Ce merveilleux… charbon !

Auteurice de l’article :
Une grande exposition en Wallonie dévoile comment artistes, designers et architectes s’emparent de cette énergie fossile et la réinventent. Vous y voyez un gouffre pour l’écologie ? Iels en font une matière durable et politique. Voici le charbon 2.0.
Le charbon, ancienne ressource minière du Grand-Hornu, est l’un des suspects numéro un du réchauffement climatique. Pourtant, c’est aujourd’hui dans ce fleuron du patrimoine industriel belge qu’il est le témoin de sa nouvelle vie.
Jadis, ce charbonnage érigé au XIXème siècle dans la petite ville d’Hornu, à quelques kilomètres de Mons, et sa cité ouvrière attenante, alliait le dur labeur à un art de vivre complet. Bien qu’agrémenté d’activités commerciales et de loisirs, ce complexe tournait exclusivement autour de l’extraction du charbon. Ce fut avant que cette matière première ne devienne responsable d’une bonne partie des émissions de CO₂ sur la planète.
Aux tournants des années 90 et 2000, ce monument a été métamorphosé en un musée, avec la construction du MAC’s, le Musée des Arts contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et du CID, le Centre d’Innovation et de Design du Grand-Hornu. Aujourd’hui inscrit au Patrimoine mondiale de l’UNESCO, il devient la plateforme de révolutions actuelles dans les milieux de la création artistique et industrielle.









Ces dernières semaines, c’est du côté du CID et de son exposition “Au charbon!” qu’il fallait s’aventurer pour découvrir que le charbon peut contribuer à des solutions nouvelles qui nous permettraient de transiter vers une société post-carbone. Une ôde inédite à cette roche sédimentaire et combustible qui se forme à partir de la dégradation de la matière organique des végétaux.
Brassant au-delà des charbons de bois, qui améliorent le goût de l’eau, et ceux, certifiés responsables, qui alimentent les barbecues, cette institution belge se penche sur une tendance de fond qui vise à revaloriser le charbon. Un mouvement palpable dans le monde de l’art et du design depuis une douzaine d’années, alors que le charbon actif, obtenu à partir de la combustion, s’allie souvent avec le pétrole pour les gourmands besoins des produits d’équipement sportif, de l’aéronautique, de l’automobile et même du mobilier, et investit grandement les produits cosmétiques.
Plus loin que les purificateurs d’eau
Pour investiguer les milieux de la création qui, en pleine crise énergétique, ne s’en tiennent pas qu’aux dérivés chimiques du charbon, les commissaires de cette exposition se sont appuyés sur le design en tant que discipline de recherche. Un acte de création “prospectif” comme le présentent la curatrice et consultante Giovanna Massoni et la designer et chercheuse Amandine David dans le catalogue de cet événement qui fera date dans l’histoire du Grand-Hornu.
“Beaucoup de designers, architectes et artistes contemporain·es n’ont pas la prétention de résoudre tous les problèmes du monde mais d’exposer que le paradigme de la création industrielle (produire pour vendre et capitaliser) doit cesser, exprime Giovanna Massoni. Pour changer, il faudrait d’abord faire évoluer notre expérience collective de la beauté afin de penser autrement l’acte de créer et d’améliorer la situation existante des êtres vivants, voire d’honorer leurs racines.”
La présentation du duo de commissaires éclaire sur ces créateur·ices qui choisissent de décupler les possibilités de cette roche protéiforme qu’est le charbon. Avec des pratiques ancestrales, comme le procédé de carbonisation, ou des inventions qui forment le point de départ d’une réflexion bien plus ample que l’apport de nouvelles techniques de production…
D’entrée de jeu, une version post-apocalyptique de l’une des œuvres-manifestes du design souligne que la production de meubles est l’un des complices de la crise climatique. Un fait, comme nombre d’activités nées de la révolution industrielle. Complètement noire, Smoke Red Blue Chair (2010), du designer Marteen Baas, reprend exactement la forme de la chaise rouge et bleue (1917-23) créée par son illustre compatriote, l’ébéniste et architecte Gerrit Rietveld.
Cette création volontairement destroy et culte de ce Néerlandais expose aussi la vulnérabilité d’une autre ressource naturelle dont l’Homme a fait son sucre : le bois.


