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ChatGPT fait trembler les métiers de l’écrit

Auteurice de l’article :

Juliette Maes

Diplômée d’un Master en Presse et Informations à l’IHECS en 2020, Juliette a fait ses premiers pas en journalisme au ELLE Belgique, pour qui elle écrit toujours aujourd’hui. Touchée par les sujets féministes et sociaux, elle s’intéresse entre autres à l’entrepreneuriat féminin, à l’inclusivité et à la transition écologique. Professionnellement, Juliette a la bougeotte. À côté du journalisme, elle est photographe et vidéaste, notamment pour Badger Production, une boîte bruxelloise experte en storytelling d’entreprise.

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Depuis son lancement en décembre 2022, ChatGPT a profité d’un succès sans précédent dans le monde des intelligences artificielles. Que l’on s’émerveille de ses capacités rédactionnelles ou s’inquiète pour le futur de son métier, une chose est sûre : l’outil conversationnel intelligent développé par Open AI n’a pas fini de faire parler de lui.

Techniquement, ChatGPT est un prodige. Capable de produire des textes originaux avec une syntaxe sophistiquée et des variantes assez complexes, il devient difficile de différencier ses textes de celui d’un·e humain·e. Pour ces raisons, de nombreux·ses professionnel·les des métiers de l’écrit, comme celui de la traduction, voient l’arrivée de ce nouvel outil avec une certaine angoisse, anxieux·ses de voir leur profession doucement (ou même rapidement, vu la vitesse des avancées dans le domaine) disparaître.

Ce n’est pourtant pas un sentiment nouveau. Depuis 2016, leur travail est bouleversé par des outils de traduction automatique neuronaux. L’apparition de Google Translate et de DeepL avait soulevé la question de la menace que représenterait l’intelligence artificielle pour les traducteurices.

©Unslpash

Des chercheur·euses américain·es d’Open AI, d’Open Research et de l’Université de Pennsylvanie ont réalisé une étude pour déterminer l’influence potentielle de l’intelligence artificielle sur mille professions aux États-Unis. Il en ressort que 80% des métiers verraient au moins 10% de leurs tâches affectées par ChatGPT et autres outils similaires. Les interprètes et traducteurices sont les plus touché·es, suivi·es par d’autres métiers de l’écrit comme les écrivain·es, les poètes ou encore les journalistes – bon ok, là on s’inquiète un peu. On trouve aussi dans la liste les sténographes et assistant·es juridiques, les spécialistes des relations publiques, les mathématicien·nes, les comptables, les ingénieur·es de la blockchain et les concepteurices d’interfaces web et numériques.

Iels concluent que ce sont les “métiers dits intellectuels” qui risquent le plus de voir leur quotidien bouleversé. Et ça, c’est simplement parce qu’il s’agit de celleux pour qui l’utilisation de logiciels informatiques est centrale. À l’inverse, les industries de la main-d’œuvre comme l’exploitation forestière, l’aide sociale ou encore l’industrie alimentaire devraient échapper à la révolution de l’IA.

Au final, quel est l’impact pour les métiers de l’écrit ?

En réalité, les logiciels d’aide à la traduction existent depuis longtemps et s’avèrent souvent être une aide précieuse en fonction du champ de travail de lae traducteurice. Mais si l’arrivée de ChatGPT provoque de telles réactions, c’est parce que ce nouveau système de traitement du langage naturel (NLP pour les ami·es) est une véritable révolution dans le domaine de l’intelligence artificielle. D’autres IA de langage comme Google Translate traitent les demandes de façon rapide mais ne possèdent pas de sensibilité, de conscience ou encore de capacité de raisonnement. ChatGPT est quant à elle basée sur un modèle de deep learning, ou apprentissage profond en français. Cela veut dire qu’elle apprend au fur et à mesure des tâches qu’elle doit accomplir et enregistre les nouvelles informations dans une base de données. Comme DeepL, ChatGPT est supposée copier l’intelligence humaine. Elle a donc la capacité de créer, de se questionner et même, éventuellement, de donner un avis.

Cette nuance est assez importante lorsqu’il s’agit de traduction. Lae traducteurice tel·le qu’on lae connaît est principalement quelqu’un·e qui traduit des livres ou des articles. Ces traductions de type littéraire sont appelées “non pragmatiques” car leur application directe est communicationnelle.

La traduction pragmatique sera celle d’un contrat, d’un bilan d’entreprise ou encore d’un mode d’emploi. Elle relève d’un domaine de spécialité et nécessite l’utilisation de terminologies particulières et adaptées au domaine en question.

