à l’électronique, sa pratique artistique tend à s’émanciper des pratiques dominantes dans des espaces militants et (cyber)féministes. Son engagement à souligner l’héritage des femmes scientifiques oubliées par la majorité est supporté par une question fil rouge : “Quels étaient les rêves technologiques de ces chercheuses ?”. Claire Williams émet l’hypothèse qu’avec nos ordinateurs et nos smartphones, nous sommes finalement toustes devenu·es des médiums. Toute déclinaison de nos technologies modernes nous fait indubitablement parcourir des kilomètres à travers une dimension imperceptible. Tels des millions d’esprits qui errent autour de nous, parfois indéfiniment. Vision apocalyptique pour certain·es, fascinante pour d’autres. Dans son installation “Les Télépathes” qu’elle présente dans le cadre de l’exposition Capture #2 au Pavillon, l’artiste questionne d’ailleurs la matérialité de notre conscience.

Dans “Les Télépathes”, j’ai voulu créer une interface qui nous immerge dans un autre état de conscience. Et tant qu’à faire, dans la plus longue phase de conscience modifiée, à savoir, le coma profond.

Claire Williams
The Telepaths

Vers la noosphère

Sous notre boîte crânienne, notre cerveau s’affaire. L’activité neuronale produit des ondes électromagnétiques naturelles que l’on mesure à l’aide d’un électroencéphalographe. Ce fameux casque médical équipé d’électrodes qui jouent le rôle de petites antennes. “Peut-on considérer cette activité psychique en tant que matérialité commune ?”, s’interroge Claire Williams. Affirmatif. Plusieurs scientifiques comme Vladimir Vernadski ont nommé ça la noosphère (en complément à la biosphère). “Nous n’avons encore aucune idée de la grandeur possible des effets noosphériques, écrit Pierre Teilhard de Chardin (confrère de Vernadski) en 1955 dans Le phénomène humain. La résonance de vibrations humaines par millions ! Toute une nappe de conscience pressant sur l’avenir en même temps ! Le produit collectif et additif d’un million d’années de pensée !” Et Claire de continuer : “Je trouve ça intéressant car en Occident, on pense peu cette énergie en tant que matérialité. Dans d’autres cultures, les rêves ont une véritable signification sur le quotidien, alors que chez nous, on les distingue nettement du monde tangible. Pourtant, lorsqu’on rêve, on entre dans un autre type de réalité et on en ressort souvent avec des images assez précises. Dans “Les Télépathes“, j’ai justement voulu créer une interface qui nous immerge dans un autre état de conscience. Et tant qu’à faire, dans la plus longue phase de conscience modifiée, à savoir, le coma profond.”

Les Télépathes – Claire Williams Production FWB Arts numériques

Pour conceptualiser son idée, l’artiste est bien entourée. De livres tout d’abord, comme celui qu’elle nous montre à travers sa webcam. La télépathie par le rêve, de Montague Ullman, Stanley Krippner et Alan Vaughan. Un bouquin datant de 1973, époque à laquelle de nouvelles questions sont soulevées : les rêves peuvent-ils être la manifestation d’un état de conscience accrue dans lequel lae rêveur·euse intercepte les pensées d’autrui ? Si la télépathie spontanée par le rêve existe, est-il possible de l’induire expérimentalement ? Claire Williams s’est également rapprochée du pôle de neurosciences de l’ULiège, plus particulièrement du COMA Science Group. Une équipe internationale et multidisciplinaire qui a pour objectif de faire avancer la recherche sur les états post-comateux et les troubles de la conscience. Des thématiques très décrites mais toujours aussi taboues au sein des sciences dures. “Conscience modifiée, expériences de mort imminente, ces sujets créent le débat dans la sphère scientifique, mais le département de l’ULiège n’hésite pas à les mettre sur la table. C’est un des premiers à faire ça en Europe. Une aubaine pour ce projet artistique.”

Dans la salle d’exposition du Pavillon, “Les Télépathes” se dresse devant nous : une cinquantaine de formes en verre inspirées des instruments de chimie et réalisées par des souffleurs de verre scientifiques du Lycée Dorian, à Paris. Sous chaque forme tubulaire, une lumière LED bleutée varie et une bille métallique aimantée produit un son léger mais clinquant. L’installation se fait le portrait de l’activité psychique mesurée pendant une quinzaine de minutes chez plusieurs personnes en coma profond. Un dispositif télépathique qui signale, sous forme d’ondes perceptibles cette fois-ci, une conscience parallèle mais collective. Comme toujours dans sa démarche artistique, Claire Williams veut redonner un peu de sens à notre vie sur Terre, mais surtout s’émanciper des perspectives imposées.

Actuellement en résidence au campus Sart Tilman de l’Université de Liège (ULiège), au sein du département de nanotechnologies, l’artiste cogitera durant les deux prochains mois sur la fabrication de l’invisible. “Aujourd’hui, on est capable de travailler la matière avec des échelles atomiques. On peut par exemple graver le contenu d’un livre sur un seul cheveu. Lorsqu’on se penche sur les matérialités qui ont toujours été retenues dans l’histoire, il s’agit souvent de matérialités rigides, imperméables, résistantes. Dans ce projet de résidence artistique, à l’inverse, je vais expérimenter avec la matière à la limite du visible. Voire peut-être créer une œuvre qui disparaîtra. Qui sait.” Un avant-goût d’une future interface avec l’invisible à retrouver en mars 2024 aux Drapiers, une galerie d’art contemporain liégeoise.

* Qui n’adhère pas à la binarité des genres (féminin versus masculin) et des sexualités (hétérosexualité contre homosexualité). La définition originelle du mot en anglais signifie “étrange, bizarre, hors des normes”.

Ce contenu vous est proposé dans le cadre de Propulsion by KIKK, un projet de sensibilisation au numérique pour et par les femmes.

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