La surproduction sur le grill
À l’instar de l’eau, ou encore de l’air, le charbon ses composants, tout comme le bois, sont des énergies vivantes et chargées d’histoire qu’il convient de manier avec précaution afin de questionner la production excessive d’objets.
Désormais largement utilisé pour débarrasser les eaux de ses polluants, avec plus ou moins de succès (ou de marketing, pour le commercialiser sous sa forme dite active), le charbon – dans son état végétal, issu de la calcination de bois –, peut se transformer en savon purifiant. Avec cette possibilité, l’artiste coréenne et allemande Jeewi Lee a souhaité rendre un hommage poétique aux forêts et aux montagnes ravagées par les incendies. Des épines de pin calcinées et des cendres de feux de forêts mixées à des huiles végétales et de la boue composent les savons inutilisables de son installation Ashes to Ashes (2019) qui prend place au sein d’”Au charbon !”.
De son côté, l’Allemand Philipp Weber, issu des bancs de la très prospective Design Academy Eindhoven aux Pays-Bas, fait honneur à son histoire familiale et au quasi artisanat qu’est la transformation du charbon. Ce descendant d’un mineur a développé un four à coke (le combustible de sidérurgie qui produit l’acier) : From below, Miniature coking plant (2016).
Carboniser et fossiliser pour plus de durabilité
Dans cette exposition monothématique et son paysage de pratiques pluridisciplinaires, parfois non définies, le charbon, utilisé transformé ou brut, revêt même des propriétés protectrices de l’environnement.
Ainsi, les surfaces de la collection Coal:Post-Fuel A Speculative Future de l’artiste et designer suédo-londonien Jesper Eriksson hésitent encore entre leur devenir (simples sculptures ou nouveaux revêtements de sols ?), moins de leur nature : des roches sédimentaires empêcheraient d’émettre ce satané CO2.

Paradoxalement, la combustion de charbon, qui pollue, permet de protéger le bois grâce au yakisugi. Un procédé nippon vieux de 400 ans, qui signifie littéralement “cèdre brûlé”. Le Belge Kaspar Hamacher l’utilise pour ses meubles en chêne tel Burnt Chiseled Consol, produit en 2019 et entré dans les collections du CID du Grand-Hornu. Ce matériau noble est ainsi immunisé des résidus néfastes dus à la corrosion et protégé contre l’humidité.
Anima (2018), du Japonais Kosuke Araki, a aussi intégré les fonds de ce musée puisqu’il offre un véritable bond en avant. Ce service de table composé d’assiettes ou encore de bols est né de… kilos de déchets alimentaires non-comestibles, carbonisés !
D’autres initiatives, plus commerciales, ne sont pas les seules à regarder du côté du Japon, où l’artisanat forme un rempart contre la surindustrialisation et demeure respecté comme tel. Uchino est une entreprise japonaise d’accessoires de linge de maison qui utilise la poudre de charbon actif comme antifongique et antibactérien pour ses textiles. Elle a contribué à mettre au point une gamme de vêtements en coton mélangé pour la marque de mode néerlandaise senscommon. Dites adieu aux odeurs de transpiration !








Enfin, le procédé de la fossilisation de la matière et ses étapes de décomposition bactérienne influencent l’univers de la construction qui s’adapte aux besoins du secteur de l’architecture, de plus en plus attentif à l’économie circulaire. Selon le designer français Grégory Lacoua, cette alternative au recyclage permet de produire de véritables Briques (2022), tout aussi décoratives que fonctionnelles. Du côté de la start-up belge BC materials, la revalorisation de la terre crue issue de la démolition des chantiers de construction donnent autrement corps à des “briquettes”, prêtes à l’emploi.
Souvenirs du futur
Dans le feu de ce regroupement de talents croisant les mondes de l’art et de la création industrielle, le Grand-Hornu a fait appel à Making Tomorrow, le collectif de design thinking cofondé par l’anthropologue belge Olivier Wathelet. Celui-ci a collaboré avec les étudiant·es de l’École Supérieure de Design Villefontaine en France, près de Lyon. De leurs échanges est née une série d’objets fictifs qui ouvrent d’autres voies à ce que pourrait être la création post-carbone…
Ceux-ci devraient bien résonner en dehors de la boutique online du CID2 du Grand-Hornu : des bigoudis en dioxyde de carbone recyclés, une bouteille de Coca-Cola entièrement en calcaire et un blob de compagnie à nourrir au charbon… Autant de nouveaux horizons, pas si farfelus, pour l’or brun et ses consors.
L’exposition “Au Charbon !” est à découvrir jusqu’au 8 janvier 2023https://www.cid-grand-hornu.be/fr/expositions/au-charbon.
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