Le secteur de la traduction pragmatique a recours à des logiciels d’intelligence artificielle depuis longtemps. Notamment pour constituer des corpus, c’est-à-dire des ensembles de textes et bases terminologiques dans lesquelles se trouve le vocabulaire nécessaire pour traduire des textes d’une langue à l’autre de sorte à ce que la traduction ait l’air d’avoir été rédigée par un·e spécialiste.

Actuellement, les intelligences artificielles conversationnelles telles que ChatGPT sont assez avancées pour effectuer le travail des traducteurices techniques de façon efficace et sans ambiguïté. Cela laisse penser que les traducteurices techniques seront les plus affecté·es par la démocratisation de l’intelligence artificielle au cours des prochaines années.

Un métier transformé plutôt que remplacé

L’impact sur la traduction non pragmatique est un peu plus difficile à déterminer. Il est très probable que le métier soit également touché, mais avec des enjeux différents. ChatGPT n’est simplement pas encore capable de comprendre les particularités qui définissent la traduction littéraire, comme l’ironie ou le second degré, par exemple.

Si l’IA sera tout à fait apte à traduire un texte de centaines de pages en quelques secondes, le travail de lae traducteurice restera assez conséquent, car il faudra repasser sur le texte pour vérifier et corriger les erreurs de compréhension. La traduction non pragmatique est une suite de choix. Lae traducteurice doit se mettre à la place de l’auteurice et tenter d’interpréter sa pensée, avant de la traduire de la façon la plus pertinente dans une autre langue. Cela nécessite qu’iel prenne en compte toute une série de facteurs aussi variés que l’époque, le style, les sujets abordés dans le texte ou encore la personnalité de l’auteurice.

En somme, bien que l’IA ait le potentiel de perturber certains aspects des métiers de l’écrit, elle ne signifie pas la fin de ces professions. Ces professionnel.les deviendront probablement réviseur.euses. Mais voilà le hic : iels devront tout de même posséder toutes les compétences liées au métier de la traduction. Être parfaitement bilingue dans les deux langues de travail, évidemment, mais aussi comprendre et maîtriser les notions abordées, même en traduction littéraire. En traduction de presse, des connaissances poussées sur l’actualité et les enjeux politiques des sujets seront indispensables.

Vous l’aurez compris : toutes ces compétences sont celles d’une personne qui jouit d’une expérience de travail et de nombreuses années d’études. Quelqu’un·e capable de traduire un texte de A à Z (see what I did there?). Mais qui, à la place, révisera des textes au lieu de les traduire.

Les intelligences artificielles rédactionnelles ne remplaceront jamais entièrement l’humain·e. Elles se présentent comme des aides à la productivité, à la facilitation et à la simplification des tâches chronophages ou répétitives. Surtout, elles doivent être utilisées dans des cas bien spécifiques, sans en abuser. Elles ne seront certainement jamais parfaites. Comme le dit Olivier Mannoni, traducteur et auteur de l’essai Traduire Hitler, dans la revue Toledo: “À aucun moment la machine ne retourne et ne creuse un texte pour en comprendre l’ironie, la gravité, l’humour grinçant. Elle en est incapable, tout comme elle est incapable de reconnaître un style, une “patte”, un talent.”

“Traître et contre-productif”

Nous avons demandé à l’équipe de Capeach qui traduit le contenu du kingkong, de partager leur expérience des intelligences artificielles, et notamment DeepL. “À première vue, DeepL a l’air de faire du bon travail, admet Céline Vancoppenolle, traductrice chez Capeach. Il pourrait de ce fait être tentant de se reposer sur le programme. Mais cela peut être traître et contre-productif, si on ne fait pas attention aux résultats qu’on obtient “. D’emblée, les textes traduits ont l’air qualitatifs, mais ils comprennent beaucoup de fautes, notamment dans le choix d’un mot plutôt qu’un autre. DeepL n’est pas encore assez performant pour comprendre ces nuances et choisir le terme le plus approprié. Et cela est un problème qui se retrouve autant dans les textes littéraires que les textes très techniques comme les contrats.

Finalement, plus nous utiliserons des machines d’écriture et de traduction, plus grand sera le risque de standardisation de la langue. Le style des écrits sera de plus en plus uniforme, ce qui résultera en un appauvrissement de la langue.

Or, pour exprimer une pensée, il est primordial de maîtriser la langue. En faisant confiance aux machines, nous risquons d’y laisser notre esprit critique. En conséquence, Céline trouve qu’il reste toujours mieux aujourd’hui de traduire du début jusqu’à la fin, en ayant recours à la traduction assistée par ordinateur (TAO) pour des phrases ou des parties ciblées des textes. Faire la relecture d’un texte traduit par DeepL ou ChatGPT est délicat, car le risque de passer à côté d’erreurs cruciales est trop important et prend, au final, plus de temps.

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